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"La Grande Aventure des Déserts"
Encyclopédie des Zones Arides
par Joël Lodé solo en francés / only in french |
Copyrights : Joël Lodé
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Le mot du Pr. Théodore MONOD, Membre
de l'Institut
"PREFACE
Je dois au lecteur un aveu : si j'ai accepté
d'écrire quelques mots de préface à cet ouvrage, ce
n'est pas que j'en puisse approuver tous les détails ; Joël
Lodé refuse la qualité de "désert" aux déserts
polaires, mais la reconnaît à la savane arborée "sahélienne"
du Kalahari.
Si par endroit, quelque détail a
pu me paraître discutable, peu importe, car il s'agit d'une œuvre
originale, nourrie d'observations personnelles qu'un voyageur infatigable
a recueillies au cours d'une longue expérience des zones arides
ou désertiques.
Joël Lodé est ainsi devenu un
de nos meilleurs spécialistes des pays de la sécheresse,
et probablement de leur biologie, car il est avant tout un naturaliste,
connaisseur notoire des Cactacées, famille spéciale à
très peu de choses près, on le sait, à l'Amérique
; ce qui explique d'ailleurs le grand rôle joué par le Nouveau
Monde dans ce livre, et son importance dans la bibliographie de l'ouvrage.
En bon naturaliste, Joël Lodé
s'intéresse à tout ; il tient d'ailleurs, belle merveille,
à nous donner les binoms latins des animaux et des plantes qu'il
va citer. Il porte visiblement un grand intérêt à la
biologie, aux modes de vie, aux adaptations. Le lecteur s'instruira à
chaque page.
S'il fallait tenter de qualifier d'un mot
ce volume, je crois que celui d'originalité ferait l'affaire ; l'auteur
n'appartient pas à une école, à une tradition, à
une institution ; c'est un homme libre, ce qui est une singulière
qualité. Il dit ce qu'il a à dire, il raconte ce qu'il a
vu, avec un style qui ne manque ni de pittoresque, ni d'humour.
Il n'est pas douteux que ces pages trouveront
un large accueil auprès de tous ceux qui souhaitent mieux connaître
et mieux comprendre l'un des systèmes éco-climatiques les
plus originaux, et à bien des égards, les plus fascinants
de notre planète : les déserts.
Théodore Monod
Cet ouvrage est dédié à Théodore
Monod qui a, durant 22 ans, contribué à parfaire mes connaissances
du milieu aride.
NB : Pour en faciliter la lecture, la convention choisie
et utilisée dans cet ouvrage pour le pluriel des termes techniques,
géologiques ou ethniques issus de langues étrangères,
dialectes locaux, etc. est le pluriel francisé : scénarios
(et non scénarii), ksars (et non ksour), sifs (et non siouf), Turkanas,
Apaches (et non des Turkana, des Apache), etc. Joël Lodé
SOMMAIRE
PREFACE par le Professeur Théodore MONOD, Membre de l'Institut.
PROLOGUE
QU'EST-CE QUE LE DESERT ?
• Les limites de l'infini.
• Des origines à aujourd'hui : vestiges d'une vie intense.
• Répartition et systématique.
DESERT, UNIVERS DE L'EXTREME
• Climats : sensations et réalités.
• Espace en mutation : l'alchimie magique.
• L'eau, le vent, le minéral : le Grand Brassage.
• Le paysage au désert : de l'esthétique des formes.
• Les cours d'eau et grands fleuves des déserts.
DESERT, ESPACE VIVANT
• L'univers végétal : n'est pas cactus qui veut
!
• Stratégies pour la survie.
• Parfums et poisons.
• Le sens de l'harmonie : la biocénose.
• L'animal au désert : adaptation et comportement.
DES HOMMES AU DESERT
• Peuplement et modes de vie.
• Sédentarité et nomadisme : la diversité.
• Architecture et habitats : mimétisme ou symbiose ?
• Structures sociales et religieuses.
DECOUVREURS DE DESERTS
• Un monde fascinant : le désert, source d'inspiration.
• Premières explorations.
• Désert passion.
• Drames, mythes et légendes.
DESERTS AU FUTUR
• Equilibre écologique : la menace.
• Le désert en jeu : potentialités et réalités.
• Désert poubelle ? Préservation des déserts.
• Son avenir : le désert pour lui-même.
GLOSSAIRE
BIBLIOGRAPHIE
INDEX
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PROLOGUE
"Au désert, même le silence est un bruit…"
Je me réveille brusquement, me relève et tends l'oreille
; pas un souffle de vent, pas la moindre petite brise n'agite l'air. L'arbre
le plus proche se trouve à plusieurs kilomètres de l'endroit
où j'ai installé le campement. Même pas le plus petit
caillou susceptible de se fendre dans ce froid nocturne ; aucun animal
ne s'aventure sur le salar, durant la nuit. Souvent, à tenter de
déceler un bruit hypothétique, on entend le "silence du désert"
: un silence fait de bruits indéfinissables.
Cette fois, ce n'est pas un produit de l'imagination; J'écoute
dans le silence, mes tympans vibrent à faire mal. Un son prolongé,
presque inaudible, à la limite de la réalité, lui
parvient, plutôt une vibration ; Oui, c'est cela, une vibration !
Un tremblement de terre ! C'est un tremblement de terre ! D'interminables
secondes passent, rien ne bouge, ne s'amplifie, ou s'estompe. Seule l'anxiété
grandit. Pas d'explication rationnelle à ce bruit sourd qui confine
à l'obsession. Les séismes sont fréquents dans le
désert d'Atacama : je sentirai la terre trembler à Toconao.
Mais cette nuit d'angoisse ne m'apporte pas de réponse;
le salar est tout proche, crevassé, couvert de polygones d'argile
et d'amas déchirés de sels de nitrates, cicatrices desséchées
d'un désert qui respire, transpire ou pire, expire… Le désert
vit, bouge et parle !
L'oreille collée dans la poussière, j'écoute
le désert. Sous la croûte saline, lors de nuits froides de
l'hiver austral en Amérique du sud, la température descend
à un point critique, sans aller forcément jusqu'au gel. Alors,
les sels humidifiés se contractent, se dissolvent, puis se dilatent,
font éclater les argiles, soulèvent les salars : les éléments
du sous-sol se fendent, se brisent dans une rumeur caverneuse… Un monstrueux
gargouillis : c'est le désert qui digère…
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QU'EST-CE QUE LE DESERT ?
• Les limites de l'infini.
Comment définir l'indéfinissable, comment fixer
des limites à ce qui semble l'infini ?
Les scientifiques (qui ne sont pas "désertologues", nom
hybride latino-grec refusé par l'Académie des Sciences, mais
qui pourraient à la rigueur être taxés "d'érémitologues"
!…*), ont décidé d'utiliser le mot "désert" comme
désignant une région péritropicale (avec pour limites
nord et sud, les 30èmes parallèles) présentant des
signes constants d'aridité (moins de 250 mm de précipitations
annuelles) avec, en général, des températures élevées
en été, et basses en hiver, une faune et une flore ayant,
à quelques différences près, la même converge
d'adaptation cryptique, morphologique et physiologique au milieu aride,
quelle que soit sa situation géographique.
Pourtant, si l'on suit cette définition simplifiée,
il y a des régions qui portent le nom de "désert", et qui
n'en sont pas, et d'autres qui mériteraient ce terme. Ainsi, tel
désert nord-américain reçoit 240 mm tous les ans,
et tel autre, situé en Amérique du Sud (Atacama, par exemple),
n'a "profité" que de 0,6 mm en 17 ans !
D'ores et déjà, on peut dire que le désert
est non seulement caractérisé par la rareté des précipitations,
mais surtout, et c'est là, je crois la distinction essentielle,
par leur irrégularité, phénomène encore aggravé
par l'évaporation. Il faut y ajouter une énorme évapotranspiration,
qui réduit la densité végétale et animale,
et la conduit à devenir xérophile. Ce déficit hydrologique
se traduit par un paysage où le tapis végétal est
absent, donc par une raréfaction de la flore et de la faune, et
une adaptation spécifique au type de milieu.
Comme il existe des déserts, il existe également
plusieurs explications à la formation de ceux-ci, et une interaction
des causes d'aridité conduit à leur diversité. D'une
manière générale, la zone aride se situe de part et
d'autre de la ceinture équatoriale de basse pression. Liée
à la circulation de l'atmosphère, elle-même conditionnée
par la rotation de la Terre, la zone dite aride est influencée par
les vents alizés qui soufflent en permanence, et qui se réchauffent
par compression lorsqu'ils redescendent sur les régions tropicales,
en ayant perdu leur humidité.
* Selon courrier de l'Académie des Sciences du 31 mars 1980.
Il ne faut pas négliger le rôle joué par les
grandes masses montagneuses du globe sur la formation des déserts,
parfois bien au-delà des zones tropicales. Le premier exemple est
connu : les vents de mousson humides créent une végétation
luxuriante en Asie du Sud-Est, mais sont arrêtés par l'écran
géant du massif himalayen. Le vent arrive desséché
sur l'autre versant et apporte une des raisons de l'aridité dans
une zone de latitude située largement au-dessus du Tropique du Cancer.
Les vents glacés en provenance de Sibérie complètent
l'action de la chaîne himalayenne, et influencent le climat continental
des déserts centrasiatiques.
Les zones arides sont ainsi souvent "prises en sandwich" ; dans
l'hémisphère sud, en Amérique australe, les phénomènes
d'écran montagneux ( la Cordillère des Andes) et de courants
froids sont combinés. Les vents alizés et le courant équatorial
aliment les besoins hydrométriques des forêts équatoriales
de l'Afrique et de l'Amazonie (un peu comme la mousson en Asie, mais en
sens inverse), mais les nuages chargés d'humidité ne peuvent
franchir la Cordillère. Résultat : sur le versant occidental
des Andes, création d'une zone désertique, dont l'aridité
est aggravée par l'action du courant froid de Humboldt qui, venant
de l'Antarctique, fait remonter le désert à la frontière
de l'état d'Equateur, donc jusque dans la zone équatoriale
(voir carte) !
• Des origines à aujourd'hui : les vestiges d'une vie intense.
Lorsque les savants disent que le désert n'a pas toujours
existé, ils sous-entendent "les déserts à leur place
actuelle". En effet, les mouvements des plaques tectoniques qui forment
la croûte terrestre déplacent les continents, les modifient,
en changent le relief, d'une manière imperceptible, mais inexorable.
L'inclinaison de la Terre sur son axe, les réchauffements et refroidissements
successifs qui en ont découlé, les déplacements de
la croûte terrestre, les phénomènes géologiques
et géomorphologiques, tout cela a obligé les zones arides
à évoluer.
Car, je voudrais le souligner, les déserts, dans leur grande
majorité, ne se déplacent pas. Selon moi, les mouvements
tectoniques mettent seulement une partie de la surface terrestre "à
l'intérieur" de la zone géoclimatique d'aridité à
un moment donné, moment pouvant durer des millions d'années,
en rapport avec la vitesse relative de déplacement des masses en
mouvement. Toujours d'après moi, tout déplacement de la croûte
terrestre change l'emplacement des zones arides.
Le climat de la Terre a subi d'importantes modifications selon
les périodes géologiques (glaciations, inter-glaciations
pourraient être considérées, à l'échelle
de l'âge du globe, comme des "accidents climatiques"…), mais la zone
géoclimatique elle-même évolue peu ou prou. Sur les
deux hémisphères, on note la présence constante d'une
"ceinture aride". Ainsi le désert du Sahara devrait évoluer,
selon ma propre théorie, à cause du changement progressif
de sa position géoclimatique (dérive des continents), et
en fonction de l'augmentation ou de la diminution du volume des glaces
polaires.
Il y a environ 18000 ans, l'extension des calottes polaires, qui
pourrait être due à une modification de l'inclinaison de la
Terre sur son axe, réduit la "ceinture aride" de l'hémisphère
nord, et apporte un climat méditerranéen au nord du Sahara.
La rétraction de la calotte du Pôle Nord, il y a 12000 ans
environ, va plonger le désert saharien dans une période d'extrême
aridité, sur une superficie supérieure à l'actuel
désert ; puis une augmentation du volume des glaces couvrant l'Antarctique
fait remonter la ceinture aride australe vers le nord, apportant une période
humide prospère au Sahara. Enfin, il y a 4500 ans, un nouveau réchauffement-rétraction
de la calotte du Pôle Sud remet les "choses en place", et le désert
avec. C'est ce phénomène qui fait évoluer actuellement
la frontière du Sahara plus au sud, et nous en sommes les témoins
impuissants…
La dérive des continents est, toujours à mon avis,
l'une des conséquences majeures des évolutions des climats
continentaux au cours des temps passés et à venir. "Poussez"
la France à la place du Groenland, et le climat subira des modifications
à l'évidence. En fait, ce n'est pas le climat qui change,
mais la position géographique des plaques terrestres à un
moment donné. Ainsi les déserts peuvent-ils coloniser les
dépressions, plaines, montagnes, côtes maritimes ou océaniques,
les îles, selon leur position géoclimatique. Ils ont évolué
localement simplement par la création de barrières orographiques,
elles-mêmes créées par la tectonique des plaques.
Les zones arides ne se contentent donc pas des espaces terrestres.
S'agissant d'une position péritropicale, les espaces marins (mer
d'Aral en C.E.I par ex.) et océaniques, lagunaires même (Lac
Titicaca en Bolivie…) situés dans cette zone sont également
arides; la présence d'îles à climat subdésertique
ou semi-aride confirme bien cette tendance de l'aridité à
occuper une région prédéfinie, qu'elle soit terrestre
ou océanique : Galapagos (Amérique du Sud), Canaries (Afrique
occidentale), Socotra (Mer d'Oman)…
Il existe des "déserts" fossiles, comme à Botucatù
au sud du Brésil (aujourd'hui 1000 à 2000 mm annuels), ou
encore au Vénézuela, régions aujourd'hui à
climat tropical humide ou tempéré. Au Tertiaire par exemple,
un climat subdésertique s'étendait du Nebraska (Chimney Rock)
au Sud-Dakota (Badlands). Les observations et découvertes personnelles
que j'ai pu faire dans de nombreuses zones arides démontrent (s'il
en était encore besoin !) que les paléoclimats étaient
à l'opposé de ce que l'on y connaît à présent
: poissons fossiles, restes de Crocodiles et de Tortues Trionyx au Sahara,
Coraux et Pectens du Dasht-i-Kévir, en Iran, Echinodermes du Jurassique
dans le désert de Thar en Inde, etc. Certains déserts actuels,
comme celui du Thar en Inde, se sont trouvés sous les glaces des
Pôles durant le Carbonifère (région de Bap), d'autres.ont
subi l'effet de transgressions marines, comme le Dasht-i-Kévir,
en Iran. Des portions bien localisées des déserts actuels
de l'Arizona aux USA, du Sahara algérien, du Simpson en Australie
ou de l'Atacama au Chili ont été recouvertes, il y a environ
190 millions d'années, d'immenses forêts, aujourd'hui silicifiées,
"pétrifiées".
Lors du vol de la navette spatiale Columbia en 1981, les photos
radar ont permis de déceler sous le sable de la région de
Namara en Lybie, la présence d'un gigantesque réseau hydrographique
vieux de 35 millions d'années !
• Répartition et Systématique.
Selon les critères (climatiques, phytogéographiques…)
choisis par les spécialistes, le domaine aride recouvre de 18 à
31% de la surface des terres émergées, soit quelque 22 320
000 km2 sans compter les régions polaires.
Il existe plusieurs types de classement des zones arides. Le classement
géographique les subdivise en 6 groupes :
Amérique du Nord,
Amérique du Sud,
Afrique du Nord,
Afrique du Sud,
Asie,
Australie.
C'est évidemment le plus pratique, et cela permet une classification
numérique, biogéographique ou climatique plus rationnelle.
Parmi les autres classifications, on peut citer celle qui sépare
les déserts chauds des déserts froids. Précisons que
ces derniers n'ont rien à voir avec les "déserts polaires",
mais sont liés au fait d'une haute altitude et, ou d'une situation
continentale nettement marquée. La classification selon les critères
d'aridité (hyperaride, aride, semi-aride, subhumide) est encore
très utilisée, mais reste floue, puisque personne n'est vraiment
d'accord pour s'entendre sur la définition précise de l'aridité,
chacun ayant la sienne propre.
Le classement selon le degré d'évapotranspiration
(Capot-Rey 1951) est encore abstrait, mais la combinaison de tous ces éléments
(température, hygrométrie, précipitations, évaporation,
climat, durée de sécheresse, etc.), tout en compliquant la
tâche des chercheurs, devrait leur permettre d'apporter un semblant
de réponse. De fait, les déserts n'ont pas de frontières
d'aridité toutes tracées, et là où un désert
littoral peut être hyperaride, un désert continental peut
se révéler semi-aride.
Nous allons utiliser le classement géographique dans cette
énumération forcément incomplète et très
subjective des régions qui portent le nom de steppe ou de désert,
sans nous occuper, dans un premier temps, de leur degré d'aridité.
L'important est d'abord de bien les situer dans ce que j'appellerai les
principales "masses désertiques" du globe. Le désert en général
pourrait être considéré comme une famille constituée
de divers groupes au sein desquels on trouve des régions bien délimitées,
ayant leur propre "identité" : par exemple, la Vallée de
la Mort dans le désert de Mojave, en Californie (USA).
Il est à noter que les superficies indiquées sont
grossières, et n'expriment qu'une des nombreuses interprétations
de la surface des zones arides, selon les définitions qu'on leur
attribue.
1/ GROUPE AMERIQUE DU NORD (± 1 800 000 km2)
• Grand Bassin : Monument Valley (Utah), Grand Lac Salé
(Utah), Smoke Creek (Nevada), Black Rock (Nevada), Painted Desert (Arizona),
• Mojave : Death Valley ou Vallée de la Mort (Californie),
Amargosa (Nevada),
• Sonora : Anza-Borrego (Californie), Carrizo (Californie), Manzanilla
(Californie), Salton Sea (Californie), Yuma (Californie-Arizona), Gila
(Arizona), Tule (Arizona), Lechuguilla (Arizona), Altar (Sonora, Mexique),
Grand Desierto (Sonora, Mexique), Vizcaino (Basse-Californie, Mexique),
• Chihuahua : Nouveau-Mexique, Texas (USA), Bolsòn de
Mapimi (Coahuila, Mexique),
2/ GROUPE AMERIQUE DU SUD (± 1 100 000 km2)
• Atacama : Tarapaca, Pampa del Tamarugal, Vallée de la
Lune (Chili), Lurin, Sechura, Nazca (Pérou),
• Argentine : Patagonie, Monte, Gran Chaco (Paraguay-Argentine),
• Bolivie : Salar de Uyuni,
• Nordeste brésilien : Sertao, Caatinga,
• Colombie-Vénézuela (zone côtière)
: péninsule de la Guajira,
3a/ GROUPE AFRIQUE DU NORD (± 10 000 000 km2)
• Espagne : Steppe espagnole, Iles Canaries,
• Sahara : Nubie (Egypte), Désert arabique (Egypte), Sahel
(Mauritanie, Mali) Tanezrouft, (Algérie), Ténéré
(Niger), Sirte, Oubari, Murzuk, Sarir, Rébiana (Lybie), Bayuda (Soudan),
3b/ GROUPE AFRIQUE DU NORD (EST)
• Danakil : Ethiopie, Djibouti,
• Kenya : Turkana, Chalbi, Kaisut, Steppe Masai,
• Somalie : Ogaden,
4/ GROUPE AFRIQUE DU SUD (± 600 000 km2)
• Namib : Damaraland, Kaokoland (Namibie), Mossamedès (Angola),
Grand Karoo, Namaqualand (Afrique du Sud)
• Kalahari : Botswana,
• Madagascar : Steppe malgache du Sud-Ouest,
5a/ GROUPE ASIE (PROCHE ET MOYEN-ORIENT) (± 3 600 000 km2)
• Désert d'Arabie : Nefud, Dahna, Rub'al-Khali, El Akhaf,
Hedjaz, Nedjed (Arabie Saoudite), Hadramaout (Yémen),
• Désert de Syrie : Chamiyé (Syrie), Neguev, Judée
(Israël), Sinai (Egypte), Iraq, Jordanie,
• Turquie : Steppe d'Anatolie,
• Désert d'Iran : Dasht-i-Kévir, Dasht-i-Lout,
Kirman, Baloutchistan (Iran-Pakistan),
• Afghanistan : Dasht-i-Margo, Leili, Naomid (Iran-Afghanistan),
• Grand Désert Indien : Thar (Inde), Sind, Cholistan,
Thal, Thalab (Pakistan),
5b/ GROUPE ASIE (ASIE MOYENNE ET CENTRALE) (±2 420 000 km2)
• C.E.I. (ex URSS) : Karakum (Turkménistan), Kyzylkum (Ouzbékistan),
Turkestan, Chilmadekkum (Turkestan), Karynzharyk, Steppe de Karchinska,
Steppe de Mugan, Steppe de Shirvan, Steppes de la faim (Kazakhstan), Steppe
de Nogai,
• Chine : Takla-Makan, Gobi (Chine-Mongolie), Ordos, Pei-Shan,
Ala-Shan, Plateau du Tibet, Tsaïdam, Dzoungarie),
6/ GROUPE AUSTRALIE (± 3 400 000 km2)
• Grand Désert de Sable : Tanami, Canning,
• Gibson,
• Simpson : Sturt Stony Desert,
• Great Victoria Desert : Nullarbor Plain, Ninety-Mile Desert,
7/ GROUPE REGIONS POLAIRES
Bien qu'il ne m'agrée pas, pour des raisons essentiellement
biogéographiques et climatiques, de classifier les régions
polaires parmi les déserts, je ne puis néanmoins les passer
sous silence :
• Zone arctique : Groenland (et dans une certaine mesure, l'Islande),
• Continent antarctique : Vallées sèches.
Cette liste n'est pas limitative, et il existe certainement d'autres
lieux géographiques faisant référence à une
certaine aridité : la Sierra de Guara en Espagne, et même
la Corse (désert des Agriates) !
*
DESERT, UNIVERS DE L'EXTREME.
• Climats : sensations et réalités.
Il m'est souvent arrivé de trouver mon véhicule
(un vélo…) couvert de givre au petit matin. Dans le désert
de Gibson, l'hiver austral peut réserver ce genre de surprise. Plus
commune, mais toujours surprenante, la rosée n'est pas absente des
zones arides, et le désert côtier péruvien a imprégné
plus d'une fois ma toile de tente d'une fraîche condensation.
Cette eau, visible sous forme de givre ou de rosée, ne
peut être enregistrée par les pluviomètres ; pourtant,
dans certaines régions arides, notamment côtières,
elle correspond à un supplément minimum estimé de
40 mm, allant jusqu'à 250 mm d'eau annuels ! Elle apparaît
à la fin de la nuit, et se condense lorsque l'humidité atmosphérique
est élevée, et que la température est encore relativement
basse. Paradoxalement, dans les contrées plus humides, cette rosée
n'est pas toujours présente, car la température ne descend
pas suffisamment pendant la nuit.
Pour cette raison, on peut concevoir des cultures au ras du sol
(tomates, melons, courgettes, pastèques…) dans une région
aride où il n'y a pratiquement pas de pluie, uniquement par l'utilisation
rationnelle de la rosée. D'ailleurs, et nous le verrons plus tard,
la végétation locale s'est adaptée à des endroits
où la pluviométrie est erratique, sinon nulle : Tillandsia
du désert de Lurin au Pérou, Copiapoa du désert d'Atacama
au Chili, Welwitschia mirabilis du Namib, etc.
L'humidité est surtout présente dans les déserts
littoraux, là où l'aridité est provoquée (entre
autres) par la présence de courants froids : le Sahara côte
ouest, l'Atacama au Chili, Le Namib en Namibie, l'Australie occidentale,
la Basse-Californie au Mexique, la Patagonie en Argentine… Ce phénomène
a même un nom au Pérou (la Garùa) et au Chili (la Camanchaca).
En 1976, au mois de juillet, dans le désert de Mojave,
en Californie, la chaleur est infernale. Pourtant des nuages lourds et
noirs annoncent une pluie certaine. La pluie tombe effectivement, sans
arriver jusqu'au sol ; les gouttes sont évaporées avant d'atteindre
le sol surchauffé. En 1993, d'autres nuages arrivent sur les contreforts
des monts Amargosa qui limitent la Vallée de la Mort ; en quelques
secondes, ces nuages s'évaporent sous les yeux ébahis des
témoins, et disparaissent du ciel sans avoir pu approcher la terrible
Vallée. En février 1988, dans ce même désert
californien, les précipitations réussissent à toucher
le sol, mais sous forme d'une épaisse couche de neige !
Il ne suffit donc pas que l'eau tombe, encore faut-il que de nombreuses
conditions météorologiques favorables soient réunies
pour que le désert puisse en profiter…
"Le désert donne la fièvre à ceux qui veulent
prendre sa température !"
Il subsiste dans l'esprit de la plupart des gens, une image tenace
: dans les déserts (et l'on pense au Sahara), il fait chaud le jour,
et froid la nuit. La persistance de cette affirmation tient sans doute
au fait que la majeure partie des voyages et expéditions s'effectue
durant le court hiver saharien. Pour ceux qui l'ont vécue, cette
sensation est créée par le phénomène nycthéméral
d'amplitude thermique et, ou à l'altitude. Le tourisme désertivore
hivernal tend à conforter cette image. La réalité
est tout autre…
Au mois d'août 1966 à Béchar (Algérie),
malgré les climatiseurs, nous devions supporter une température
nocturne de plus de 30°C. Lors de la traversée du désert
de Yuma (Arizona) en juillet 1979, la chaleur diurne est insupportable
(+53°C max. abs.), l'eau de ma réserve atteint +35°C. La
nuit ne sera ni fraîche, ni réparatrice, mais blanche et brûlante
: +36°C. Un autre relevé, communiqué par M. Mainguet
en 1989 : le 29 juillet à Adrar (Mauritanie), la température
est de +49°C. Durant la nuit, elle parviendra à descendre à
un minimum de…+28°C !
Eh oui ! La majeure partie de l'année, dans les déserts
péritropicaux, c'est l'été : il y fait très
chaud le jour, et encore très chaud la nuit (exception faite des
déserts d'altitude, évidemment…). Les températures
diurnes ou nocturnes que l'on y relève sont souvent éloignées
de nos "impressions", qui ne reflètent pas forcément une
réalité climatique. Après avoir supporté des
-50°C, les Inuits (Esquimaux) doivent trouver des -20°C. bien agréables…
On peut donc affirmer qu'il existe des amplitudes thermiques très
variables, mais pas plus importantes dans les régions arides que
dans les zones tempérées. Théodore Monod cite l'exemple
d'une amplitude maxima absolue* de 61.3°C pour Tindouf (Algérie),
et de 63.2°C pour… Lyon (France !).
* (différence entre le maximum le plus élevé
et le minimum le plus bas calculé sur plusieurs années).
Bien sûr, il existe des microclimats très localisés,
et des impressions basées sur une certaine réalité.
Combien de fois me suis-je amusé, en pleine chaleur méridienne,
à creuser dans la dune une litière de quelques centimètres
de profondeur, et me glisser dans sa fraîcheur relative avec délices…
Les sables sont très mauvais conducteurs de la chaleur, et seules
les couches superficielles sont surchauffées. Ce phénomène
est aggravé par le fait qu'il n'existe aucun écran nuageux
ou végétal pour freiner les radiations. Pour les mêmes
raisons, cette chaleur diurne disparaît rapidement après le
coucher du soleil.
Plusieurs nuits passées dans l'erg Mehedjebat (Algérie)
sont glaciales en plein hiver, proches du 0°C, avec une hygrométrie
quasiment nulle (pas de condensation relevée). Le même camp
installé quelques nuits plus tard près du canyon de Tim Meskis
au pied d'une falaise ne donnera pas les mêmes sensations. Le sac
de couchage posé sur une énorme dalle de grès, une
douce tiédeur m'a envahi pratiquement toute la nuit. Sur les hamadas,
au pied des tassilis, la radiation est identique, mais le rayonnement (albedo)
et la réflexion diffusent plus lentement les calories pendant au
moins une bonne partie de la nuit. La roche forme une couche naturellement
thermo-isolante.
L'air au désert n'a pas partout la même densité
et la même température ; les dépressions thermiques
se forment généralement au-dessus de régions très
chaudes. Les tourbillons de poussière ("willy-willy" en Australie,
par ex.) ne sont rien d'autre que de petites dépressions thermiques
très localisées.
Les mirages sont la conséquence de ces masses d'air de
densités et de températures inégales. Les couches
d'air surchauffées sont concentrées au ras du sol et "comprimées"
par des masses d'air froid, plus denses, provoquant la réfraction
de la lumière. L'air chaud infléchit les rayons lumineux,
et reflète une portion du ciel, qui donne l'impression d'une étendue
d'eau ; cette impression est renforcée par le mouvement de l'air
chaud qui vibre.
Des images plus complexes peuvent se former et faire apparaître
des arbres, un village là où il n'y a rien. Le phénomène
du mirage est amplifié par ce que l'on pourrait appeler une double
formation en "périscope". Ainsi, un village caché par un
relief pourra, si le "périscope" se forme en avant de la colline,
donner une image redressés, très déformée,
et offrir le spectacle d'une oasis factice (ou du moins à l'endroit
où on l'observe).
• Espace en mutation : l'alchimie magique.
Comme il existe des forêts pluviales, décidues, taïgas,
forêts tropicales, savanes, forêts à feuilles sclérophylles,
mangroves, forêts steppiques, nébuleuses, forêt-galeries
etc., les déserts peuvent revêtir différents aspects,
essentiellement liés à leur position géoclimatique.
D'une extrême à l'autre, l'une des classifications possibles
est la suivante : désert vrai (hyperaride), désert atténué
(aride, semi-aride), steppe, savane (subhumide), maquis, prairie….
Les types de déserts climato-géographiques les plus
représentatifs sont les déserts dits "chauds", comme le Sonora
au Mexique, les déserts dits "froids" (avec une très forte
amplitude thermique en hiver) comme le Gobi en Mongolie, les déserts
continentaux, comme le Takla-Makan en Chine, et les déserts côtiers
(ou littoraux), comme le Namib en Namibie.
L'aspect minéral du désert est celui qui, immédiatement,
frappe l'œil (ou l'imagination) du voyageur : une immensité pétrée,
revêtant des formes variées, sablonneuses, graveleuses, argileuses,
rocailleuses, salines, au relief uniforme ou tourmenté, à
l'infini.
Ces formes ont toutes une origine géologique. L'étude
des sols (ou pédologie) en rapport avec le climat et la végétation,
permet de constater que l'origine du relief actuel est essentiellement
d'ordre mécanique, les agents chimiques ne pouvant agir efficacement
qu'en présence d'eau. Le vent et l'amplitude thermique vont être
les facteurs déterminants du modelé du paysage désertique
et de son évolution.
Au Sahara surtout, on remarque en tous points des sables en train
de se consolider : nous voyons naître des grès. Ailleurs,
ce sont d'anciens grès qui se désagrègent et redeviennent
des sables. Le matériau primaire des dunes se reconstitue ; le désert
est un perpétuel recommencement.
• L'eau, le vent, le minéral : le Grand Brassage.
Différents types d'érosion agissent sur le paysage
des déserts. Les agents atmosphériques remarquables par leur
action sont l'eau et le vent… L'érosion pluviale est rare, souvent
violente, toujours marquée par le délavement des roches,
et son action est plus destructrice que bienfaitrices. De plus, un sol
dénudé, parfois si dur qu'il paraît bétonné
par les sécheresses successives, accroit la puissance de l'eau qui
ruisselle, devenant vite torrentielle lorsqu'elle dévale les canyons,
emportant tout sur son passage, minéral, végétal,
animal, et même humain dans des inondations spectaculaires. Pour
les habitants du désert, il est malheureusement plus fréquent
d'y mourir noyé que d'y mourir de soif.
Dans le désert Turkana, au Nord-Ouest du Kenya en septembre
1983, la saison sèche perdure. Des nuages d'orage s'installent sur
les collines avoisinantes. Un véritable mur d'eau s'avance, le noir
des nuages provoque l'occultation du soleil. Juste le temps de sortir d'un
gué, et des trombes d'eau s'abattent ; en 20 minutes, la rivière
qui n'était qu'un maigre filet d'eau stagnante devient un torrent
arrachant tout sur son passage. La tourmente s'éloigne, mais les
eaux dévastatrices, ne rencontrant que peu d'obstacles, continuent
à dévaler les collines, prenant de la force avec la vitesse
d'écoulement. La rivière déborde de son lit, devient
un fleuve en furie ; les eaux limoneuses bouillonnent dans un tumulte grandissant,
un bruit assourdissant, charriant des arbustes et des branches d'acacias,
et la piste elle-même, détrempée, n'est plus qu'un
fleuve de boue.
Au petit matin, le sol devenu spongieux, a presque tout absorbé
!…
Le désert est le pays où l'eau se démesure
: toujours trop peu, ou simplement trop !
• Erosions.
Qui peut, mieux que le vent, exprimer le mouvement du désert
? L'érosion éolienne fabrique les cailloutis et les étendues
de sable, un peu comme le robinet qui goutte, et finit par remplir la baignoire.
L'insignifiant crée le gigantesque ; le vent érode, abrase,
éparpille, trie, déplace chaque grain, le polit, l'utilise
comme de la toile émeri ou du papier de verre pour user les montagnes,
adoucir les rochers, leur donnant ce "vernis éolien".
Le vent est omniprésent : il joue avec la matière,
usant les esprits forts, exténuant les corps. Nous savons quelque
chose de ce vent si puissant qu'il apporte du Sahara jusque dans nos contrées
grises et pluvieuses, et par dizaines de millions de tonnes, de la poussière
de sable qui se dépose quelquefois en France ou ailleurs, transformant
nos voitures en véhicules sahariens. Le loess fertile de la Chine
n'aurait pas d'autre origine que le désert de Gobi.
En 1982, un nuage de 1500 km de longueur, observé par satellite
et provenant du Sahara, arriva jusqu'en Floride (USA), où il déposa
de telles quantités de poussière de sable qu'il augmenta
considérablement (et d'une manière pourtant naturelle…) le
taux de pollution ! Ce sont, d'après les spécialistes, 1
million de tonnes qui se déplacent ainsi chaque année sur
l'Europe, 50 millions de tonnes par an sur le monde !…
L'importance de ces vents, autant en puissance qu'en durée,
a conduit l'homme à leur donner presque une âme, en les nommant
: sirocco, ghibli, harmattan, chubasco, khamsin, simoun, bergwind, etc.
Les grandes variations de températures dues à une
forte amplitude thermique entre le jour et la nuit font apparaître
un phénomène de thermoclastie ; selon que la roche est plus
ou moins foncée, plus ou moins dense, l'absorption des calories
sera plus ou moins importante. Les roches se fissurent, les galets éclatent,
puis finissent par se désagréger. Aujourd'hui, on tend à
minimiser l'action de la thermoclastie au bénéfice des agents
principaux, la cryoclastie et la haloclastie.
En présence d'humidité, de rosée, subissant
une alternance "humectation-dessication" en étant constamment imbibés
puis desséchés, les sels minéraux viennent cristalliser
à la surface, colorant les roches, leur donnant ce qu'on appelle
une patine : c'est l'action de l'hydroclastie.
Une altération physique des roches conduit à la
cryoclastie : l'action extrêmement puissante du gel provoque la cassure,
l'éclatement et la destruction rapide de blocs importants. Dans
le désert côtier de Lurin, au Pérou, j'ai pu constater
un type d'érosion caractéristique des déserts littoraux,
la haloclastie ; les galets sont humectés de solution saline, se
fracturent et finissent par se désagréger.
Grâce à une très faible hygrométrie,
les régions arides permettent la conservation de minéraux
à formule hydratée, comme l'opale (Mexique, Australie…),
la turquoise (Iran, USA…), la copiapite et la coquimbite (Chili). Les analogies
minéralogiques dues au milieu : pétrole, bois silicifié…
sont en rapport avec les paléoclimats qui se sont succédés,
et leur évolution. L'aspect économique des minéraux
est loin d'être négligé, et l'homme exploite (bien
souvent au-delà du raisonnable…) les ressources géologiques
des zones arides.
Le paysage du désert semble immuable, mais il se modifie.
Le vent crée la déflation, balayant les débris les
plus fins, qui viennent attaquer les cailloux des plaines et provoquent
sur eux la corrasion par abrasion, laissant sur les hamadas de gros blocs
rocheux bien polis et débarrassés des plus fines particules
minérales. Il ne se trouve pas un seul désert d'où
je n'aie rapporté quelques jolis cailloux à facettes (dreikanters),
polis, modelés par les grains de sable et le vent.
Ainsi se forment, dans une alchimie de matières et d'obstacles,
les paysages fantastiques des zones arides : les ergs sont fait de l'accumulation
des sables dunaires, le reg est constitué du pavage de blocs de
pierres plus ou moins grossier. La hamada, dalle gigantesque ou carapace
d'un plateau rocheux, est un autre paysage typique du désert. Lacs
salés, sols latéritiques, polygones d'argile, etc. font aussi
partie du panorama des régions arides.
• Le paysage au désert : de l'esthétique des formes.
Le désert façonne ses paysages propres, dans une
morphogenèse extrêmement lente, toutefois plus rapide durant
les phases climatiques humides. le relief se crée selon la dureté
des roches (érosion différentielle), édifiant des
inselbergs, mesetas ou canyons… Fréquents, les accidents tectoniques
provoquent des failles et des plissements : la Vallée du Rift, en
Afrique orientale, la faille de San Andreas en Californie, sont des exemples
remarquables des mouvements tectoniques qui animent la surface du globe.
L'un des aspects les plus spectaculaires est le volcanisme, actif
ou éteint ; en Ethiopie, dans le désert de Danakil, une dépression
abrite le volcan Erta'ale, d'où fusionne perpétuellement
un lac de lave. En Algérie, dans le Hoggar, c'est à l'ère
Tertiaire (Cénozoïque) que le volcanisme dépose, dans
un premier temps des laves fluides (basaltes) ; puis des culots de lave
visqueuse (phonolithes, trachytes) bouchent les cheminées qui, par
érosion différentielle, finissent par être dégagées
en dômes ou en aiguilles, donnant le relief typique du Massif de
l'Atakor. Formation identique pour Agathla Peak, en Arizona, à proximité
de Monument Valley…
Dans une période géologique très récente,
il y a environ 1000 ans, un magnifique cratère d'explosion s'est
formé sur les hauteurs enserrant la Vallée de la Mort en
Californie ; une violente déflagration de gaz a entrainé
une pluie de cendres, créant le paysage surréaliste de Ubehebe
Crater.
Présents sur toute la Terre, les impacts météoritiques
sont particulièrement bien conservés dans les zones arides.
Le plus célèbre d'entre eux, à défaut d'être
le plus grand, est Meteor Crater, dans le désert d'Arizona, avec
1300 m de diamètre. Il y a 22000 ans environ, un gigantesque météore
de 2 millions de tonnes déchira le ciel, et à une vitesse
estimée à 70000 km/h, percuta le sol. Le choc fut si terrible
que toute vie animale et végétale fut anéantie dans
un rayon de 160 km, et que les grès choqués, changèrent
de forme, et donnèrent un nouveau minéral, la cœsite.
Il existe également des cratères d'origine météoritique
en Australie, entre Alice Springs et Ayers Rock. Quant à la météorite
de Chinguetti en Mauritanie, on a dû convenir qu'il sagissait en
fait d'une butte de roches sédimentaires n'ayant aucun rapport avec
un quelconque cratère d'impact ou d'explosion.
• Le vent : un architecte plus qu'un destructeur.
Combinée ou non à l'érosion pluviale, l'érosion
éolienne édifie de suberbes ouvrages d'art ; buttes-témoins
(Monument Valley en Utah, USA), pinacles (Sahara algérien, désert
australien), champignons (Ennedi, Tchad), yardangs (désert du Lout
en Iran), cheminées de fées (Nouveau-Mexique, USA), arches
(Utah, USA), etc.
Les formations dunaires qui jouent si bien avec le vent, sont
tellement complexes qu'elles donnent libre cours à une pléthore
de termes pour définir chacune d'elles : erg (ensemble de dunes),
ghourd (massif dunaire en forme de pyramide ou d'étoile), barkhane
(dune en croissant), nebka (microdune créée par la végétation),
aklé (dunes parallèles, comme celles du désert de
Simpson en Australie), draa (chaîne montagneuse composée de
dunes), etc !
• Les cours d'eau et grands fleuves des déserts.
L'étude orographique des zones arides et semi-arides oblige
à constater des traces anciennes, voire récentes de la présence
de l'eau courante. Une grande partie du réseau hydrographique a
une activité réduite et souterraine. Ces sous-écoulements
sont repérables grâce à la végétation
arbustive qui les suit d'une manière apparemment erratique. De nombreux
cônes alluvionnaires (cônes de déjection) attestent
de la puissance torrentielle des eaux courantes de surface à une
époque passée, donnant même l'impression de crues fréquentes.
Vallées et montagnes, glacis, piémonts, restituent
assez bien l'ambiance d'un passé hydrogéologique ; les réseaux
exoréiques, qui débouchent vers la mer, ont un tracé
souvent tortueux (Colorado aux USA, Rio Sao Francisco au Brésil…),
et sont une présence quasi-miraculeuse pour l'homme (le Tigre, l'Euphrate
en Iraq, le Rio Grande entre le Mexique et les USA…), devenant même
le lieu de culte de toute une civilisation (Jourdain en Israël, Nil
en Egypte, Indus au Pakistan…).
Mais les fleuves des déserts n'arrivent pas tous, loin
s'en faut, à rejoindre les océans. L'endoréisme de
ces cours d'eau (Copper Creek en Australie, par ex.) les amène fatalement
à des dépressions fermées (sebkhas, playas, kévirs,
chotts, bolsones…) où l'eau se perd par infiltration et évaporation.
La remontée des sels minéraux et leur concentration par évaporation
de l'eau crée des sols sursaturés, lieux impropres à
l'installation de la plupart des espèces végétales
et animales, sauf pour celles qui sont halophiles ou gypsophiles.
L'arrivée des pluies provoque, on l'a vu, une abondance
de crues, et les lits secs des rivières sont vite submergés.
A cours d'eau périodique, on préférera le terme de
cours d'eau temporaire, car leur apparition et leur débit sont plus
qu'irréguliers, et cela ne dure jamais bien longtemps. Là
aussi, on dispose d'un vocabulaire riche et varié selon les régions
arides pour définir ce type de cours d'eau : arroyos (Mexique),
oueds (Afrique du Nord), wadis (Proche-Orient), creeks (Australie)…
Avant que l'eau ne se retire tout à fait, il peut subsister
en quelques points, des mares, voire des lacs : garas, dayas, gueltas…
Douces, saumâtres ou franchement salées, ces eaux s'infiltrent
dans les profondeurs des sols, ou finissent par se transformer par évaporation
en lacs salés, salars (Amérique latine), lagunas (Mexique),
solontchaks, solonetz (CEI), sebkhas (Sahara), kévirs (Iran), harhas
(Syrie), pans (Afrique australe), sais (Gobi), laagtes (Kalahari)…
L'eau qui disparaît si rapidement en sous-sol donne à
penser qu'en profondeur, de nombreuses nappes phréatiques doivent
subsister. certaines sont en effet à 3 ou 4 m de profondeur ; on
en trouve d'autres à 90 m de la surface (désert du Kalahari,
Botswana). A 2000 m et plus, des nappes d'eau fossile, parfois de véritables
lacs souterrains, sont emprisonnés depuis des milliers d'année
(Oregon aux USA, Lybie, etc.). Ces nappes ont souvent été
découvertes à la faveur de recherches pétrolières.
On ne sait pas dans quelle mesure elles sont complètement fossiles,
et on espère qu'elles soient alimentées, d'une manière
ou d'une autre, ce qui paraît pour l'instant assez peu probable.
L'utilisation de l'eau par l'homme fera l'objet d'un chapitre tout particulier…
DESERT, ESPACE VIVANT.
Voilà un chapitre, pourrait-on penser, sur lequel on ne
s'étendra pas. Quoi dire de la flore, sinon qu'elle est rare ? Evidemment,
si l'on consacrait un ouvrage aux seuls déserts vrais, où
l'hyperaridité règne en quasi permanence, l'étude
biologique serait triste et rapide, et n'aurait qu'un intérêt
limité à quelques rares espèces d'insectes et de bactéries…
Mais est-ce bien intéressant d'écrire un livre sur les déserts
"vrais", si c'est pour dire que la vie y est pratiquement absente ?…
Un premier paradoxe : le grand désert du Sahara possède
à lui seul plus de 1200 espèces de plantes à fleurs.
En fait, le nombre d'espèce ne veut pas dire grand-chose si l'on
ne considère pas également la superficie d'occupation. Peut-on
comparer la Vallée de la Mort (1000 espèces pour 4800 km2,
soit ± 20 espèces/km2) au Sahara (1200 espèces pour
10 000 000 km2, soit ± 0,00012/km2) ? Ces chiffres abstraits sont
néanmoins le reflet d'une certaine réalité de la distribution
phytogéographique. L'étude de la flore des zones arides et
semi-arides fait apparaître une grande diversité, plus marquée
dans les zones "tampons" (écotones) subhumides. Notons tout de même
l'irrégularité de la distribution végétale.
L'étude des paléoclimats fait intervenir entre autres,
celle des fossiles (paléobotanique) et celle des pollens (palynologie).
Les fossiles végétaux, comme les nombreux troncs silicifiés
du Trias (tous les déserts en recèlent) ont entre 190 et
225 millions d'années, et nous donnent une indication assez précise
des anciens climats qui régnaient au début du Secondaire
(Mésozoïque). Les forêts pétrifiées d'Arizona
(USA), d'Aoulef (Sahara algérien), d'Aurus (Namibie), de l'Atacama
(Chili), Coober Pedy (Australie) ou Chamdan (désert de Thar, Inde)
reflètent une troublante analogie chrono-climatique.
La palynologie n'apporte que peu de réponses, parce que
les sédiments lacustres ou tourbeux contenant des pollens semblent
extrêmement rares. Des prospections sont encore à faire
dans ce domaine*…
Des flores relictes, véritables fossiles vivants, existent
encore dans des régions très localisées (Oliviers
et Cyprès du Tassili et du Hoggar au Sahara, par ex.) aux micro-climats
menacés. Les espèces végétales présentes
au désert, mises à part celles qui vivent dans des micro-climats
humides (oasis par ex.), sont adaptées ou en cours d'adaptation
au milieu.
* Suzanne Dupont, UER Nantes, Com. pers. du 4 mars 1982.
• L'univers végétal : n'est pas cactus qui veut !
Il y a plusieurs dizaines de millions d'années, les plantes
des déserts d'aujourd'hui se trouvaient pour leur majeure partie,
en zone tropicale humide, et composaient une végétation luxuriante.
Peu à peu, le climat change, imperceptiblement, mais inexorablement
; certaines régions voient leur régime de pluies diminuer,
les précipitations devenir exceptionnelles. Lentement, au cours
de centaines de milliers d'années, le paradis tropical va se transformer
en un enfer : le désert…
Heureusement, le temps et l'évolution vont permettre aux
plantes (aux animaux et à l'homme…) de supporter ces transformations
du milieu humide en milieu aride : les plantes annuelles comme les pérennes,
les arbres comme les herbes. Et à chacune leur méthode !
L'adaptation des plantes à un milieu aride (ou humide,
ou froid…) semble avoir été d'abord une sélection
naturelle des individus résistants aux changements de climat, même
subits, suivie par une adaptation sélective, éliminant des
genres ne pouvant plus s'adapter à un nouveau type de climat.
Lors de l'hiver 1985 à Nantes en Loire-Atlantique, le gel
et surtout l'humidité ont détruit les 2/3 de ma collection
de plantes succulentes en serre froide (et non maintenue hors-gel) : la
température maximale extérieure était tombée
à -17°C, et l'intérieur de la serre accusait un minimum
de -9°C. Seuls les jeunes semis, les plantules (toutes espèces
et provenances confondues) résistèrent à ces basses
températures temporaires, et permirent la régénération
de la quasi-totalité de la collection.
Les plantes arrivées à un tel degré d'adaptation,
les plantes "récentes", apparues vers la fin du Tertiaire, début
du Quaternaire, comme les Cactacées, les Orchidacées (ce
qui correspond d'ailleurs à l'installation géoclimatique
des déserts d'aujourd'hui), paraissent si évoluées,
qu'un brutal changement des conditions climatiques peut les faire
disparaître.
En fait le constat de régénération des populations
après des conditions adverses mortelles pour des plantes adultes,
démontre que ces végétaux "supérieurs" n'ont
pas terminé leur évolution, et pourraient semble-t-il (par
mutation ou autre…) s'adapter à de nouveaux climats. A condition
que l'homme n'interfère pas avec ces conditions : le défrichage,
la déforestation, le brûlis, le pâturage, etc.
Evidemment, des périodes prolongées de sécheresse
peuvent faire disparaître des flores entières, des associations
végétales complexes. A cause de ces fluctuations extrêmes,
il est probable qu'à un certain degré, l'élimination
naturelle de certaines espèces inadaptées est irréversible
(phénomène global d'évolution biologique de la planète),
et que la recolonisation de ces régions, si elle est possible, ne
se fera pas avant de longues périodes géologiques, et à
la seule condition (plus qu'hypothétique !) que l'homme n'intervienne
pas…
• Stratégies pour la survie.
Bien avant qu'ils ne soient exposés aux "ceintures arides",
les végétaux ont commencé à combattre la sécheresse
et la chaleur par des moyens spécifiques ; mais la lutte n'offre
qu'une alternative : échapper à l'aridité ou résister.
Autrement dit, nous allons trouver des "déserteurs" et des "résistants"
dans la "guerre du désert"…
Les premiers ont pris ce qui semble la meilleure et la plus simple
des solutions : échapper à l'aridité. cela n'implique
pas des moyens extraordinaires pour lutter contre l'adversité, la
seule adaptations, car c'en est une, étant de rester dans le sol
à l'état de graines, "espérant" la prochaine ondée
qui permet, si elle est suffisante, de provoquer la germination, puis la
floraison, donc le chemin vers la reproduction. certaines plantes annuelles
sont en effet capables d'attendre plusieurs années de suite, sans
dommages pour les graines, la pluie salvatrice qui les fera germer. le
tégument est suffisamment épais pour les protéger
de la dessication. Par exemple, le cycle de reproduction d'une plante saharienne
est si court que, de sa naissance à la production de graines, il
s'écoule une semaine. Une véritable course contre la montre
!
Grâce à un système de vis sans fin dont le
fonctionnement est lié à l'hygrométrie, certaines
graines s'enterrent en se vissant dans le sol, comme l'Aristida
des déserts australiens, ou les Pelargonium d'Afrique
australe ! Les fruits des Mésembryanthémacées d'Afrique
du Sud sont des capsules à loges capables de libérer leurs
graines uniquement en fonction des précipitations.
D'autres essayent de mettre toutes les chances de leur côté
en voyageant : c'est le vent qui dissémine les graines volantes
des Composées, Asclépiadacées ou Apocynacées.
Les minuscules graines d'une Portulacacée succulente, Calandrinia,
sont parfois transportées par les oiseaux (qui sont friands des
feuilles charnues) dans leurs plumes ! Celles des fruits de nombreux cactus
seront évacuées dans leurs excréments. La Tourterelle
à ailes blanches (Zenaida asiatica), permet ainsi
la propagation des graines de Carnegiea gigantea, le cierge
géant d'Arizona.
En fait, il est souvent nécessaire, voire indispensable
pour de nombreuses graines, de subir ce traitement, car leur tégument
protecteur est tellement épais qu'il a besoin d'être passé
au laminoir des systèmes digestifs de la faune locale. Adansonia
digitata, le baobab africain, doit sa survie aux chauve-souris
qui le fécondent, mais aussi aux Babouins (Papio cynocephalus)
qui sont friands de ses fruits, et dont les graines dispersées dans
leurs excréments, trouvent là un excellent terrain nutritif
pour germer !
• Cactus : une vie de chameau !
Lorsque l'on évoque les cactus, on aborde les "résistants"
du désert, les plantes qui ont dû s'adapter pour survivre
durant les longues périodes de sécheresse que connaissent
les zones arides. D'ailleurs, les Cactées ne sont pas seules capables
d'un tel exploit, mais aussi de nombreuses autres plantes succulentes (pleines
de suc, c'est-à-dire de réserves d'eau et de nourriture).
Certaines possèdent des graines voyageuses ; ainsi, les
capsules des Euphorbes africaines explosent littéralement pour libérer
leurs graines, et les minuscules cactées brésiliennes Fraileaont
des graines suffisamment grandes et légères pour se disperser
lors des inondations temporaires de l'été austral !
Les semences de végétaux nés dans les déserts,
et vivant en symbiose permanente avec leur milieu, sont capables d'une
très grande longévité, conservant durant plusieurs
années (jusqu'à 23 ans pour Sclerocactus) leurs
facultés germinatives. Cela assure à ces plantes d'être
disséminées à des dizaines, voire des centaines de
kilomètres de distance, et leur descendance est susceptible d'attendre
un temps suffisamment long avant que les conditions requises pour une germination
assurée et viable soient réunies : de l'eau, de l'ombre,
l'endroit idéal.
Certaines cactées comme Ferocactus ou Carnegiea
peuvent conserver un pouvoir germinatif de plusieurs années. Mes
propres expériences sur des graines de ces espèces m'ont
permis de constater qu'elles pouvaient fort bien germer sept ans après
leur récolte. Il est probable que dans la nature hostile qui les
a engendrées, ce temps doit être encore plus long.
L'une des plus extraordinaires adaptations est celle des plantes
capables d'emmagasiner des réserves d'eau dans leurs cellules durant
la saison humide, et d'en vivre pendant la saison sèche, tout en
se protégeant de la chaleur, de la sécheresse, du soleil
et des animaux. Beaucoup d'entre elles vont accomplir de véritables
miracles…
Le désert d'Atacama en Amérique du Sud, est considéré
comme le plus sec du monde ; au Pérou et au Chili, dans certaines
régions, il n'a pas plus durant 30 années. Pourtant, dans
la Cordillère des Andes, à plus de 3800 m d'altitude, vivent
des plantes et des insectes ; les arbres ont souvent plusieurs siècles,
mais l'aridité et l'altitude élevée les ont condamnés
à rester les nains les plus hauts du monde ! Ils sont par la force
des choses, devenu de petits "bonsais" naturels.
Il fait également très froid sur les hauts-plateaux
andins, et le genre Tephrocactus a trouvé une parade
"géniale" à cette agression : la viscosité de la sève,
les pertes en eau durant les périodes de sécheresse, et surtout,
la très faible hygrométrie de ces déserts (3% ou moins
dans le désert d'Atacama au Chili !) permettent d'abaisser le seuil
de gel des tissus végétaux. Et non seulement il supporte
les grands froids secs, mais il en a besoin ! En effet, les graines de
Tephrocactus doivent subir une vernalisation, une période de gel
intense pour pouvoir germer ! On s'adapte à tout, même
au pire…
• Il y en a qui sont dans le brouillard, et il y en a qui réfléchissent…
Une Broméliacée (famille de l'Ananas), Tillandsia,
se contente de la garùa, brouillard côtier péruvien,
en absorbant , et surtout en condensant l'humidité de l'air sur
ses feuilles : 30 ans sans pluie, cela ne veut pas dire 30 ans sans eau
! Cette eau précieuse, on la capte, on la synthétise, on
la concentre et on la garde. Tant pis pour ceux qui ne savent pas se débrouiller
! Celles-là vivent dans le brouillard, ne boivent que de l'eau,
et s'en portent très bien !
Sur la côte désertique de la Basse-Californie au
Mexique, accrochée à des falaises, une Crassulacée,
Dudleya
pulverulenta, est couverte d'une pruine cireuse blanche comme de
la craie, hydrofuge, c'est-à-dire qui chasse l'eau ! C'est donc
la condensation de l'humidité de l'air qui va glisser sur les feuilles
et nourrir la plante à sa base, le trop plein d'eau étant
évacué par la pente. La pruine a surtout pour effet de réfléchir
les rayons du soleil sur un épiderme qui n'est protégé
par aucune ombre environnante.
La récupération de l'eau, indispensable à
la survie dans le désert, a conduit les Succulentes à développer
un système radiculaire simple et uniforme, mais qui a fait ses preuves.
La capacité de stockage de l'eau varie évidemment
selon les espèces. Un petit Mammillaria n'aura pas
les mêmes besoins que l'immense Carnegiea gigantea
qui peut stocker plus de 3 tonnes d'eau dans ses cellules. Le système
racinaire a été spécialement "étudié"
pour permettre aux cactées d'absorber rapidement de grandes quantités
d'eau : la racine principale, généralement pivotante et bien
enfoncée profondément dans le sol, est souvent énorme,
mais peu ramifiée ; en revanche, les racines secondaires et radicelles
se déploient à quelques centimètres de la surface
du sol, mais à plusieurs mètres de distance de la plante.
Cette ingénieuse architecture permet aux cierges géants d'Amérique
du Nord (Carnegiea, Pachycereus…) et d'Amérique du
Sud (Cereus, Trichocereus…) de se maintenir droits malgré
les intempéries, tout en absorbant par les nombreuses radicelles,
l'eau d'une pluie même insignifiante. Et pour améliorer la
captation des précipitations, de nombreuses racines sont disposées
à la base de la plante, autour du collet ; elles profitent des coulées
de condensation ou d'une légère pluie ruisselant sur la tige.
L'eau s'accumule aussi en pénétrant par l'épiderme
de la plante. Chez les Cactées, la carte d'identité, c'est
l'aréole, organe unique dans le monde végétal, "coussinets"
où s'articulent aiguillons, glochides (aiguillons microscopiques),
soies, poils, et où naissent fleurs et fruits. Les aiguillons sont
de merveilleux capteurs d'eau de pluie ou même de condensation, brouillard
côtier dans le désert d'Atacama au Chili ou rosée nocturne
dans le désert de Sonora au Mexique. Le système pileux de
certaines espèces (Oreocereus) les protège
des ultra-violets le jour, et accumule l'eau de condensation qui se forme
la nuit. Les aréoles (rendues presque invulnérables grâce
à la protection de leurs aiguillons) sont chargées de récupérer
le précieux butin, qui sera stocké dans des cellules spéciales
qui composent ce qu'on appelle le parenchyme aquifère : un tissu
aqueux, presque toujours sans chlorophylle. Les tissus chlorophylliens
sont eux, situés sur la tige (il n'y a pas de feuilles !), à
la surface de la plante pour effectuer les échanges gazeux, autrement
dit pour réaliser la photosynthèse.
Mais ce n'est pas tout ! Pour réaliser cette photosynthèse,
les cactus ont trouvé le moyen extraordinaire d'inverser le cycle
de leur métabolisme : ils respirent à l'envers des autres
plantes ! En effet, c'est durant la nuit, plus clémente au désert
et contrastant avec les journées torrides, qu'ils ouvrent leurs
stomates (pores) : la perte d'eau est moindre, car l'évaporation
de l'eau, la transpiration se fait à des températures plus
basses. Mais comment peuvent-ils opérer les échanges gazeux
nécessaires à la vie de tout être végétal,
ceux-ci s'effectuant le jour, avec l'indispensable lumière du soleil
?
Là encore, le miracle s'accomplit : pour pouvoir absorber
le dioxyde de carbone (CO2) pendant la nuit, les cactus fabriquent des
acides organiques qui augmentent considérablement le taux d'acidité
de la sève. Bien que leurs stomates soient fermés le jour,
et grâce au niveau d'acidité élevé des cellules,
le dioxyde de carbone va être assimilé sous l'influence de
la lumière solaire, et le taux d'acidité va redescendre de
nouveau. C'est ce que l'on appelle le C.A.M. (en anglais Crassulacean Acid
Metabolism), cycle présent chez toutes les Succulentes, dont fait
partie la grande famille des Cactacées. Voilà comment elles
peuvent ainsi réduire leurs pertes en eau. Certaines espèces
sont ainsi capables de supporter 60 à 70% de pertes hydriques sans
dommages.
Ainsi, parce que les cactus font des réserves d'eau (qui
représentent jusqu'à 95% de leur poids total !…), on a longtemps
cru qu'il suffisait de les ouvrir pour boire. Le nom de "cactus-tonneau"
(Ferocactus) évoque d'abord la forme et non son contenu
! En fait, en pressant un cactus (après l'avoir épluché…),
on récupère quelques gouttes d'un jus tellement amer et acide,
liquide mucilagineux infâme, qu'il suffit à décourager
n'importe quel voyageur tentant l'expérience pour étancher
sa soif ! Par contre, la cuisson permet d'obtenir, dans certains cas, de
très bons résultats : au Brésil, dans le Nordeste,
ils sont consommés bouillis, comme des légumes ; au Mexique,
on frit de jeunes et tendres raquettes inermes de nopal (Opuntia ficus-indica),
et aux USA, ainsi qu'en Basse-Californie, on fabrique des pâtes de
fruits avec la pulpe de certains Ferocactus.
• L'adaptation au désert : un problème épineux
!
Chez les Cactées, les aiguillons improprement appelés
épines, sont tout simplement des feuilles modifiées, persistantes
chez les Cactées primitives comme Pereskia, atrophiées
et caduques chez le genre Nopalea. Les vraies feuilles ont
presque complètement disparu chez Cylindropuntia,
pour laisser la place à de superbes aiguillons qui ornent tout l'épiderme
de la plante. La tige a également changé au cours de leur
évolution, pour prendre la forme d'un accordéon (bien pratique
pour les cures d'amaigrissement forcées en période de sécheresse),
d'un tonneau (mais on n'y stocke que de l'eau…), d'un cierge ou de candélabres,
et même, chez les Cactées tropicales, de fausses feuilles,
qui sont en fait de vraies tiges (par exemple les Epiphyllum).
On s'accorde généralement à dire que les
aiguillons des cactus sont une protection contre les prédateurs,
mais ce n'est pas toujours vérifié. Notons que sans armes
épineuses, Lophophora williamsii ou Peyotl, sait fort
bien se défendre contre les herbivores, en élaborant des
substances alcaloïdes toxiques, néanmoins utilisées
par certaines tribus indiens du Mexique (les Tarahumaras et les Huicholes
entre autres) comme drogue hallucinogène dans des cérémonies
à caractère religieux. dans son cas, les aiguillons, devenus
inutiles, sont simplement remplacés par des touffes de poils.
Pourtant, de nombreux habitants du désert américain,
Rats, Lézards, Tortues, dévorent les chairs juteuses des
cactus sans se préoccuper le moins du monde de leurs aiguillons.
Alors, à quoi servent-ils ?
Si ce sont des feuilles modifiées, c'est notamment pour
éviter de présenter une surface trop importante d'où
l'eau pourrait s'échapper ; on réduit donc la surface d'exposition
au soleil, avec une tige arrondie et des aiguillons. Mais on ne s'arrête
pas en si bon chemin ; les aiguillons des cactées tiennent plusieurs
rôles, dont celui de pare-soleil, comme une jalousie, en faisant
de l'ombre sur la plante.
Ils vont également permettre au cactus de récupérer
l'eau de pluie et la rosée du matin : ils servent à la fois
de capteurs et de condensateurs. Plus étonnant encore, ils peuvent
s'accrocher au poil d'un animal grâce à une extrémité
recourbée ou des formes de harpons microscopiques (glochides), pour
emmener au loin un fragment de la plante-mère, qui deviendra bouture
dès que l'animal aura réussi à se débarrasser
de son "passager clandestin". C'est une méthode couramment employée
par les Cylindropuntia d'Amérique du Nord, à
tel point qu'on les surnomme "Jumping chollas", ou cactus sauteurs ! Une
nouvelle plante est même capable d'apparaître d'un fruit stérile
qui s'est auto-bouturé !
Si les aiguillons ne semblent pas suffisants, les cactées
fabriquent alors des poils, des soies qui récupèrent l'eau
tout en protégeant l'épiderme des ardeurs solaires. D'autres
s'enduisent d'une épaisse couche cireuse ou d'une pruine pour éviter
le dessèchement, tout en réfractant la lumière et
la chaleur : c'est le cas de Copiapoa au Chili, qui vit généralement
en plein soleil, sans protection.
Et serait-ce ce donc pour se rafraîchir que l'Echinofossulocactus
mexicain s'est transformé en… radiateur automobile ? Ces espèces
hérissées d'aiguillons croissent généralement
à l'ombre d'arbustes ou dans les prairies ; leur corps est composé
de fines côtes ondulées, qui atteignent le nombre incroyable
de 120 chez le bien nommé Echinofossulocactus multicostatus
! Pourquoi autant, puisque la nature ne fait jamais rien au hasard ? Il
serait amusant de croire que, par une curieuse forme adaptative, les Echinofossulocactus
ont trouvé là un moyen original pour soustraire leur épiderme
à la chaleur environnante, en simulant un circuit de refroidissement
par air ! Réalité ou fiction, la lutte est sévère,
et tous les moyens semblent bons pour résister à l'enfer
du désert.
• Parfums et poisons.
L'aspect rébarbatif des cactus n'est pas leur apanage.
Certaines autres Succulentes, notamment Euphorbia, prennent
un aspect cactiforme, pour arriver à survivre, de la même
manière, à tel point qu'on les confond souvent. Elles se
défendent également en fabriquant un latex blanc caustique,
très toxique, pour éloigner les herbivores. Les fleurs des
Euphorbes sont minuscules, voire insignifiantes, mais elles sécrètent
un nectar qui attire de nombreux insectes. Le nectar, c'est un peu la récompense
de l'aide accordée. Il peut même servir à détourner
l'attention des fourmis lorsqu'il est situé dans des glandes à
nectar (Coryphantha, Ferocactus), et laisser le nectar floral
aux insectes professionnels.
Il faut séduire les pollinisateurs qui permettront aux
fleurs d'être fécondées et de perpétuer les
espèces. Les Lithops d'Afrique du Sud, qui se cachent
pendant l'hiver austral, jusqu'à être confondus avec les pierres
du Namaqualand, fleurissent soudainement pour plaire aux insectes amis.
Les principales espèces de Mésembryanthémacées,
et notamment celles qu'on surnomme les "plantes-cailloux" se soustraient
aux herbivores la majeure partie de l'année par un mimétisme
extraordinaire, et se parent de couleurs vives au moment de la floraison,
de telle manière que la plante charnue disparaît sous les
fleurs. Au Texas et dans le nord du Mexique, Ariocarpus fissuratus
emploie une ruse similaire, avec en plus des alcaloides toxiques pour ne
pas être dévoré : il a mérité son surnom
de "Living Rock" (Rocher vivant).
Dans les zones arides ou semi-arides, le moyen le plus sûr
pour se faire repérer est d'arborer des fleurs de couleurs vives
au moment précis où les pollinisateurs sont en activité
: le temps, c'est de l'énergie gaspillée. Aussitôt
fécondée, la fleur ne tarde pas à se faner. L'odeur
est également un stratagème efficace pour tromper son compagnon
d'une journée (ou plus souvent d'une nuit…). Beaucoup de fleurs
de cactées sont délicatement parfumées, et celles
du cierge géant d'Arizona, le Saguaro (Carnegiea gigantea),
restent ouvertes durant la nuit pour profiter de la fraîcheur nocturne
et être pollinisées par des chauve-souris (Eptesicus
fuscus). L'odeur de la fleur rappelle celle de la chauve-souris
femelle…
Les fleurs diurnes des cactées sont généralement
très colorées, car elles doivent se faire remarquer par d'éventuels
visiteurs, somme toute assez rares dans les régions arides. Pourtant,
celles du Carnegiea sont blanches : en effet, pour séduire
la nuit, la couleur n'a plus d'importance, tous les chats sont gris, et
toutes les fleurs nocturnes des cactées sont blanches et dégagent
presque toujours un parfum violent et capiteux. On se farde peu, mais on
se parfume à outrance pour attirer les amants d'une nuit, Noctuelles
ou Chiroptères.
A chacun son parfum : les Stapéliées des déserts
d'Afrique australe et leurs magnifiques fleurs en étoile ont trouvé
la forme, la couleur, et surtout l'odeur idéale pour être
prises pour de la viande en décomposition, car elles dégagent
une épouvantable odeur de charogne. Ce qui attire immanquablement
les spécialistes de la question, de la grande famille des Diptères
: les Mouches à viande (restons polis…), les Mouches à vinaigre
(Drosophiles), bleues ou vertes, etc.
Mais quelle ingratitude : les Succulentes ainsi fécondées
ne laisseront aucune chance aux œufs déposés par les Mouches.
Ne trouvant pas le support nutritif habituel, ils ne dépasseront
jamais le stade larvaire. Voilà un efficace contrôle des naissances
!
Si Darwin est passé par là pour tenter de nous expliquer
un peu de l'origine et l'évolution des espèces, il nous est
encore bien difficile de savoir qui s'est adapté à qui. L'interaction
entre milieu aride, faune et flore spécialisée est indéniable.
La forme des fleurs est étudiée dans une totale maîtrise
de la chose : le long tube floral des Aloe d'Afrique est
tout à fait conforme au bec recourbé des oiseaux qui les
fécondent, les Souïmangas (Nectarinia). Le bec
des diverses espèces de Colibris leur permettent de polliniser les
genres Agave aux USA et au Mexique, Borzicactus
en Bolivie, ou même Melocactus au Brésil (Chrysolampis
mosquitus).
Dans le désert, les contrats d'assistance mutuelle arrivent
parfois à un degré tel que la spécialisation à
l'extrême crée le danger de disparition des espèces
: Yucca brevifolia, l'arbre de Josué du désert
de Mojave en Californie, a pris un énorme risque en n'acceptant
qu'un seul et unique pollinisateur, la Phalène du Yucca (Tegeticula).
Si le Papillon disparaît, pour quelque raison que ce soit, Yucca
brevifolia, ayant perdu son unique agent reproducteur, sera irrémédiablement
condamné à s'éteindre.
L'adaptation par la convergence des formes est une étude
passionnante. Elle explique les confusions souvent faites par les néophytes
qui confondent allègrement agaves et aloès, cactus et euphorbes
: on s'y tromperait ! Que dire du genre Yucca, du Mexique
et des Etats-Unis, qui imite à la perfection (à moins que
ce ne soit le contraire !) Xanthorrhoea d'Australie.
Il existe de nombreuses autres formes d'adaptation des végétaux
au milieu aride, comme les Sélaginelles (Selaginella lepidophylla
par ex.), très proches des Fougères, et vivant néanmoins
dans le désert de Chihuahua au Mexique, sur un sol calcaire. A noter
que la plante vendue dans le commerce sous le nom trompeur de "Rose de
Jéricho" est en fait une Sélaginelle, et que la vraie Rose
de Jéricho est une Crucifère (Anastatica hierochuntina).
Tous les types de sols, même les plus ingrats, semblent pouvoir accueillir
des végétaux. Yucca elata pousse jusque sur
des dunes de gypse pur à White Sands, au Nouveau-Mexique (USA).
En Iran, je suis tombé en admiration devant des tapis de
Tulipa
greggii, qui survit à l'aridité des collines du Dasht-i-Kévir
grâce à son bulbe, organe souterrain qui constitue les réserves
de la plante. Sur les sols salés du désert iranien, une plante
halophyte s'est adaptée à des conditions toutes particulières
: Salsola crassa. Une autre soude des steppes soviétiques
s'est retrouvé un beau jour dans l'Ouest américain, et s'est
installée sur les "salt lakes" des déserts de Mojave, Sonora,
Chihuahua et Grand Bassin ; ce qu'on appelle "tumble-weeds" dans les westerns,
et qui roule sans fin, poussé par le vent, n'est qu'une soude soviétique,
Salsola
kali !
On ne s'attend pas non plus à trouver des arbres dans les
déserts, sauf dans les oasis. Pourtant, là encore, il y a
adaptation au milieu semi-aride, voire aride : Bursera des
déserts mexicains, Commiphora des déserts arabiques,
Adansonia
(Baobab) des "déserts" africains, malgaches ou australiens, Chorisia,
Cavanillesia ("arbres-bouteilles") du Nordeste brésilien
gonflent leur tronc d'une manière exagérée pour garder
les précieuses réserves de nourriture et d'eau en période
de sécheresse.
D'autres, comme ceux de la famille des Acacias*, réduisent
leur surface foliaire, jusqu'à la perdre totalement en saison sèche.
Acacia
drepanolobium des steppes du Kenya, possède des galles habitées
par des fourmis à la morsure urticante, qui protègent le
mince feuillage de certains herbivores trop entreprenants (pas tous, la
Girafe leur tire la langue) ! Les Prosopis des déserts
nord-américains (Prosopis juliflora, glandulosa),
sud-américains (P. tamarugo), ou du désert
de Thar (P. cineraria) vont chercher l'eau à l'aide
de leurs puissantes racines jusqu'à 25 m de profondeur, voire plus.
* Nos "mimosas" sont des acacias australiens (Acacia dealbata)
apportés en Europe par les premiers explorateurs. Le vrai mimosa
est la sensitive mexicaine, Mimosa pudica.
Il est des déserts qui ne méritent pas leur nom,
en regard de la végétation qui les recouvre. Certaines de
ces régions semi-arides, en Australie, en Afrique australe ou en
Amérique du Sud, sont victimes de feux de brousse, le plus souvent
provoqués par l'homme, comme celui gigantesque de janvier 1994 dans
le bush australien. Encore une fois, il y a adaptation au phénomène,
au départ naturel, apporté par la foudre.
Des plantes bizarres survivent sous la terre grâce à
d'énormes organes souterrains ou caudex, et n'offrent périodiquement
aux feux que quelques maigres lianes à brûler. Ce n'est pas
une famille de plantes, mais simplement une classification adoptée
selon leur convergence adaptative. Ces plantes dites caudiciformes semblent
avoir développé séparément, mais dans des milieux
d'apparence identique (savanes arbustives épineuses), une stratégie
propre au danger d'incendie. Le feu a donc en quelque sorte obligé
la flore à une adaptation sans pareille.
La partie aérienne brûle et disparaît ? Qu'importe
: c'est sous le sol que la plante vivra, à l'aide de réserves,
jusqu'aux prochaines pluies. Le caudex (mais le bulbe aussi…) permet la
survie pendant et après le feu. Généralement, la foudre
qui a allumé le feu se voit doublée par l'orage qui en découle
et qui éteint l'incendie (ce que les feux humains ne permettent
pas. C.Q.F.D.). Double avantage : tout danger étant écarté,
l'eau profite à la plante qui repart en végétation,
développant à nouveau feuilles, vrilles, tiges aériennes
et lianes sur un sol enrichi de cendres. Les plantes caudiciformes et bulbeuses
sortent gagnantes de ce combat enflammé.
Certains arbustes australiens (tel Grevillea eryostachya,
une Protéacée), ne peuvent germer qu'après avoir subi
l'épreuve du feu : les graines doivent avoir brûlé
pour induire leur germination !
Quant à la neige, elle est moins rare qu'il n'y paraît,
et dans les déserts à climat continental (désert du
Grand Bassin aux USA), ou les déserts d'altitude (Andes en Amérique
du Sud ou massif du Hoggar au Sahara), le froid et la neige ou la glace
sont choses relativement courantes.
Le climat des déserts du Grand Bassin est rigoureux en
hiver. La raison en est l'altitude moyenne des plateaux, qui se situe entre
1600 et 2300 m (Grand Canyon, Plateau du Colorado). En été,
la température peut atteindre +38°C à l'ombre. Les précipitations
annuelles y sont très irrégulières (entre 130 et 410
mm), et au contraire des déserts de Sonora ou Chihuahua qui ont
des pluies d'orage estivales, elles tombent essentiellement durant la période
hivernale.
Or, en hiver, les vents glacés en provenance du Canada
s'engouffrent entre la Sierra Nevada et les Montagnes Rocheuses, abaissant
considérablement les températures (de -18°C à
-23°C) ; les précipitations sont reçues sous forme de
brusques et violentes tempêtes de neige. Les amplitudes thermiques
sont très importantes, car si l'absence de nuages réchauffe
rapidement le sol pendant la journée, l'énergie thermique
emmagasinée rayonne à nouveau vers le ciel et abaisse très
rapidement
la température.
Peu de plantes sont adaptées à des conditions aussi
sévères et à des amplitudes thermiques aussi prononcées.
Lorsqu'une tourment de neige s'abat sur le plateau, les végétaux
disposent d'une couche protectrice qui va leur permettre de supporter les
rigueurs du climat. D'autre part, ce sera un apport d'eau non négligeable
au printemps, lors de la fonte des neiges ; dès la fin du mois de
février, dans les vallées les plus basses, le désert
fleurit déjà (observation locale J.L., février 1988).
Des annuelles comme Castilleja chromosa et même des
champignons comme Tulostoma simulans apparaissent !
Les Succulentes qui vivent dans ce milieu contrasté sont
des colonies éparses d'Agave utahensis et ses variétés,
Yucca
angustissima, et des Cactacées comme Coryphantha vivipara,
Sclerocactus mesae-verdae, S. whipplei, Cylindropuntia whipplei, Echinocereus
fendleri, Opuntia erinacea, Opuntia fragilis, O. phaeacantha, O. chlorotica,
O. polyacantha, Pediocactus (toutes espèces), etc. Les graines
issues des floraisons tardives et non récoltées par leurs
consommateurs semblent être celles qui vont avoir la lourde responsabilité
de perpétuer les espèces, devant subir, on l'a vu,
une période de gel intense pour pouvoir germer. Ce qui surprend
aussi est leur faculté germinative, qui atteint un quart de siècle
chez Sclerocactus !
Dans le désert du Nevada, à la frontière
de la Californie et de l'Arizona à pareille époque, la neige
recouvre la majeure partie des zones d'altitude, et d'autres Succulentes
doivent subir les assauts du froid, entre autres Nolina bigelowii,
Yucca schidigera, Y. brevifolia, Cylindropuntia echinocarpa, Echinocactus
polycephalus, Echinomastus johnsonii, etc. Plus au sud, à
Tucson même, dans le fameux Saguaro National Monument, de soudaines
tempêtes de neige s'abattent sur la région, le plus souvent
en janvier et février, recouvrant d'un manteau immaculé Carnegiea
gigantea, Cylindropuntia acanthocarpa, Ferocactus wislizenii, Mammillaria
microcarpa, et le célèbre Jojoba ou Simmondsia
chinensis, des gelées meurtrières provoquant parfois
leur mort, ces espèces ne pouvant supporter longtemps d'importants
écarts de température. Il est vrai que pour pouvoir résister
à de telles amplitudes thermiques (parfois 40 à 50°C
de différence entre le jour et la nuit !), l'hygrométrie
atmosphérique doit être quasiment nulle, et seules les couches
superficielles du sol sont temporairement gelées, et surtout très
vite réchauffées par le rayonnement solaire.
Ces conditions sévères sont, pour les espèces
les plus évoluées, un "cul-de-sac adaptatif", et si certaines
sont déjà en grand danger d'extinction, compte tenu de leur
faible reproductivité, et de la pression de la collecte ou de l'activité
humaine, un changement brutal des micro-climats locaux peut faire disparaître
très rapidement ces plantes extraordinaires…
• Le sens de l'harmonie : la biocénose.
Lorsque le grand cierge d'Arizona (Saguaro) ou Carnegiea
gigantea fleurit, le pollen se partage entre les besoins de la
reproduction et la nourriture de l'agent pollinisateur : il y en aura bien
assez pour tout le monde ! Les 3400 étamines de Carnegiea
gigantea produisent suffisamment de pollen pour satisfaire les
exigences des nombreux fécondateurs (insectes, oiseaux ou Chiroptères)
qui lui assurent la pérennité. Toute une communauté
vit grâce au cactus, qui lui crée un environnement protecteur.
D'après les statistiques, en un siècle, Carnegiea
gigantea produit environ 12 à 20 millions de graines,
jusqu'à 40 millions dans les 175 à 200 ans de sa vie ! La
loi de sélection est, dès le début de l'apparition
de la graine, extrêmement sévère, et lorsque les fruits
sont mûrs, ils font les délices des Tourterelles à
ailes blanches (Zenaida asiatica), des Tourterelles incas
(Scarfadella inca), des Tourterelles en deuil (Zenaida
macroura), et même des Indiens Papagos (Homo sapiens
papago…) qui les récoltent. Les fruits tombés à
terre et pourrissant seront des mets de choix pour les Ecureuils terrestres
(Spermophilus tereticaudus), les Coyotes (Canis latrans),
et les Lézards comme le Chuckwalla (Sauromalus obesus).
Les fourmis et autres insectes finiront de récolter les
graines disséminées sur le sol. celles qui restent doivent
rencontrer les meilleures conditions pour germer : de l'eau, de l'ombre,
et une humidité relativement constante. Un orage soudain peut détruire
l'établissement d'une plantule, comme une sécheresse prolongée
peut la tuer. Le Palo Verde (Cercidium microphyllum) qui
a abrité le jeune Carnegiea pendant toute sa croissance
se voit remercié, et finit par disparaître au profit du grand
cierge, qui prend alors au fil des décennies toute sa splendeur.
A 9 ans, il mesure environ 15 cm de hauteur ; à 50 ans,
il ne dépasse pas 3 m. A partir de sa 70ème année,
en pleine crise d'adolescence, il commence à se ramifier, et des
locataires, ou plutôt des squatters en profitent pour s'installer
: la Chouette des Cactus (Micrathene whitneyi), La Fauvette de Lucy (Vermivora
luciae), le Troglodyte des cactus (Campylorhynchus brunneicapillus), le
Pic de Gila (Melanerpes uropygialis) ,le Faucon américain (Falco
sparverius), ou l'Hirondelle pourprée (Progne subis). La Buse à
queue rousse (Buteo jamaicensis), et celle de Harris (Parabuteo unicinctus)
se contentent d'un nid grossier installé dans les branches.
Après plus de 130 ans, il mesure 9 m, et ses branches font
de lui le cierge candélabre caractéristique des déserts
de l'Arizona ; percé de tous côtés par les oiseaux
nicheurs, il a développé des cals qui lui font de sombres
cicatrices circulaires généralement haut placées.
En 150 années de vie, notre Saguaro a connu bien des vicissitudes
: les périodes de sécheresse et d'aridité, les pluies
d'été torrentielles et les inondations, les vents violents
qui ont menacé plus d'une fois de l'abattre, les soudaines tempêtes
de neige, etc.
A 200 ans, il atteint désormais les 15 m de hauteur, et
a produit au cours de son existence mouvementée ses 40 millions
de graines, dont finalement une seule donnera naissance à un nouvel
individu adulte capable de perpétuer l'espèce. De nombreux
rongeurs comme le Rat-kangourou (Dipodomys desertii), la Souris des Cactus
(Peromyscus eremicus) et reptiles comme la Tortue du désert (Gopherus
agassizii), le Crotale diamantin de l'Ouest (Crotalus atrox), ou le Monstre
de Gila (Heloderma suspectum), ont creusé près de ses racines
traçantes, des abris où règne une certaine fraîcheur,
même au cœur de l'été. Quantité d'insectes l'ont
parasité pendant des générations, et la sève
a de plus en plus de mal à se frayer un chemin jusqu'au sommet du
géant.
Un jour, une tempête plus forte le déracinera et
le couchera pour l'éternité ; à moins qu'un hiver
plus rigoureux ne le fige à jamais dans un gel mortuaire. Il ne
restera plus à l'horizon, qu'un squelette ligneux desséché,
marquant le ciel du destin d'un être vivant exceptionnel ayant vécu
au moins deux siècles.
Les plantes des déserts nous permettent de découvrir
le côté magique de la vie, qui est aussi fragile et précieuse.
Laissons-les conserver un peu des secrets qui leur restent. N'oublions
pas que lorsque nous sommes apparus sur la Terre, il y a quelques centaines
de petits milliers d'années, sans défense, mais avec l'intelligence
humaine pour nous permettre de nous adapter, elles étaient déjà
là depuis bien longtemps…
• L'animal au désert : adaptation et comportement.
L'aridité et la pauvreté végétale
conduisent, à l'évidence, à une rareté de la
faune, à son adaptation, et partant de là, à sa diversité.
L'évolution de la faune en milieu aride a obligé l'animal
à s'adapter en fonction de son environnement, parfois dans des microbiotopes
limités à une dune, un rocher, un arbrisseau, un canyon…
Lié à la présence végétale, l'animal
vit dans un territoire restreint qui compose, on vient de le voir avec
le Saguaro, une biocénose dont il fait partie intégrante.
Les insectes (Coléoptères divers) qui vivent dans le creux
végétatif des Tillandsia du désert de Lurin au Pérou,
constituent ce qu'on appelle une biochorie, micro-communauté au
sein d'un système écologique plus vaste.
L'adversité climatique oblige la faune à adopter,
pour survivre, une stratégie de comportements et d'adaptations :
échapper ou lutter contre l'ensoleillement, réduire les pertes
en eau dues à la respiration, à l'excrétion et à
la transpiration, sont les problèmes quotidiens rencontrés
par les êtres vivants des déserts. Chaque espèce combine
plusieurs solutions.
On constate avec surprise une chose pourtant normale : les points
d'eau, les mares recèlent une vie aquicole intense ; liés
à la présence de l'eau, des animaux que l'on pourrait difficilement
taxer de "déserticoles" vivent dans ces biochories : Poissons (Cyprinodon
nevadensis de la Vallée de la Mort en Californie, USA…), Escargots
(Texas, USA…), Crabes (Iran…), Cloportes (Hoggar, Sahara…), Eponges (Tassili
des Ajjers, Sahara…), et même Méduses (Tibesti, Tchad). Il
s'agit souvent d'une faune relicte, vestiges reclus, irrémédiablement
condamnés à la disparition au moindre changement de climat,
ou modification de l'environnement. Nombre d'animaux, tels les Batraciens,
font du comportement et de l'adaptation un "cocktail" efficace, possédant
un métabolisme reproductif très court, vivant dans des mares
temporaires le plus souvent à sec.
Les périodes d'activités de la faune en zone aride
peuvent être conditionnées par des modes de vie saisonniers
et, ou journaliers.
Pour de nombreux animaux vivant au désert, la période
critique est l'été, du moins celle qui correspond aux grandes
chaleurs. Ils doivent, pour survivre, réduire leur activité,
et entrent en léthargie dès que la température atteint
un seuil intolérable : ils pratiquent ce qu'on appelle l'estivation
ou diapause estivale. L'estivation peut, en outre s'ajouter à une
hibernation (Varan du désert, Varanus griseus par ex.), ce qui réduit
la période d'activité annuelle à 5 mois !
Une solution pratique pour se soustraire aux grandes chaleurs
de la journée est de s'en protéger en se réfugiant
sous les pierres, les buissons, en s'enfouissant dans le sable, ou mieux,
en créant son propre environnement, en creusant un terrier.
Par contre, l'activité (chasse, cueillette, recherche de
l'eau…) aura lieu durant la nuit, obligeant une partie de la faune à
avoir une occupation nocturne (Scorpions, par ex.). Quel spectacle extraordinaire
que celui de la dune où l'on a passé la nuit, recouverte
au petit matin d'une myriade de traces diverses de coléoptères,
rongeurs, reptiles, oiseaux, herbivores et carnivores…
Restent ceux capables de résister aux rigueurs du climat
aride durant la journée, et possédant un cycle d'activité
diurne. Ce sont les moins nombreux* (et les plus courageux !).
* avec une espèce en voie de disparition, le "naturaliste",
qui développe ses périodes d'activité intense aussi
bien le jour que la nuit, observations obligent !…
Les analogies écologiques, convergences de formes, sont
souvent liées au milieu dans lequel les espèces évoluent.
Les grandes oreilles des "Jackrabbits" ou Lièvres-kangourous (Lepus
californicus, Lepus allenii), des Fennecs et Renards de Poche ou "Kit-Foxes"
(Fennecus zerda, Vulpes macrotis), des Otocyons (Otocyon megalotis), des
Kangourous (Macropus rufus par ex.) etc. ont plusieurs avantages : grâce
à la surface des pavillons auriculaire, leur perception auditive
est augmentée, et leur permet de disposer d'un système de
refroidissement par air tout à fait efficace ! Apparemment, c'est
ce dernier avantage qui a le plus d'importance, car à l'inverse,
mais dans un espace également ouvert, les Mammifères des
régions arctiques ont des oreilles très réduites :
le Renard polaire (Alopex lagopus) et le Lièvre arctique (Lepus
arcticus), par exemple.
Selon les types d'habitats, les ressources alimentaires, etc,
les niches écologiques peuvent être occupées par des
animaux dont la "construction" physique et physiologique s'est faite sur
un même schéma ; bien qu'il s'agisse d'espèces parfois
géographiquement et génétiquement très éloignées,
le Nandou américain (Rhea americana), l'Autruche africaine (Struthio
camelus), et l'Emeu australien (Dromiceius novaehollandiae) ont évolué
séparément, mais de manière quasi-identique, pour
s'adapter à un milieu ouvert de steppe arbustive.
Le Rat-kangourou du désert nord-américain (Dipodomys
desertii), la Gerboise du Sahara (Jaculus jaculus), l'Allactaga des déserts
d'Asie Centrale (Allactaga nataliae) sont des copies presque conformes,
au même titre que le Crotale cornu d'Arizona (Crotalus cerastes)
et la Vipère à cornes du Sahara (Cerastes cerastes), qui
ont un mode de déplacement analogue, la reptation latérale,
pour éviter de s'enfoncer sur un milieu identique, la dune. Le Chien
de prairie des déserts nord-américains (Cynomys ludovicianus)
ressemble, mais ce sont tous deux des Sciuridae, à la Marmotte bobak
des steppes de l'Asie Centrale (Marmota bobak). Le Renard de poche américain
ou Kit Fox (Vulpes macrotis) et le Fennec du Sahara (Fennecus zerda) ont
un faux petit air de famille, avec les mêmes caractéristiques
adaptatives*.
* Convergence typique de forme et d'adaptation au milieu aride. C'est
précisément la raison bio-géoclimatique essentielle
pour laquelle je ne range pas les zones polaires parmi les déserts
du globe ; on pourrait intervertir le Kit Fox américain avec le
Fennec du Sahara : même adaptation à un même milieu.
Essayez donc de les échanger avec un Renard polaire, vous comprendrez
la différence…
Tous ces facteurs limitants n'empêchent pas la diversité
des espèces animales présentes au désert. Des Invertébrés
aux Vertébrés, les grands groupes zoologiques sont tous représentés.
Comme la flore, la faune a dû s'adapter à l'environnement,
les changements climatiques, en un mot, évoluer. L'évolution
s'est faite au rythme lent de l'histoire de la Terre : en millions d'années.
La disparition des proies habituelles, d'un milieu donné, le changement
subit d'un micro-climat, l'isolement, ont fini par provoquer la mort de
nombre d'individus au sein d'une espèce. D'autres, mieux dotés,
ont pu survivre à ces conditions nouvelles, et s'y "adapter", ou
plus exactement s'en accommoder, par changement de comportement.
Evidemment, la sélection naturelle (Evangile selon Darwin…)
et le changement de circonstances (Evangile selon Lamark…) ne peuvent expliquer
totalement cette évolution sans la génétique. L'adaptation
des animaux à l'environnement est de plusieurs types : le comportement
d'accommodation de certaines espèces leur permet de préférer
la nuit plutôt que le jour pour leur période d'activité.
Si toutes les niches écologiques sont précisément
occupées par les uns (Gérénuk par ex.), d'autres plus
opportunistes s'accommodent d'un régime alimentaire très
éclectique (Fennec par ex.) au gré des découvertes,
ce qui correspond mieux aux ressources biologiques des zones arides.
Dans l'adaptation au désert, on constate un ultra-développement
de certains organes (hypertrophie des oreilles des Fennecs, des Anes, des
Lièvres-kangourous…), une hyperspécialisation, des propriétés
physiques, physiologiques, sensitives exacerbées : poison plus virulent,
vitesse plus grande, vue plus perçante, etc. Il est probable que
dans un environnement aussi ouvert et peu peuplé, il était
vital pour la faune d'être efficace, aussi bien pour guetter et attraper,
que pour fuir.
Ainsi, l'animal au désert a développé des
leurres pour sa défense : se gonfler pour paraître plus gros
(certains félins, reptiles, oiseaux adoptent fréquemment
ce subterfuge), imiter le cri ou le bruit d'un animal dangereux (un oiseau
imite la "crécelle" du Serpent à sonnettes !), ou copier
le voisin mortel (Mouche inoffensive, le Syrphe revêt l'habit de
la terrible Guêpe = l'habit fait le moine !). L'agitation de la "crécelle"
(constituée par les écailles caudales des précédentes
mues) des Serpents à sonnettes prévient n'importe quel animal
(Homme compris !) d'un danger potentiel imminent.
Quant aux Lézards rencontrés lors de mes expéditions,
le régime alimentaire et l'aspect épineux vont de pair :
le Diable épineux d'Australie (Moloch horridus) et les Lézards
cornus des déserts nord-américains (Phrysonoma cornutum par
ex.) sont hérissés de piquants bien inoffensifs, mais rebutants
pour de nombreux prédateurs, et se nourrissent exclusivement de
fourmis. Le Cordyle africain (Cordylus cataphractus) se nourrit également
d'autres insectes.
Qu'il soit australien (Tiliqua rugosa) ou saharien (Scincus scincus),
le "Poisson de sable" ou Scinque, partage un milieu arénicole. Les
mêmes besoins, les mêmes nécessités, les mêmes
habitats ont conduit aux mêmes résultats, et le hasard n'a
certainement rien à voir là-dedans…
• Mimétisme, homochromie, coloration cryptique et couleurs
d'avertissement.
Pour la majeure partie de la faune des zones arides qui vit dans
un milieu ouvert, le meilleur moyen de lutter contre le climat et les prédateurs
est de se cacher, et pour les prédateurs eux-mêmes, de surprendre.
De nombreux animaux possèdent une coloration proche ou identique
à celle de leur milieu : Gazelle dorcas (Gazella dorcas), Fennec
(Fennecus zerda), Ganga (Pterocles spp), Scorpion (Androctonus amoreuxi)…
sont couleur sable : c'est ce qu'on appelle l'homochromie.
D'autres changent de coloration selon le milieu ou les circonstances
: l'Agame du Sinai (Agama sinaita) prend une superbe coloration bleue selon
la température ambiante et son degré d'excitation.
Il y a des animaux qui ne changent pas de couleur, mais dont la
robe ou la livrée sont constituées de lignes brisées,
ou de dessins géométriques sombres : la Girafe (Giraffa camelopardalis),
le Zèbre (Equus burchellii), le Crotale de Mojave (Crotalus scutulatus)
etc, et qui leur permettent, à l'arrêt, de se confondre avec
le milieu ambiant. Cette coloration cryptique peut ressembler étonnamment
à l'environnement dans lequel évolue l'animal ; la "chasse"
au Lézard cornu (Phrysonoma modestum, cornutum…) est passionnante,
et j'ai passé de nombreuses journées à chercher le
maximum d'espèces présentes dans le désert nord-américain,
très difficiles à remarquer tant elles se confondent avec
le sol.
On sait aujourd'hui que le climat agit sur la nature des pigments
(observez la pigmentation de l'Homo "sapiens" selon les latitudes…) ; cependant,
on doit admettre que le caractère évolutif de cette adaptation
est également lié aux facteurs climatiques de l'environnement.
Armés jusqu'aux dents (c'est le cas de le dire pour nombre
de reptiles, réflexion entre crochets…), certains craignent si peu
leurs ennemis naturels qu'ils se montrent bien en évidence, avec
des couleurs le plus souvent vives, presque toujours associées :
le rouge et le noir chez le Monstre de Gila (Heloderma suspectum), la Veuve
noire (Latrodectus mactans), le noir et le jaune chez les Guêpes
(Vespula spp), le noir et l'orange chez le Monarque (Danaus plexippus),
ou carrément le rouge, le jaune et le noir avec le Serpent-corail
de l'Arizona (Micruroides euryxanthus). Un ennemi avertit ne vaut plus
rien : il se sauve ! Si d'aventure il goûte, il ne recommencera pas
de sitôt. Les couleurs d'avertissement préviennent de la toxicité
d'une proie éventuelle ou d'un possesseur de glandes à venin,
qu'il vaut mieux éviter. Et ça marche tellement bien qu'aucun
brevet n'a été déposé, et que des petits malins
se sont emparés de l'idée : le Lampropeltis de Californie
(Lampropeltis zonata) ressemble à s'y méprendre au Serpent-corail
de l'Arizona (Micruroides euryxanthus), mais la copie n'a rien à
voir avec l'original : le Lampropeltis n'est pas venimeux. Et ne prenez
pas la mouche si elle a une taille de guêpe : qui oserait s'attaquer
au Syrphe, petite mouche qui s'est déguisée en guêpe
?
On a avancé que la coloration sable de nombreux animaux
(Scorpion, Fennec, Gerboise, Oiseaux, Lézards…) n'avait aucun intérêt,
car ce sont pour la plupart des espèces nocturnes : la coloration
cryptique n'aurait donc pas de raison d'être. Apparemment seulement.
Il est fréquent d'apercevoir, notamment en hiver, la faune
arénicole à la livrée sable, s'activer encore le matin
ou le soir, et parfois même durant la journée. Mais cette
livrée se révèle efficace surtout durant la nuit ("La
nuit, tous les chats -et les autres- sont gris", période d'intense
activité, tout simplement parce qu'elle se confond parfaitement
avec un milieu très lumineux, même la nuit, même sans
pleine lune.
La relation qui existe entre les Perruches ondulées (Melopsittacus
ondulatus), dont la coloration verdâtre peut virer au jaune en cas
de sécheresse (règle de Glober), et les Canaris (Serinus
canaria), verts à l'origine, puis virant au jaune à l'occasion
de mutations spontanées*, pourrait être, spéculation
toute gratuite de ma part, un signe avant-coureur de la péjoration
de l'aridité de l'Australie et des Iles Canaries.
* L'homme a largement contribué à la naissance d'hybrides.
Des insectes comme les Pimélies (Pimelia angulata), des
oiseaux comme les Corbeaux (Corvus ruficollis par ex.), Magpies (Gymnorhina
dorsalis), des Mammifères comme la Mouffette (Mephitis mephitis),
aux périodes d'activités essentiellement diurnes, possèdent
une livrée noire ou noire et blanche ; il s'agit d'une couleur d'avertissement,
et de fait, la plupart d'entre eux ont une chair incomestible, voire toxique,
une odeur nauséabonde, etc. Il s'agit bien d'un signal dissuasif.
Au Nouveau-Mexique, dans le White Sands National Monument, existent
deux espèces de lézards (Holbrookia maculata ruthveni et
Sceloporus cowlesi, et une espèce de de souris, la Souris de poche
(Perognathus flavescens gypsi) qui montrent une adaptation extrêmement
poussée, en ayant pris la coloration d'un milieu exceptionnel, un
immense dépôt naturel de gypse pur d'un blanc éclatant.
La convergence évolutive de rongeurs, de lézards et même
d'insectes (des Cicindèles) de couleur blanche sur les dunes de
White Sands est indéniable. Le plus extraordinaire est que ces espèces,
également présentes sur d'anciens lits de lave noir à
50 km du Parc, ont subi une adaptation similaire, et montrent une coloration
très foncée, en accord avec leur milieu.
Les habitats intermédiaires démontrent le même
processus évolutif, avec des animaux de couleur sable plus classique,
et des colorations rougeâtres dans les régions des Terres
Rouges du Sud ! Même si toutes les espèces de White Sands
n'ont pas "utilisé" la coloration cryptique, même si celle-ci
n'empêche pas quelques bêtes de se faire dévorer, on
peut affirmer sans grand risque que ce mimétisme n'est pas une coïncidence,
ou le seul fruit du hasard. Elle cantonne chaque animal au milieu dont
il a pris la coloration, et lui confère un atout non négligeable
à ses conditions de survie.
L'interpénétration des animaux de couleurs différentes
se situe à la limite des habitats, les frontières nettes
et définies n'existant que dans l'esprit de l'être humain
(Homo pas toujours sapiens…). Tous les cas de figure sont donc possibles.
Enfin, l'autre avantage d'une homochromie "fixe" est de participer en quelque
sorte d'une manière passive à la régulation thermique,
puisque les couleurs n'ont pas toutes la même température,
et que les pigments dont elles sont constituées (sauf le bleu) sont
capables d'absorber, de filtrer, d'arrêter ou de réfléchir
certains rayons du spectre solaire.
L'homochromie "mobile" du Chuckwalla (Sauromalus obesus), grand
lézard du désert nord-américain, a une peau dont la
couleur varie avec le milieu ambiant. Constat identique pour le Fouette-queue
du Sahara (Uromastyx acanthinurus). Comme tous les reptiles, animaux poïkilothermiques
(ou ectothermes), qui doivent réguler leur température interne
par des moyens extérieurs, le matin, le Chuckwalla cherche à
réchauffer sa température interne en s'installant sur un
rocher au soleil. Sa peau prend alors une coloration très foncée
jusqu'à noire pour absorber un maximum de radiations solaires dans
un minimum de temps. Au cours de la journée, aux périodes
les plus chaudes, il va s'éclaircir pour réfléchir
les rayons solaires.
Les Acridiens (Sauterelles et Criquets) présentent une
coloration cryptique très marquée. Jusque dans des zones
extrêmement arides comme dans le désert d'Atacama, à
3800 m d'altitude, et bien qu'il n'y ait apparemment aucune vie animale,
il m'est arrivé de déceler le mouvement d'un criquet, et
donc de le voir seulement à ce moment-là ! Au repos, ces
insectes sont parfaitement invisibles, et se confondent avec leur environnement.
Lorsque j'ai préparé pour une exposition, une carte des déserts
présentant dans des boîtes transparentes des échantillons
de sols selon les provenances, leur diversité dans les textures,
les granulations, les couleurs montraient au public combien les sols arides
peuvent être variés, à défaut d'être riches.
Chaque échantillon prélevé pourrait représenter
la coloration des Criquets que j'y ai rencontré pratiquement à
chaque fois ! Quant aux Acridiens très colorés, et donc très
visibles, ils sont le plus souvent incomestibles, parfois toxiques : le
gros Criquet bariolé du Kalahari est un bon exemple ; même
s'il n'a pas la taille de guêpe, il en a la couleur d'avertissement
!
La faune de coloration noire est avantagée à sortir
la nuit. Bien que visible le jour, elle fait face à l'insolation
et à la chaleur grâce à une "couleur" qui filtre les
ultra-violets, et absorbe les infra-rouges.
La valeur protectrice de la teinte sable d'une partie de la faune
érémiticole a été mise en doute par le fait
que les animaux prédateurs utilisent l'odorat et l'ouïe pour
la recherche des proies (ou la surveillance des prédateurs chez
les victimes potentielles), et que la vue, qui ne doit pas être calquée
sur la nôtre, serait somme toute secondaire ; telle antilope pressentira
le danger bien avant d'avoir aperçu le fauve. D'autre part, l'examen
du contenu stomacal d'oiseaux a démontré que de nombreux
insectes couleur sable n'avaient pas été protégés
par leur coloration cryptique. Heureusement pour tout le monde. Les uns
finiraient par mourir de faim, les autres se multiplieraient à l'infini.
J'imagine mal un grouillement d'insectes couleur sable, piétinés
par des oiseaux qui ne les verraient pas ! L'homochromie est efficace,
mais elle a ses limites. On a beau être adapté, personne n'est
parfait !
• Comportement sociaux.
Compte tenu de leur extrême fragilité due au faible
potentiel biologique des zones arides, l'interpénétration
des chaînes alimentaires a une importance majeure et influe directement
sur le comportement social des espèces.
On assiste même, dans la savane africaine par exemple, à
une hiérarchisation dans la possession et l'utilisation d'une charogne,
selon les goûts, les tailles, les capacités de chacun : d'abord
la Hyène tachetée (Crocuta crocuta), capable de briser d'un
coup de mâchoire les os les plus durs ; puis le Chacal à dos
noir (Canis mesomelas) arrache les morceaux de viande. Le Vautour de Rüppell
(Gyps rueppellii) et celui à dos blanc (Pseudogyps africanus), qui
ont un long cou dénudé, l'introduisent dans le ventre de
la bête pour en extraire les viscères ; l'Oricou (Torgos tracheliotus)
préfère la viande plus coriace, le Vautour à tête
blanche (Trigonoceps occipitalis) dévore muscles et tendons. Le
Vautour à capuchon (Necrosyrtes monachus) et le Percnoptère
(Neophron percnopterus) prélèvent des lambeaux de chair en
décomposition : bref, tout le monde a son compte. On se bouscule
un peu, mais chacun occupe une niche écologique bien distincte :
halte à la concurrence !
La notion de territoire en zone aride ou semi-aride est
plus large que pour d'autres milieux, parce que les facteurs limitants
sont plus nombreux ; l'espace et le vide biologique relatif rassemblent
faune et flore dans des micro-climats très localisés, massifs
montagneux, oasis, dunes… ou obligent l'animal à disposer d'un territoire
très vaste pour subvenir à ses besoins.
La distance critique varie selon les espèces ; la distance
de fuite est celle, par exemple, que ressent le gnou au moment où
la lionne "dépasse les bornes", et l'oblige à s'enfuir. La
distance d'attaque est, par exemple, celle nécessaire à la
lionne pour avoir une bonne chance d'attraper le gnou. Contrairement à
ce que l'on pourrait croire, ces deux distances critiques ne sont pas sensiblement
égales. Pour le gnou, la distance de fuite doit être toujours
plus grande que la distance d'attaque de la lionne : c'est ce qu'on pourrait
appeler la "marge de sécurité".
Au point d'eau, il existe des horaires précis par espèce,
et une régulation hiérarchique de l'abreuvage lorsque le
point d'eau est restreint. On trouve ainsi auprès de l'eau, un grand
nombre d'espèces animales qui se côtoient par nécessité,
parfois par commodité ou intérêt. Une des particularités
de la faune des steppes et savanes, et notamment des Ongulés, est
leur comportement grégaire. C'est, semblerait-il, un excellent moyen
que de se regrouper pour boire, pour manger : l'union fait la force. Cela
n'empêche pas les prédateur de "foncer dans le tas" et d'y
prélever une proie, la moins rapide, la plus faible.
Ces prélèvements d'animaux moins bien dotés
que d'autres assurent une "qualité génétique" supérieure
par l'élimination des plus faibles. Au Kenya par exemple, on constate
des associations grégaires de Zèbres (Hippotigris quagga),
Gnous (Connochaetes taurinus), Gazelles de Grant (Gazella grantii), Gazelles
de Thomson (Gazella thomsonii) et Autruches (Struthio camelus). Ces associations
défensives permettent de combiner les espèces qui ont un
odorat développé, avec d'autres qui possèdent une
excellente vue, augmentant les chances de détection rapide d'un
prédateur, et la fuite immédiate.
Selon le milieu, dans les hautes herbes des savanes, c'est l'odorat
des antilopes qui prime, alors que les autruches et leur vue perçantes
sont plus efficaces en terrain plat et découvert. Des contrats d'assistance
mutuelle associent les Impalas (Aepyceros melampus) et les oiseaux Buphages
(Buphagus africanus), spécialistes du nettoyage en tout genre, ces
derniers devenant un excellent signal d'alarme en cas de danger.
Les migrations trophiques, liées à la recherche
de nouveaux pâturages (Bisons, Gnous, Eléphants…) obligent
les
grands troupeaux d'Ongulés à se déplacer pour survivre.
Ces mouvements coïncident précisément avec des pluies
saisonnières, et la mise en marche des populations migratrices ne
se fait qu'en fonction d'importantes précipitations, prévues
ou non ( le service météo des gnous semble plus précis
et plus fiable que le nôtre…).
• Comportement sexuel et reproduction.
L'animal au désert doit adopter un comportement spécifique
en rapport avec le milieu pour mener à bien la perpétuation
de son espèce. Tout semble programmé pour cela. Pour reprendre
l'exemple des animaux à grandes oreilles, l'hypertrophie des bulles
tympaniques s'ajoute à des pavillons auriculaires aux dimensions
souvent impressionnantes (Lepus californicus). Cela facilite l'état
de veille permanent, mais également la rencontre d'une faune dispersée
dans un milieu ouvert. Les chances de se croiser étant plutôt
rares, la nature a doté certains de moyens efficaces qui, liés
à des cris, des appels caractéristiques (le Coyote, Canis
latrans, par ex.) permettent le rassemblement d'individus isolés,
et en période reproductive, l'accouplement.
Le comportement sexuel et la reproduction de la faune des zones
arides et semi-arides sont liés aux rythmes circadiens et aux précipitations.
L'influence de la longueur du jour, des saisons et des conditions météorologiques
même localisées, est nette : des Batraciens (Grenouilles et
Crapauds ) apparaissent quelques heures seulement après le remplissage
par une averse d'une mare asséchée, dans un concert joyeux
et bruyant de coassements ! Dans une large mesure, les comportements sexuels
et reproductifs semblent conditionnés par les période de
pluies, souvent pressenties.
Niches écologiques.
L'occupation par la faune d'un milieu donné est une situation
privilégiée pour des animaux parfaitement adaptés,
mais représente un danger pour les espèces en cas de bouleversement
écologique.
L'Australie s'est séparé très tôt du
continent originel Gondwana et, parti comme une bateau-fantôme à
la dérive, a évolué très différemment.
Les éco-systèmes australiens sont bâtis sur des bases
distinctes de celles des autres régions biogéographiques,
et cela a fait se développer un groupe particulier de mammifères
: les Marsupiaux..
Plantes, prédateurs et proies ont évolué
parallèlement sans qu'aucun apport extérieur ne vienne modifier
cet état. Il y a environ 10 à 12000 ans, les premiers hommes
ont introduit un animal placentaire, le Dingo (Canis familiaris dingo).
Apparemment bien adapté, acceptant un régime alimentaire
assez éclectique, le dingo a très vite prospéré,
et fait disparaître certaines espèces de Marsupiaux herbivores,
mais aussi des carnivores dont il a occupé la niche écologique
(le Loup de Tasmanie, Thylacinus cynocephalus). Concurrence déloyale,
premier accident écologique (involontaire !) dû à l'homme,
le Dingo a néanmoins fini par s'intégrer plus ou moins avec
la faune locale. Cela a tout de même nécessité quelque
10000 ans…
Imaginez aujourd'hui les catastrophes écologiques des introductions
massives non d'une seule espèce mais de très nombreuses et
variées, de reproductions "sauvages" incontrôlables de chats,
renards, lapins, ânes, moutons, chèvres, buffles et même
chameaux, et vous comprendrez aisément que l'Australie est en grand
danger. Je dis bien l'Australie, et pas seulement sa faune, car ces changements
influent également sur la couverture végétale, la
prolifération, la raréfaction ou la disparition d'espèces
botaniques, et provoqueront à court terme une grave modification
des paysages et de l'environnement.
• Adaptations écophysiologiques.
Le matin, en pliant ma tente dans n'importe quel désert
du monde, j'ai souvent eu la surprise de découvrir un, deux, voire
trois Scorpions (Vejovis spinigeris par ex.) sous le tapis de sol (sans
compter les Coléoptères, Solifuges, Mygales, Gerboises ou
Mériones, un Crotale, Crotalus cerastes, également cachés
dessous, plus une Veuve noire à l'intérieur de la tente !).
Animal du désert par excellence, le Scorpion résiste à
tout. Merveilleusement adapté à son environnement, il n'a
pratiquement pas évolué depuis l'ère Primaire (Paléozoïque).
Ce mystère de la nature peut rester trois ans sans nourriture et
supporte sans dommage une explosion nucléaire (expériences
au Nevada en 1947, au Sahara en 1960). Dans des endroits apparemment abiotiques,
j'ai rencontré des criquets solitaires. De quoi peuvent-ils bien
se nourrir ?
Les Pimélies (Pimelia angulata) peuvent se passer de nourriture
pendant 40 jours. Le jeûne semble être l'un des modes d'adaptation
fréquemment utilisé, pour peu qu'on ait fait des réserves
au préalable, qu'on puisse les stocker, et les utiliser en cas de
besoin. Le Chameau à une bosse, ou Dromadaire (Camelus dromedarius)
a trouvé la solution : il accumule des graisses dans sa bosse. Il
n'est pas le seul. De nombreux lézards stockent des amas graisseux
dans leur queue : Fouette-queue saharien (Uromastyx acanthinurus), Monstre
de Gila mexicain (Heloderma suspectum), ou encore Scinque "pomme de pin"
australien (Tiliqua rugosa). Les Tortues font même des réserves
d'eau sous leur carapace. On pourrait ajouter que les Gangas (Pterocles
alchata, orientalis) collectent de l'eau dans leurs plumes ! Le Ganga mâle
s'abreuve tôt le matin, et plonge ses plumes de poitrine ébouriffées
dans l'eau, pour les saturer. Il revient ensuite au nid, et les petits
sont à leur tour abreuvés en aspirant l'eau conservée
dans le plumage de l'oiseau !
Le Rat des sables (Psammomys obesus) se nourrit essentiellement
de Chénopodiacées (plantes halophiles) ; sa présence
est donc liée à celle des plantes qui vivent dans les milieux
salés. Peu adapté au désert, il peut néanmoins
supporter la salinité de son régime alimentaire, excrétant
une urine très concentrée (24% d'urée, soit 5 fois
plus que l'être humain). En captivité, si l'on supprime son
régime de plantes halophiles, il devient…diabétique !
Le Rat-kangourou américain (Dipodomys merriami), au contraire
de son cousin saharien, peut passer sa vie entière sans boire une
seule goutte d'eau, et se nourrir exclusivement de graines contenant 10
à 12%. Comme le Rat des sables, le Rat-kangourou urine peu, et la
concentration en urée est très élevée.
L'appareil locomoteur est très développé
chez les insectes, les reptiles et les mammifères. Parmi les animaux
des déserts, se trouvent de nombreux fouisseurs, forcés par
la nécessité de s'enterrer aux heures les plus chaudes de
la journée. On rencontre également des sauteurs comme la
Gerboise (Jaculus jaculus). L'adaptation plus ou moins marquée de
la bipédie est généralement accompagnée d'une
hypertrophie de l'appendice caudal, allongé et qui sert de balancier
(et dans certains cas, de réserve de graisse). Dans un milieu ouvert
tel que le désert australien, la bipédie des Kangourous (Macropus
rufus par ex.) est un avantage. Des lézards comme Chlamydosaurus
kingii l'emploient aussi. Le Pérentie ou Varan géant (Varanus
giganteus) est un habile grimpeur et possède de solides griffes.
Dans le désert de Gibson en Australie, j'ai eu l'occasion
de découvrir le Diable épineux (Moloch horridus). Ce petit
lézard tout à fait inoffensif d'à peine 15 cm de longueur
se contente de dévorer toutes les fourmis qu'il peut attraper pour
son déjeuner, c'est-à-dire jusqu'à 3000 ! La boule
de graisse qu'il possède au-dessus de la nuque lui sert de réserve
de nourriture. ; tout son corps est constitué en surface d'un réseau
microscopique de canaux qui, lorsque la pluie tombe, amènent l'eau
jusqu'à sa bouche. Lorsqu'il ne pleut pas, ses piquants agissent
comme condensateurs qui drainent l'eau de rosée ou de l'humidité
atmosphérique. L'eau captée de cette ingénieuse manière
lui permet d'étancher sa soif sans difficulté et en toutes
occasions !
La majeure partie des animaux réellement adaptés
au milieu aride est capable de se contenter de l'eau contenue dans les
proies. L'éternel dilemme est de choisir entre l'immobilisme pour
réduire les pertes en eau et en énergie, et le mouvement
pour refroidir son organisme ou capturer une proie. la vie animale au désert
est faite de ces rythmes opposés, selon les circonstances du moment,
du lieu, de l'heure…
Les Ratites (Autruches, Emeus, Nandous) des steppes arbustives
ont une taille et une morphologie qui ne leur permettent pas de voler,
de s'abriter du rayonnement solaire et de la chaleur ; leurs pattes démesurées
ont des fonctions diverses (course, défense…) et entre autres, celles
de placer leur corps en période chaude, à une hauteur où
la température est plus acceptable. Elles possèdent des glandes
nasales qui leur permettent d'éliminer les sels, et donc de pouvoir
boire de l'eau saumâtre, voire carrément salée. L'excès
de sels disparaît de la même manière chez le lézard
Fouette-queue (Uromastyx acanthinurus), dont le régime alimentaire
se compose notamment de plantes riches en sels (plantes halophytes).
Le Chameau à une bosse, ou Dromadaire (Camelus dromedarius)
a de la chance ! Bien qu'il ait des besoins physiologiques de boire, l'évolution
l'a conduit à développer une stratégie complexe, tolérant
de grandes variations de température, économisant l'eau de
diverses façons. Pour l'homme, la thermorégulation augmente
les pertes en eau dans les milieux désertiques, provoquant une transpiration
plus active pour maintenir une température interne constante d'environ
37.4°C. Si la température ambiante dépasse les 34°C,
même sans activité, la sudation augmente considérablement,
et les pertes en eau sont importantes. Il faut pouvoir les compenser. Le
Chameau, lui, peut supporter une température ambiante de 40.7°C
avant de commencer à transpirer ! Il accuse sans dommages une déperdition
d'eau énorme : jusqu'à 30% de son poids, alors que chez l'homme,
plus de 12% le vouent à une mort certaine. Les déperditions
prolongées d'eau entrainent, chez la plupart des mammifères,
un épaississement progressif du sang, allant jusqu'à une
augmentation brutale de la température interne ("coup de chaleur"),
puis la mort rapide. Au contraire, chez le Chameau, qui peut diluer son
sang*(1), l'eau de refroidissement est prélevée dans le sang
(jusqu'à ce qu'il soit à son niveau normal de dilution),
et surtout dans les tissus graisseux et musculaires. Quoi qu'il arrive,
le volume normal du sang reste toujours constant. Il est évident
que pour que le système fonctionne, l'animal doit s'abreuver au
préalable : pour pouvoir vivre sur ses réserves, il faut
en avoir !
• Régression de la faune des déserts.
Depuis le début du siècle, on constate une
nette régression, inexorable et critique, de nombreuses espèces
d'animaux vivant dans les zones arides, semi-arides et les savanes. Les
bouleversements climatiques sont dus en grande partie aux modifications
de l'environnement (Homo non sapiens causa…) : c'est l'une des causes de
la disparition du Condor de Californie (Gymnogyps californianus). Et si
le comportement de l'homme chasseur n'a pas changé*(2), les armes
se sont perfectionnées, permettant aux émirs du pétrole
de tirer les Gazelles… à la mitrailleuse, aux Canadiens d'utiliser
l'hélicoptère pour tirer les Loups, et aux Australiens, pour
mieux assassiner les Kangourous*(3), comme si l'introduction massive inconsciente
d'animaux placentaires n'avait pas suffit… De plus, les kangourous (et
bien d'autres espèces d'animaux) paient un lourd tribut quotidien
aux accidents de la route ; en une journée de bicyclette, soit une
soixantaine de kilomètres dans le Western Australia, j'ai dénombré
167 cadavres récents de kangourous, toutes espèces confondues…
N'essaye-t'on pas de nous persuader de la survie du Loup de Tasmanie
ou Thylacine (Thylacinus cynocephalus), mammifère marsupial exterminé
par l'homme, qui tua le dernier en 1930 ? Il n'y a que les fantômes
pour avoir la vie dure…
*(1) Le dromadaire est capable de boire jusqu'à 115 litres d'eau
en une dizaine de minutes ; ses globules rouges peuvent doubler de volume
sans dommages.
*(2) Même aux temps préhistoriques, j'en soupçonne
un certain nombre d'avoir tué pour le plaisir…
*(3) En 1990, on faisait état de 2 millions de kangourous massacrés
chaque année, par jeu, ou pour nourrir nos chats et nos chiens…
• De la savane au désert ?
Le déplacement de grands troupeaux d'éléphants
(Loxodonta africana) est nécessaire, car ce ne sont pas, compte
tenu de leurs besoins alimentaires et de leur instinct grégaire,
des animaux sédentaires. Lorsque vers le mois de mars, les troupeaux
quittent les régions de pâturage pour une migration lointaine,
à la recherche de nouvelles savanes arrosées par des pluies,
ils permettent à la végétation de se reconstituer.
Or, l'homme a énormément de mal à agir, sans provoquer
à chaque fois de profonds bouleversements écologiques. Cette
fois, pour protéger (en théorie du moins et entre autres
raisons…) ces populations de pachydermes des balles des chasseurs d'ivoire,
on crée des réserves là où il y a un point
d'eau permanent. Et les problèmes ne font que commencer.
L'Eléphant d'Afrique (Loxodonta africana) n'est absolument
pas un animal du désert, mais parce qu'il vit dans les savanes,
traitées dans cet ouvrage, il lui arrive parfois de traverser des
zones arides ou semi-arides. Il s'alimente de deux manières selon
les époques ; durant la saison des pluies, il consomme de grandes
quantités d'herbes bien grasses et vertes, puis il migre vers d'autres
régions temporairement verdoyantes. En saison sèche, il se
rabat sur les arbrisseaux, les arbustes et les arbres dont il mange feuilles
branches et tronc, ayant une prédilection pour le juteux Baobab
(Adansonia digitata). Les incendies provoqués par l'homme ont considérablement
réduit ses routes migratrices, car les arbres des forêts primitives
ont été remplacés par des herbes, le plus souvent
desséchées par un microclimat modifié. Réduits
à se sédentariser auprès des points d'eau imposés
par l'homme, les autres étant utilisés par le bétail,
les éléphants ne sortent pratiquement plus des réserves
(qui ne sont pourtant pas des lieux clos).
Quel spectacle plus désolant que celui du Parc Murchison
en Ouganda, ou d'Amboseli au Kenya, où les éléphants
ruinent leur dernier refuge par piétinement, surpopulation et destruction
des jeunes arbres qui ne peuvent reconstituer la savane primitive, car
ils sont systématiquement dévorés… Partout, des arbres
squelettiques dépossédés de leur feuillage, déracinés,
morts. Pire : pour stopper la disparition des éléphants avec
celle de leur milieu, on doit, dans certains endroits, faire abattre des
bêtes pour garder le fragile contrôle de la situation. C'est
ce qu'on appelle, en matière de protection de la nature, la gestion
du patrimoine !…*
* A noter que pour couronner le tout, les Masais sont présents
à l'intérieur de Parcs comme celui d'Amboseli au Kenya, avec
leurs troupeaux, ce qui ne fait qu'accentuer la dégradation du milieu,
et augmenter les problèmes.
Pleins de bonnes intentions, les écologistes réintroduisent
des animaux disparus de nos régions (Lynx, Castors, Loups, Visons…).
Aurait-on oublié que ces animaux ont précisément disparu
parce que leur milieu naturel a été détruit ? Car
on les a massacré, mais on a aussi massacré la forêt,
les haies, les lacs, les marais les montagnes… Pollution des cours d'eau,
"concurrence déloyale " aux pêcheurs et aux chasseurs, ces
grands défenseurs de la nature (avec des armes…offensives…), obligés
d'élever du gibier en cage pour aller le tuer…comme un lapin… La
notion de territoire est valable pour tous les animaux (et les hommes !…).
Si ce territoire et son potentiel biologique sont réduits, on se
rabat sur ce qui reste : cultures pour les uns, bétail pour les
autres. Et les producteurs de maïs kenyans sont en colère contre
les éléphants, les éleveurs de moutons français
veulent la peau des lynx ou des ours. La chaîne écologique
est rompue, les biocénoses n'existent plus, et l'on persiste…
Si les chasseurs pouvaient vivre en bonne intelligence avec les
prédateurs, et si le milieu était resté intact, tout
le monde serait content. Oui, mais voilà, la faute à qui
?… Aux Etats-Unis, dans les années 60, le Bureau des Pêches
Sportives et de la Faune Sauvage disposa des appâts empoisonnés
destinés aux Coyotes (Canis latrans). Les coyotes furent décimés,
ainsi que de nombreux autres prédateurs tout aussi innocents, mais
ne sachant pas lire les panneaux de mise en garde : "Attention : appâts
empoisonnés destinés aux coyotes"… Les rongeurs parasites
en profitèrent, se multiplièrent, s'attaquèrent aux
récoltes… En 1972, le Président Nixon dut interdire l'usage
du poison. Entre temps, que de dégâts irrémédiables…
La destruction d'une biocénose peut provenir de celle du
biotope et, ou de ses occupants ; elle peut également trouver son
origine dans l'introduction accidentelle ou intentionnelle de nouvelles
espèces concurrentes (lapins en Australie, poissons-chats en Europe…).
Face à un milieu très dégradé, les zones arides
ne bénéficient pas d'une qualité de protection semblable
à d'autres régions, parce que l'économie des pays
concernés est sous-développée. Le tourisme -contrôlé-
est l'une des solutions pour enseigner aux générations futures,
les écosystèmes complexes et uniques qui régissent
les déserts.
DES HOMMES AU DESERT
Comme le moustique, le rat ou le scorpion, l'homme est partout
présent sur la planète Terre. Voué très tôt
à une disparition presque certaine, l'être humain n'avait,
dès le début de sa carrière, rien ou pas grand-chose
pour lui permettre de survivre. Comment attraper une proie avec de tels
moyens de locomotion ? Comment échapper aux prédateurs, aux
rigueurs du climat ? Pas de crocs puissants, pas de griffes efficaces,
pas de force notable, mauvais sauteur, mauvais coureur, bref dès
le départ, une espèce envoie d'extinction. Et puis la petite
étincelle qui fait court-circuit entre "l'esprit et le silex"… Et
tout change. L'homme est non seulement capable de s'adapter à l'environnement
hostile (le "Paradis Terrestre"…), mais surtout devient le premier super-prédateur
et le seul être vivant à adapter son environnement à
lui-même. Et c'est là que les ennuis commencent…
En vérité, l'être humain montre, dans une
certaine mesure, quelques adaptations qui ont contribué à
son épanouissement sur toute la planète.
Au début, c'est-à-dire il y a environ 2 500 000
ans, l'humanoïde est vraisemblablement presque dépourvu de
mélanine et protégé par une abondante pilosité.
Il est possible que la découverte du feu (± 650 000 ans)
se soit accompagnée d'un accommodat adaptatif : la perte de la presque
totalité de son système pileux, et notamment des membres
supérieurs pour -entre autres ?- une manipulation plus aisée
du feu. Ainsi exposé, il aurait développé une pigmentation
plus ou moins foncée selon les latitudes, les peaux noires étant
mieux protégées du soleil, par leur capacité de filtration
des rayons ultra-violets*…
* Ce ne sont que pures spéculations personnelles, bien séduisantes,
n'est-il pas ?…
De plus, les peaux restées blanches dans des régions peu
ensoleillées favorisent la synthèse du calciférol
(vitamine D), dont l'absence provoque le rachitisme. Les hommes à
la peau claire, retournés dans les zones tropicales et notamment
dans les savanes sèches depuis ces deux ou trois millénaires
ont augmenté leur quantité de mélanine, mais doivent
encore se couvrir pour se protéger des ultra-violets (Touaregs,
Bédouins, etc.).
Notre thermorégulation ne nous permet pas de variations
de températures de plus de 1°C sans qu'apparaissent des troubles
physiologiques. L'équilibre entre la température externe
et l'hygrométrie ambiante d'une part, et la transpiration (perte
d'eau et et de sels) d'autre part, est constant, à condition que
la déshydratation soit compensée par une prise d'eau (et
de sels) suffisante, ce qui se fait naturellement. La réduction
du volume de l'urine par temps chaud est une aide efficace à la
thermorégulation. En revanche, la réduction du volume du
plasma sanguin augmente la viscosité du sang, et au-delà
de 5% du poids total du corps, les pertes hydriques peuvent conduire à
un choc thermique entraînant la mort.
Il n'existe pas de différence réelle entre les caractéristiques
physiologiques de groupes ethniques vivant en pays tempérés,
régions polaires ou arides : le rythme cardiaque, la température
interne et les quantités d'eau journalières sont les mêmes
pour un Breton, un Inuit (Esquimau) ou un Aborigène. Si un Breton
par exemple, supporte mal un climat aride, il s'agit d'abord d'habitudes
de vies dans un climat différent, et de comportements parfois erronés,
comme celui de vouloir accomplir des activités identiques en temps
de travail, quantité et qualité.
Les mauvaises plaisanteries sur le comportement des gens vivant
en région méditerranéenne ne sont pas innocentes.
L'acclimatation de l'homme dans ces régions a dû passer par
une réduction tout à fait naturelle et nécessaire
de l'activité humaine. Le rythme de vie est infligé par le
climat, et seules des conditions artificielles peuvent nous maintenir au-delà
d'un rythme climatique donné : l'utilisation de véhicules
à air conditionné, d'édifices climatisés, de
réfrigérateurs, etc.
J'ai été amené à travailler durant
quelques semaines dans une mine de fer en Australie de l'Ouest, dans le
désert de Gibson. Pour montrer ma capacité au travail, j'ai
conservé mon rythme d'Européen. Pas longtemps ! A la première
perte de conscience, j'ai dû ralentir. Au bout de trois semaines,
mon métabolisme permettait une augmentation des capacités
de travail en zone aride. Ma consommation quotidienne était alors
de 7 litres d'eau…
Les raisons qui ont poussé l'homme à vivre dans
les déserts sont assez obscures. Des guerres tribales obligeant
certains groupes à fuir ont peut-être amené ces derniers
à se réfugier dans les contrées limitrophes plus arides.
De nombreuses hypothèses ont été avancées,
et la plus vraisemblable est qu'en diverses régions où l'homme
s'était établi, la sécheresse a commencé à
sévir. Ne pouvant se résoudre à quitter les lieux
(il est sédentaire là où il dispose d'eau, végétaux,
combustible, gibier en suffisance), il est resté, jusqu'au moment
où l'aridité, par sa durée, est devenue intolérable.
Cela s'est sans doute réparti sur plusieurs générations.
Il est même probable que cela ait été imperceptible
aux populations, et qu'elles aient suivi les modifications du climat en
changeant leur comportement.
Je sous-entends que les premiers habitants d'un désert
"en formation" n'ont pas été la cause, mais les victimes
du phénomène. En Europe de l'Ouest, les périodes glacières
ont modifié le climat, et ont forcé une partie de la population
à émigrer vers le sud, et pourquoi pas jusque vers le Sahara,
alors verdoyant dans sa partie septentrionale*. Le recul des glaces commence
il y a à peu près 30 000 ans, laissant de riches terrains
sédimentaires. La phase aride reprend et nécessite plus de
20 000 ans pour s'installer. Entretemps, l'homme a évolué,
et est passé progressivement du stade de chasseur-cueilleur à
celui d'agriculteur (-6000 ans). Les restes émouvants que j'ai observés
un peu partout au Sahara algérien attestent de villages importants,
au vu des innombrables meules dormantes et broyeurs laissés sur
place, et montrent une intense activité de la récolte et
de l'utilisation des plantes céréalières (culture
ou ramassage de Graminées sauvages).
* Avec les glaciations et les régressions marines, un pont
naturel devait exister vers Gibraltar, et faciliter les migrations. Rappelons
que l'avancée des glaces s'est traduite par un recul des ceintures
arides. La dernière glaciation, dite de Würm, est apparue il
y a environ 50 000 ans
L'abattage des forêts, l'utilisation sans cesse grandissante
de combustible végétal, et l'allumage de feux pour la mise
en culture, le nettoyage des pâturages, le dépistage du gibier,
ont largement contribué à l'accélération du
processus de désertisation, en créant la désertification,
phénomène anthropique. Mais le feu domestiqué n'est
pas le seul responsable de l'apparition de la forêt secondaire, puis
de la savane. Les éclairs de chaleur peuvent aussi engendrer des
incendies, provoqués par la foudre. Mais au contraire des feux de
brousse allumés par les hommes, les feux naturels sont toujours
limités et souvent éteints par les pluies d'orage qui suivent.
L'Australie, le Brésil, la zone africaine du Sahel et bien d'autres
régions connaissent les deux phénomènes, naturels
et artificiels. Le surpâturage de zones fragilisées accroit
aujourd'hui sous nos yeux, l'extension rapide des savanes sèches
et des steppe désertiques.
• Peuplement et modes de vie.
La répartition de l'homme au désert est de toute
évidence très inégale. L'oasis, point d'eau permanent,
a rendu la vie sédentaire possible, bien que le milieu ait été
profondément modifié par l'homme. De grandes villes sont
nées d'oasis souvent modestes : Alice Springs en Australie, Lima
au Pérou, Antofagasta au Chili, Los Angeles ou Las Vegas aux Etats-Unis,
etc. L'oasis primitive ressemble ressemble à une île au milieu
de la mer du désert ; les sédentaires s'y livrent à
une activité essentiellement agricole et commerciale.
Le Palmier-dattier (Phoenix dactylifera) introduit par l'homme
dans la plupart des oasis des déserts du globe, est d'une importance
économique considérable. De très grandes palmeraies
existent un peu partout en Afrique et au Moyen-Orient bien sûr, mais
également au Pérou, au Mexique (San Ignacio, Basse-Californie),
aux Etats-Unis (Palm Springs en Californie), etc. Fraîches ou séchées,
les dattes sont l'aliment de base des sédentaires, et plus encore
des nomades qui viennent s'approvisionner dans les villages. Distillées,
elles donnent l'alcool d'Arak ; les noyaux sont broyés et donnés
aux chameaux en complément alimentaire. Les feuilles sont utilisées
pour tresser des cordages, des paniers, ou comme combustible. Les troncs
morts servent de poutres dans les maisons. Parcourant les anciens châteaux
fortifiés, les ksars (ou ksour) de la région du Gourara au
Sahara algérien, j'ai pu constater combien le tronc des palmiers
avait été mis à contribution comme linteaux et autres
poutres de soutènement. Sous les palmiers, les cultures vivrières
sont variées : agrumes, grenadiers, figuiers, oliviers, abricotiers,
haricots, piments, tomates, salades, oignons etc.
Les oasis côtières du désert péruvien
tirent leur principale subsistance de… la pêche ! C'est l'un des
rares déserts où je n'ai pratiquement consommé que
du poisson durant un mois de traversée : poisson frais le long du
littoral, poisson séché ou en conserve dans l'intérieur
des terres.
Différents types d'oasis parsèment les zones arides.
La majeure partie d'entre elles vit grâce à des sources, eaux
souterraines ou artésiennes. Suivant les vallées des gigantesques
quebradas de l'Atacama, les oasis du désert chilien profitent des
eaux saisonnières apportées par la fonte des neiges sur le
versant occidental de la Cordillère des Andes.
Les oasis d'altitude bénéficient des précipitations
locales liées à leur situation : par exemple, Windhoek (1779
m d'altitude) dans le désert de Namib. Les oasis densément
peuplées sont généralement celles que l'on trouve
le long des grands fleuves : le Nil en Egypte, le Rio Grande (ou Rio Bravo)
au Mexique, le Tigre et l'Euphrate en Iraq, le Fleuve Jaune en Chine, l'Indus
au Pakistan. Régions fertiles, elles ont pour la plupart d'entre
elles un passé prestigieux, l'occupation humaine ayant fait naître
de grandes civilisations : Mohenjodaro au Pakistan, l'Egypte des Pharaons,
les Mésopotamiens, etc.
La simplicité des matériaux utilisés pour
la construction dans les oasis a donné une architecture typique,
ordonnée (oasis du Mzab en Algérie, villages Pueblos en Arizona…),
et leur confère parfois une noblesse incomparable (architectures
du Yémen, et du Rajasthan en Inde).
L'oasis est un milieu reconstitué en perpétuelle
évolution. Les problèmes rencontrés sont divers :
assèchement des nappes phréatiques, qualité de l'eau,
remontées salines, déplacement des dunes, inondations, sécheresses,
maladies etc. Sans cesse, l'homme doit agir pour maintenir son habitat.
L'oasis est comme le désert : un milieu extrêmement fragile,
avec un handicap supplémentaire, celui d'être entretenu artificiellement
par l'homme… Et du sédentaire qui vit dans les oasis, dépend
le nomade…
• Sédentarité et nomadisme : la diversité.
"Habitants occasionnels".
Une espèce prolifique, prédatrice des déserts
(et autres milieux vierges à exploiter) est l'habitant occasionnel,
non le touriste, presque inoffensif, mais celui qui défigure le
paysage en cherchant pétrole, or, diamants, ou plus simplement cuivre,
manganèse, fer, phosphate, nitrate. "On abîme ? C'est dans
le désert, donc c'est pas grave…".
Ces gens vivent temporairement dans le désert, et quand
je dis vivent, cela n'a aucune commune mesure avec les sédentaires
des oasis ou les nomades. Leur vie est artificielle, tout est importé
: nourriture, loisirs, boissons fraîches, même l'eau ! Tout
ce qui peut servir à fabriquer du froid est présent. De véritables
villes-champignons se construisent, tout confort. Je dois dire que j'y
ai toujours été très bien accueilli (ma passion pour
la minéralogie y étant sans doute pour quelque chose). Que
ce soit dans la mine d'argent de Mantos Blancos dans le désert d'Atacama
au Chili, la mine de diamants de Jwaneng dans le désert du Kalahari
au Botswana, ou encore la mine de fer de Newman dans le Western Australia,
j'y ai fait de somptueux repas, très appréciés après
des semaines, voire des mois de désert à bicyclette !
Puis vient le jour de l'épuisement des filons, l'habitant
occasionnel abandonne tout, matériels et machines, maisons, hôtels
de luxe, même ses morts… Je suis souvent passé au cœur de
ces "villes-fantômes", comme celle d'Austin dans le Western Australia,
vidée de son animation, de ses chercheurs d'or, et où il
ne reste plus que le cimetière ; quelques tombes perdues dans le
"bush" témoignent du passage des hommes au début de ce siècle,
à la première ruée vers l'or. Les années ont
passé, le désert, meurtri, reprend ses droits…
A Big Bell, dans le Western Australia, la gare est déserte
depuis près d'un siècle, et seul reste le four du boulanger
; les planches desséchées du Grand Hôtel laissent flotter
au vent quelques lambeaux de tapisseries décolorées : il
est loin, le temps du piano mécanique, des danseuses, de la splendeur
de Big Bell…
Lagunas, dans le désert d'Atacama au Chili, est une ville
de désolation avec ses rues vides, désertées lorsque
les cours du nitrate se sont effondrés. Le désert retourne
dans sa solitude passée, couvert de plaies béantes et de
cicatrices gigantesques créées par l'homme pour en extraire
sa chair et son sang, ses richesses minérales, jusqu'à les
épuiser. Alors seulement, il s'en va…
Nomades, chasseurs-collecteurs.
J'aurais dû commencer par les vrais habitants du désert,
ceux qui le respectent, car ils le vivent au quotidien avec tout leur être
: les nomades. Ce mot est magique, il exprime l'indépendance et
la liberté. A tel point que notre société moderne
rejette ce qu'elle a un jour été, et que ce mot en Europe,
est presque une péjoration. Ne voit-on pas fleurir aux portes de
nos belles cités : "Interdit aux nomades" ?… Les mots "primitif"
(= né le premier), et "sauvage" (= qui vit dans la forêt,
à l'état libre) aussi ont perdu leur sens profond.
Pourtant, en zone aride ou semi-aride, la meilleure façon
de vivre est de se déplacer, car la reconstitution des stocks naturels
d'eau et de comestibles est aléatoire.
En étudiant les différents groupes actuels de chasseurs-collecteurs,
activité première de l'homme primitif, on constate qu'ils
sont pour la plupart pacifiques. Cela tient certainement à l'organisation
même de leur société. Pas de notion de propriété
: le gibier est partagé entre les membres du clan, le chasseur recevant
en principe la meilleure part. Ce n'est que lorsque l'homme va commencer
à pratiquer l'élevage et l'agriculture* qu'il va susciter
les convoitises de son voisin, car ce qu'il produit (bétail, céréales…)
lui appartient de fait. Pour les Indiens, la terre n'appartient pas à
l'homme : c'est l'homme qui appartient à la terre…
* Les Hopis sont un peuple d'agriculteurs indiens d'Amérique
du Nord, et dont le nom signifie : les "Pacifiques"…
L'exemple-type se trouve parmi les tribus nord-américaines,
où l'on rencontre selon les régions, des peuples chasseurs-récolteurs
(Shoshones, Paiutes), des agriculteurs (Creeks, Choktaws), des agriculteurs-pasteurs
(Hopis, Pueblos, Navajos) et des semi-nomades chasseurs de bisons (Sioux,
Cheyennes, Pawnees). Parmi ces derniers, des tribus guerrières vont
apparaître dans les grandes plaines centrales (Comanches), et dans
la région du nord-est (Mohawks, Senecas, Iroquois).
Bochimans du Kalahari.
Aujourd'hui encore, des hommes vivent comme nos premiers ancêtres
des savanes : les Bochimans ou Bushmen du Kalahari, en Afrique Australe.
Ils font partie des plus anciens groupes de nomades, les "chasseurs-collecteurs".
Leur langage est assez étrange et se compose de sons et de claquements
produits avec la langue.
Le désert du Kalahari est plus une steppe arbustive qu'un
réel désert, et il fournit des produits comestibles d'une
grande diversité : petit ou gros gibier, plantes succulentes (ou
plantes grasses), fruits, racines, etc. Mais toute cette relative richesse
alimentaire est dispersée. La vie des Bochimans n'est pas régie
en tribus, mais en clans, ce qui permet à une famille itinérante
de subvenir à ses besoins. Les Bochimans (comme les Aborigènes)
ne pratiquent donc ni agriculture ni élevage ; le seul animal domestique
est le chien, qui sert à la fois de jouet aux enfants, de rabatteur
de gibier, de chauffage animal durant les longues nuits glacées
de l'hiver austral, et même d'appoint alimentaire lors de disettes.
Ils construisent des abris sommaires à l'endroit où
ils ont tué leur gibier et le consomment sur place. L'homme fabrique
le feu en frottant deux morceux de bois l'un contre l'autre. De petite
taille, 1,50 m en moyenne, les Bochimans ont encore un mode de vie proche
de celui de l'homme préhistorique.
Peu performantes à cause de l'absence d'empennage, les
flèches sont empoisonnées avec des sucs végétaux
mêlés à du venin de scorpion ou de serpent. Chaque
chasseur possède son mélange, sa recette propre. Quant aux
femmes, elles sont chargées de la cueillette des baies et des racines,
des tsammas, les melons du désert, de la recherche des lézards
et des vers blancs, et du ramassage de l'eau, stockée dans des calebasses
ou des œufs d'autruche. Les contacts avec la civilisation leur permettent
d'obtenir maintenant allumettes, cuvettes en faience et seaux en plastique,
qui ont tendance à remplacer peu à peu les œufs d'autruche.
L'une des plus curieuses particularités anatomiques des
Bochimans tient au muscle fessier, largement développé. Cette
stéatopygie, due à des accumulation de graisses, est particulièrement
proéminente chez les femmes, et leur permet, en cas de sécheresse
prolongée, de pouvoir vivre sur leurs réserves adipeuses.
Cela rappelle fort les "Vénus" des temps préhistoriques et
leurs formes généreuses. En période de disette, cette
adaptation devait aider les femmes à ariver, malgré les privations,
au terme de leur grossesse, vitale pour la perpétuation de l'espèce
humaine.
Le Kalahari possède heureusement une faune et une flore
assez riches pour des clans itinérants. Il ne faut pas oublier que
les Bochimans ont été repoussés au Kalahari dès
le début du 17ème siècle par les Bantous et leur bétail
arrivant par le nord, puis les Blancs débarquant au sud, au cours
d'affrontements sanglants. Aujourd'hui, les Bochimans ont une vie peu enviable,
réduits à une quête perpétuelle d'eau et de
nourriture. C'est une vie libre, en marge de la civilisation. Pour combien
de temps encore ?… Leur territoire se rétrécit d'année
en année avec la découverte de nouveaux gisements de diamants,
dont les petits hommes du désert ne profiteront jamais, de quelque
manière que ce soit. Ils risquent même de payer très
cher la richesse minérale de la dernière terre où
ils ont élu domicile, la seule qu'on leur ait concédée,
car on la croyait sans valeur… Et si leur sable est fait de diamants, les
Bochimans ont un avenir qui est loin d'être… brillant ! Pourtant,
c'est en sauvegardant leur milieu qu'on permettra aux Bochimans d'être
libres de choisir leur avenir, s'il existe encore…
.Aborigènes d'Australie.
Le milieu semble bien conditionner le mode de vie, car les Aborigènes*
se sont adaptés aux savanes australiennes (le "bush") en se basant
sur des structures socio-familiales identiques à celles des Bochimans
du Kalahari, tout en adoptant un régime alimentaire très
éclectique. On pense que les premiers Australiens sont arrivés
au Pléistocène, il y a environ 30 à 40 000 ans. Le
site de Mungo, dans l'ouest du New South Wales, atteste d'une occupation
de près de 30 000 ans, avec présence d'outils et les traces
d'une cérémonie rituelle.
* Le terme "aborigène" désigne les premiers habitants
d'un pays. Aujourd'hui, il s'applique essentiellement aux indigènes
d'Australie.
Il semble que le peuplement aborigène en Tasmanie ait été
le plus ancien. La séparation de la Tasmanie d'avec le continent
australien a eu lieu il y a environ 10 à 12 000 ans, lorsque la
fonte des glaciers provoqua l'ennoyage du détroit de Bass, et l'isolement
des populations. Les Tasmaniens ne connaissent ni les outils à manche,
ni le boomerang, ni les armes de jet, et le Dingo (Canis familiaris dingo)
est absent de leur île, ce qui sous-entend également une arrivée
tardive de ce canidé placentaire sur la plateforme continentale
australienne.
A l'arrivée des Blancs, colons britanniques (et "convicts",
les fameux forçats…) en 1788, on dénombrait à peu
près 300 000 Aborigènes : Pitjantjaras, Arandas, Bindibus,
Waramungas, Pintubis… Aujourd'hui, ils sont 180 000… Confrontés
à ce soudain débarquement des hommes blancs, choc brutal
entre deux mondes pensant différemment, ayant des besoins différents,
la plupart des tribus aborigènes est actuellement regroupée
(mélangée…) dans des réserves, dont les directeurs
sont des Blancs… Le but avoué est l'intégration dans la nouvelle
société australienne. Hors des solutions proposées
par les Blancs, point de salut.
La vie du chasseur-collecteur aborigène est régie
en mode tribal ; la tribu est elle-même divisée en clans familiaux,
qui assurent leur propre subsistance sans opérer une pression trop
forte sur le milieu. Comme au Kalahari, l'environnement du bush semi-aride
ne se prête pas à l'agriculture. Comment "inventer" ou créer
une activité impossible ou inutile ? D'ailleurs, les Blancs n'ont-ils
pas dû tout importer en Australie : blé, arbres fruitiers,
moutons, machines…?
En l'absence de grands prédateurs, les Aborigènes
n'ont pas eu besoin de développer des armes défensives ;
le boomerang à lui seul assure la fourniture de viande fraîche
pour les clans : il est l'arme absolue, et représente l'une des
plus ingénieuses et artistiques réalisations des Aborigènes.
Bien que primitive, la civilisation aborigène est très élaborée
; comment faire des provisions si l'on ne peut pas les transporter, ou
si leur transport compromet le déplacement des groupes, et plus
grave, l'équilibre de capacité alimentaire d'un lieu surexploité
? Il faut donc se déplacer sans cesse en petits groupes d'individus.
Les Aborigènes ont acquis un sens de l'observation et de
l'orientation extraordinaires, et savent où trouver l'eau précieuse.
En 1980, j'ai rencontré dans l'Outback, des enfants aborigènes
qui chassaient les oiseaux (Corbeau flûteur, Gymnorhina dorsalis
et diverses espèces de perroquets) qui entrent dans leur alimentation
occasionnelle. Le chasseur est opportuniste : pratiquement tout ce qui
vit, vole, rampe, saute, court, grouille, peut être consommé.
Dans les déserts, même les "semi-déserts", il n'est
pas question de faire le délicat et le difficile sur les ressources
vitales disponibles : insectes et larves d'insectes, chenilles, œufs, serpents
et lézards, grenouilles, poissons, oiseaux, divers marsupiaux, et
jusqu'à leurs chiens (Canis familiaris dingo) en cas de besoin.
Les végétaux sont également très prisés
et nombreux : racines et tubercules, fruits, champignons, noix, graines,
feuilles (de Portulacacées comme Calandrinia par exemple). Ils m'ont
fait découvrir un mets délicieux, le nectar de Grevillea
eriostachya (également Brachysema chambersii), rappelant le miel
et le caramel ; les enfants aborigènes lèchent les inflorescences
comme une sucette, ingurgitant par la même occasion quelques fourmis,
attirées elles aussi par le nectar.
Dans les zones semi-arides de l'Australie, (comme aux USA, au
Mexique ou ailleurs), les fourmis à miel (Camponotinae, Dolichoderinae)
constituent pour les populations de chasseurs-récolteurs, une source
alimentaire non négligeable. Certaines fourmis, parmi les ouvrières,
sont destinées à devenir les "outres à miel" ; elles
sont chargées de stocker les liquides glucosés dans leur
jabot. A la saison sèche, les fourmis récolteuses puisent
dans leurs réserves vivantes, pendues au plafond de la fourmilière.
Ecrasées avec un peu d'eau, noyées, les fourmis à
miel (qui mordent avec férocité !) produisent un liquide
sucré comparable à la "limonade sans les bulles", et avec
un arrière-goût d'Eucalyptus ! Tout est consommé :
il y a à boire et à manger.
Les grenouilles sont également une source de liquide inattendue.
Quelques espèces comme Ceratophrys s'enterrent dans le fond des
mares temporaires pour se protéger de la sécheresse. Elles
peuvent accumuler jusqu'à 50% de leur poids en eau dans leur vessie,
l'urée étant évacuée par la peau. D'autres
racontent qu'elles se fabriquent une bulle protectrice remplie d'eau pour
éviter la déshydratation. L'ingéniosité des
hommes est sans limites : lorsque les Aborigènes ont repéré
une mare asséchée susceptible de contenir les fameuses grenouilles,
ils frappent le sol pour imiter la pluie qui tombe ; le stratagème
trompe parfois les grenouilles à un point tel qu'elles se mettent
à célébrer le retour des pluies par des chants et
des coassements. Ainsi surprises, elles sont capturées et pressées
comme de vulgaires citrons !
Pourtant, la vie des premiers Australiens est encore plus précaire,
plus dépouillée que celle des Bochimans d'Afrique australe
: ils ne fabriquent pas de huttes de branchages, mais se contentent de
brise-vents, en utilisant des touffes de graminées, Spinifex etc..
Plus étrange encore, ils ne possèdent pas de récipients
de stockage pour l'eau, et leur vie est conditionnée par la recherche
quotidienne de points d'eau, ou l'installation temporaire à proximité
de sites où l'eau coule en abondance (Ayers Rock par ex.). Les quelques
ustensiles utilisés par les Aborigènes sont la hache de pierre,
la lance en bois durci au feu, le boomerang, le bâton à fouir,
le trieur de graines (servant aussi de berceau)… Un document ethnographique
tourné en 1966 montre les derniers Aborigènes vivant à
l'état naturel. En 1980, la triste vision de ce peuple est donnée
par les groupes agglutinés près des débits de boisson.
La nouvelle société proposée par les Blancs est inadaptée,
cela se confirme partout où des chocs de civilisations antinomiques
se font jour (révolte d'Indiens au Canada en 1990, au Mexique en
1994…). La plupart des Aborigènes d'Australie, des Bochimans d'Afrique
australe, des Indiens d'Amérique, spoliés puis phagocytés
par nos lois sur les terres, n'ont pas la notion de travail, de rendement,
mais ont l'un des niveaux de vie les plus bas de nos civilisations. Il
y a des réserves pour les lions, les éléphants… les
Bochimans, les Indiens et les Aborigènes.
Les Australiens de l'Outback, l'arrière-pays, savent vite
devenir agressifs lorsque l'on veut évoquer la condition aborigène
: "Ces gens ont l'eau gratuitement, ils ne se lavent même pas !".
Dans les villes, on surnomme avec une méchante ironie, un pick-up
conduit par des Aborigènes, une "boîte de chocolats" (Chocolate
box)… Avons-nous une quelconque considération pour les nomades (même
en France…), savons-nous respecter leur mode de vie ? Nos sociétés
prônent l'intégration, sans qu'il puisse y avoir un autre
choix ou une place à leurs différences. Les nomades "échappent"
à nos lois, dit-on, jamais à nos tourments et à nos
punitions…
En Australie, Algérie, Botswana, Afghanistan, Tanzanie,
Ethiopie, Iraq, etc, on tente de sédentariser les peuples nomades,
parfois déplacés de force, pour mieux les contrôler.
Le résultat pratique ne se fait pas attendre : la surexploitation
des pâturages et le besoin de combustible sur une maigre superficie
ruinent les possibilités de régénérescence
de la couverture végétale, et conduit à des catastrophes
écologiques pires que les feux de brousses. Il est vrai que le problème
n'est pas simple, et que ce sont parfois les nomades qui, acculés
par la sécheresse et la famine, émigrent vers les villes
(Ethiopie, Niger, Nordeste Brésil…).
Les Aborigènes de la tribu des Pitjantjaras ont récupéré
leur lieu sacré Uluru (Ayers Rock), et continuent à peindre
dans des abris sous roche, et à y accomplir leurs rites ancestraux,
basés sur le "Temps du Rêve", et Wanambi, l'Esprit du Serpent
qui protège les sources sacrées. Rien n'a changé dans
leurs croyances, et Mutidjula (Maggie Springs) est toujours la demeure
de l'Esprit des Morts. Vaste monolithe d'arkose, l'Ayers Rock est riche
de symboles liés aux reliefs d'érosion. Chaque partie d'Uluru
(le Symbole de la Terre), chaque anfractuosité a une signification
précise et sacrée pour les Aborigènes : Putta, qui
signifie "Poche du Kangourou", est un abri sous roche ; Ngoru ("Scarifications
rituelles"), également appelé le "Cerveau Humain" à
cause de sa forme, est un ensemble de cavités naturelles créées
par l'érosion éolienne et chimique le long des stratifications
; Ngaltawadi ("Bâton à Fouir"), surnommé par les hommes
blancs la "Queue de Kangourou", est une longue écaille d'arkose,
résultat d'une gigantesque érosion par desquamation. Le "folklore"
aborigène reflète les rapports étroits qui existent
entre eux et la nature.
Indiens d'Amérique.
Il y a environ 40 000 ans, l'Amérique du Nord possède
un pont continental reliant l'Alaska à la Sibérie (la Béringie).
Au cours des diverses glaciations et inter-glaciations, ce pont naturel
est apparu ou a disparu au gré des fluctuations glacières
de l'Arctique, faisant reculer ou avancer d'autant les zones désertiques
de la ceinture aride.
Chassant le mammouth et le caribou, les premiers hommes vont poursuivre
leur gibier de choix jusqu'en Alaska, entraînant des vagues d'immigrants
d'origine asiatique, qui vont descendre peu à peu en suivant les
couloirs libres de glace. Lorsque, en période inter-glacière,
le niveau des eaux s'élève et noie le pont naturel, l'immigration
est stoppée. Des vagues successives suivront ainsi les périodes
glacières, jusqu'à il y a à peu près 11 000
ans. A cette époque, la majeure partie du continent nord-américain
connaît une aridité extrême, couvrant les 4/5èmes
de son territoire. Les habitants sont alors tributaires d'un environnement
hostile, appauvri par de longues périodes de sécheresse.
Seuls, les groupes de l'est des Etats-Unis et d'une partie du sud-ouest
(désert de Sonora) comme les Hopis, pratiquent l'agriculture ; les
groupes côtiers du golfe de Californie et du littoral Atlantique
comme les Chumashs, tirent leur alimentation de base de la pêche.
La grande partie de ceux qu'on appellera bientôt les Indiens vit
dans les Grandes Plaines et les zones arides du centre et de l'ouest américain,
comme les Paiutes ou les Comanches, se déplaçant au gré
des troupes et des migrations du gibier. Ce sont des chasseurs-récolteurs.
Vers 1400 après J.C., le climat s'améliore, et le
domaine aride régresse, entraînant de nouveaux déplacements,
des modifications des modes de subsistance. La chasse et la cueillette
sont l'activité de la plupart des indigènes américains,
et dure bien après l'arrivée -officielle…-des premiers Blancs
à partir de 1492. Certains groupes, comme les Indiens Cochemis de
Basse-Californie, aujourd'hui disparus, vivaient d'une manière extrêmement
précaire, gérant en quelque sorte la pénurie alimentaire.
On retrouve, comme chez tous les peuples de chasseurs-récolteurs
le côté éclectique de leur alimentation, toutefois
plus végétarienne que carnée.
Le partage de la "maroma", comme le cite non sans malice Théodore
Monod, est un morceau "choisi" parmi les modes d'alimentation de ces Indiens
plus récolteurs que chasseurs. On fixe un morceau de viande le plus
souvent crue à une ficelle de fibres d'Agave ou autre ; le but consiste
à mâcher sommairement le bout de viande, puis à l'avaler.
On tire sur la ficelle, et le produit de la régurgitation circule
parmi l'assistance de bouche en bouche (d'estomac en estomac, devrais-je
dire…), jusqu'à la disparition du morceau. Cela tient d'ailleurs
plus d'un rite que d'une "cuisine habituelle", et me fait penser, dans
une moindre mesure aux initiations des jeunes futurs guerriers Masais d'Afrique
de l'est, les Moranes.
Les Indiens Cochemis du désert de Vizcaino et les Séris
du désert de Sonora pratiquaient également la "deuxième
récolte" : les fruits de cactus, très riches en graines,
constituent le principal de leur régime alimentaire. Les graines
de Pitahaya dulce (Stenocereus thurberi) et Pitahaya agria (Machaerocereus
gummosus), ainsi que de diverses espèces d'Echinocereus étaient
récupérées des excréments humains, puis broyées
pour en faire de la farine !
Les collecteurs du désert vivent dans le Grand bassin,
sur les actuels états du Nevada, Utah, Colorado, Wyoming, Idaho
et Oregon. Malgré l'aridité, les Paiutes, Utes, Shoshones,
Washas etc, sont installés depuis 10 000 ans, parcourant leur région
en clans familiaux, se réunissant uniquement en période d'abondance
alimentaire, ce qui est assez rare. Les abris, constitués de branchages,
sont rudimentaires, et on les abandonne à chaque déplacement.
Tout reflète la précarité de leur vie ; le gibier
le plus utilisé (viande, peau…) est le Lièvre américain
(Lepus californicus), et fait figure de "gros gibier" en regard des rats,
lézards, écureuils, qui sont les animaux les plus fréquents
et les plus faciles à attraper dans le milieu difficile où
ils vivent.
Les interdits religieux ne rendent pas la tâche facile,
car le concurrent le plus direct, le Coyote (Canis latrans), est protégé
par un tabou, et on ne peut le tuer. De plus, la chasse est considérée
par de nombreuses tribus indiennes comme un acte sacré… Voilà
bien une leçon à tirer pour les piètres chasseurs
d'aujourd'hui, soi-disant protecteurs de notre nature, et qui ne supportent
pas la "concurrence", ou le respect des territoires de chasse (celui de
l'Ours des Pyrénées, Ursus arctos, par exemple.
Le climat du Grand Bassin est rigoureux en hiver. C'est l'époque
la plus difficile pour les collecteurs du désert. Cela n'empêche
pas les Paiutes d'être de véritables artistes dans le domaine
de la vannerie, et d'avoir une riche mythologie basée sur les rapports
entre les hommes et les animaux, du temps où ils pouvaient communiquer,
et surtout le Coyote, qui un jour, vola le feu pour sauver les hommes des
ténèbres glacées…
Parmi les Indiens d'Amérique les plus primitifs et les
moins connus, disparus depuis peu ou "assimilés", les quatre tribus
de Fuégiens existent encore à l'arrivée de Charles
Darwin et du navire "Beagle" en 1832. Les deux plus importantes, les Onas
et les Yhagans vivent d'une manière qui défie l'imagination
; Darwin raconte qu'il découvrit des êtres humains complètement
nus, parfois couverts d'une seule peau de Guanaco (Lama guanicoe) ou d'Otarie,
toujours pieds-nus, vivant dans d'épouvantables conditions climatiques
: glace et neige toute l'année dans cette zone proche de l'Antarctique.
Ces chasseurs-récolteurs semblent avoir un métabolisme
hors des normes humaines acceptables, ce qui leur a permis de survivre
dans un environnement particulièrement hostile, dormant sur un sol
humide et gelé, chassant à l'arc, et pêchant à
l'aide de canoës, transportant avec eux le feu sur leurs frêles
esquifs, ce qui a donné son nom à la Terre de Feu.
Deux tribus, les Selk'Nams de la Terre de Feu, et les Tehuelches
de Patagonie, chasseurs de Guanacos, ont disparu peu après l'arrivée
des Blancs : maladies, introduction du mouton qui a chassé le Guanaco,
ruées vers l'or, massacres, ont été les principales
causes de leur extinction.
Chasseurs-agriculteurs-pasteurs.
Le nomadisme primitif des chasseurs-récolteurs évolue
avec la technologie humaine, une structure sociale plus complexe se définit
avec la phase agricole et pastorale. Cela peut correspondre, mais c'est
peu probable, à une péjoration du climat, ou répond
à la nécessité de nourrir des populations de plus
en plus importantes qui auraient tendance à se sédentariser
peu à peu. L'avènement de la domestication des plantes et
des animaux va amener l'être humain vers de nouvelles activités
: tissage, vannerie, poterie. Son environnement n'a rien d'un désert
; il dispose d'un point d'eau permanent ou de la proximité d'un
fleuve : les grandes civilisations nées de l'agriculture sont celles
qui ont eu pour berceau le Nil, l'Euphrate, l'Indus.
De 6 à 7000 ans av. J.C., le Sahara semble avoir connu
en certains endroits, un climat analogue à celui actuel du Kenya,
lui donnant un aspect de savane arborée. Les gravures et peintures
rupestres des tassilis algériens montrent des chasseurs-éleveurs
évoluant avec une faune sauvage aujourd'hui disparue du Sahara :
rhinocéros, girafes, autruches, hippopotames, éléphants,
crocodiles… L'abondance de meules dormantes et de broyeurs indique une
intense activité de récolte de graines, sinon d'agriculture.
La disparition (migration ?) semble bien être due à une péjoration
du climat, mais s'est étalée dans le temps, durant environ
5 à 6000 ans.
Les guerriers-pasteurs contemporains comme les Masais ou les Turkanas
règlent leur mode de vie en fonction de chutes de pluies saisonnières.
le type de végétation que l'on y rencontre est une savane
arborée sèche très variée, tantôt steppique,
tantôt proche de la forêt-galerie. Leur territoire se partage
entre la Tanzanie et le Kenya pour les Masais, et entre le Kenya et l'Ethiopie
pour les Turkanas. Les Masais sont un vivant exemple de la vie pastorale
en savane. Le gibier n'est chassé qu'en de rares occasions, pour
prouver sa valeur, pour obtenir un trophée, pour défendre
son troupeau, jamais pour se nourrir. Toute leur existence est basée
sur l'élevage. Il est très rare qu'ils sacrifient un bœuf,
sauf lors de cérémonies rituelles, et leurs troupeaux sont
très importants ; on compte actuellement plus d'un million de têtes
(Zébus).
Périodiquement, les pasteurs prélèvent un
peu de sang frais d'un animal, en lui décochant une flèche
dans la veine jugulaire. Mêlé à du lait de vache, c'est
un aliment typique et préféré qui fait les délices
des Masais. Ce n'est donc pas tant la qualité de la viande, ni même
la quantité de lait que le troupeau produit, que le nombre de bêtes
qui importe. C'est le "compte en banque" du Masai qui permet à celui-ci,
polygame, d'avoir plusieurs femmes. Lorsque l'on voit un pasteur faisant
paître son troupeau dans une savane aussi pauvre, on peut aisément
apprécier l'importance que le Masai accorde à ses bêtes.
La croissance démographique galopante des Masais (et de leurs troupeaux…)
voit apparaître des phénomènes critiques : le surpâturage,
concurrence avec la faune sauvage, appropriation des points d'eau et installation
de villages au sein même des Réserves et Parcs Nationaux (Amboseli
au Kenya par ex.). Cette situation ne doit pas être négligée,
si l'on veut que l'homme et l'animal puissent cohabiter sans heurts.
Autre exemple très vivant : les agriculteurs-pasteurs de
la brillante culture Pueblo du sud-ouest des Etats-Unis, Hopis Zunis, Havasupais,
etc, eux-mêmes issus de la civilisation Anasazi, apparue au début
de notre ère. ces Indiens ont porté la poterie et la vannerie
à un haut degré artistique. Le façonnage actuel de
bijoux en argent et turquoises vient de techniques apportées par
les Espagnols.
Nomadisme pastoral.
Dans la région de la Vallée des Monuments, entre
l'Utah et l'Arizona, les Indiens Navajos font encore paître leurs
troupeaux de moutons, de même que les Papagos dans la Sierra Madre.
La complexité du nomadisme est démontrée dans le désert
de Thar, au Rajasthan en Inde, où les groupes nomades ne sont pas
à proprement parler régis en tribus, mais en castes. L'utilisation
des ressources du désert est le facteur déterminant de leur
manière de vivre. Les nomades du Rajasthan peuvent être classés
en quatre catégories :
- les pasteurs (Raikas, Sindhis, Parihars, Billochs…),
- les commerçants (Banjaras, Ghattiwallas, Gawariyas…),
- les artisans (Gadoliya Lohars, Sansis, Sattias…),
- divers autres types de nomades comme les Nats, Kalbeliya Jogis,
etc.
D'après le gouvernement indien, les nomades avaient autrefois
une fonction complémentaire dans l'économie du désert
de Thar ; mais aujourd'hui, en raison des différents niveaux politiques,
sociaux et économiques, ces relations traditionnelles ont été
rompues, car le bétail détruit rapidement les maigres pâturages
ou cultures. Interviennent également les mesures locales de conservation
des sols. En fait, pour le gouvernement indien, les nomades représentent
une menace pour la société, et il semble qu'ils ne pourront
malheureusement pas échapper à la sédentarisation.
Le nomadisme pastoral est, dans une grande partie du Sahara, remplacé
par le nomadisme commercial, sans doute apparu 1000 ans avant J.C. avec
les Phéniciens, mais surtout autour du 1er siècle de notre
ère, avec l'arrivée du Dromadaire (Camelus dromedarius).
La caravane du sel de la région de Bilma au Niger est une activité
anachronique, appelée à être complètement remplacée
par les transports routiers, concurrence inégale où chaque
camion emporte les charges de 100 chameaux en 4 jours, soit quatre à
cinq fois plus vite…
Au Sahara comme dans le désert de Thar, le nomadisme revêt
plusieurs formes. Les Tedas et les Touaregs pratiquent un nomadisme pastoral
et commercial, lié aux échanges de produits de base, ceux
que n'offre pas le désert : sucre, farine, thé… D'origine
berbère, les Touaregs ont combattu les Arabes, et ont gardé
cet esprit de farouche indépendance et de liberté de déplacement,
aujourd'hui remis en cause par les vicissitudes du climat et les sécheresses
prolongées. Certaines pistes sont délaissées par les
chameliers car il n'y a plus de pâturage pour les bêtes. Au
Niger et dans d'autres pays du Sahel, des conflits sanglants apparaissent
entre les populations sédentaires locales et les Touaregs.
Il existe encore au Sahara (en Mauritanie) un peuple exclusivement
chasseur, les Nemadis. A l'aide de leurs chiens, ils traquent gazelles
dorcas et antilopes oryx ou addax, et les tuent avec des javelots. Image
pleine de réminiscence, du temps où le Sahara n'était
peuplé que de chasseurs.
• Architecture et habitats : mimétisme ou symbiose ?
L'homme des déserts a appris à vivre dans son environnement
en se façonnant un habitat lié à l'aridité,
à son mode de vie, sédentaire ou nomade, et aux matériaux
disponibles. Les chasseurs-récolteurs n'ont que des abris sommaires,
huttes de branchage, qu'ils abandonnent généralement sur
place (Bochimans du Kalahari, Paiutes du désert de l'Utah). Ce caractère
provisoire de l'habitation se retrouve chez les pasteurs nomades ou semi-nomades
: tentes en poil de chèvre ou de chameau chez les Bédouins
d'Arabie, les Pashtouns d'Afghanistan, en poil de Yak (Bos grunniens) chez
les Tibétains, en cuir chez les Touaregs du Sahara. La peau de Bison
(Bison bison) sert à confectionner les tipis des Indiens des Plaines
d'Amérique du Nord, et celle du Guanaco (Lama guanicoe) était
utilisée par les Tehuelches de Patagonie.
Dans les déserts froids de l'Asie Centrale, la yourte mongole
en feutre est une merveille architecturale, adaptée au climat rigoureux,
et facile à démonter pour le transport.
Des huttes plus élaborées que celles des Aborigènes
et des Bochimans sont confectionnées par les hommes des déserts
: protégée des fauves par une enceinte de branches épineuses
d'acacia, la case masai est un chef-d'œuvre d'architecture, simple et surtout
adaptée au milieu où vit la communauté. Très
basses, ovo-spiralées, ces habitations laissent passer peu de lumière
et de chaleur ; elles servent surtout de refuge pour la nuit. La case est
structurée sur des montants de bois reliés par des fibres
végétales et des lanières de cuir. La charpente est
cloisonnée, tapissée d'un enduit de glaise mêlée
à de la bouse de vache. Le zériba des Touaregs est composé
de palissades de roseaux ou de palmes et d'herbes ; le wigwam des Indiens
Algonquins et Iroquois est fait de bandes d'écorce cousues et fixées
sur une charpente simple constituée de quatre troncs d'arbres flexibles
disposés en carré et recourbés vers le centre du toit.
Le hogan navajo est un peu plus complexe ; les troncs de bois
sont assemblés comme une cabane de trappeur, recouverts d'écorces,
le tout colmaté avec de la boue séchée. Pas de fenêtres,
et une porte toujours dirigée vers l'est. Les sédentaires,
comme l'étaient les anciens Anasazis, ont commencé par habiter
des "maisons à fosse", semi-enterrées et couvertes de chaume.
Puis ils évoluèrent vers des habitats à la surface
du sol, de pierre et d'adobe (brique d'argile crue, séchée
au soleil), jusqu'à constituer des villages de maisons accolées
et superposées, devenant ce qu'on appelle les "pueblos". L'épuisement
des ressources et une sécheresse prolongée obligèrent
les Pueblos à quitter leurs villages (Pueblo Bonito, Aztec Canyon,
Chaco Canyon, Mesa Verde aux USA, Casas Grandes au Mexique) et à
abandonner sur place les témoins de leur brillante civilisation.
Les ksars (ou ksour) sahariens sont de véritables villages
fortifiés, chefs-d'œuvre d'architecture alliant le pisé à
la pierre ; les linteaux et les poutres sont constitués de troncs
de palmier (Phoenix dactylifera). Dans le désert d'Atacama au Chili,
on rencontre dans la Cordillère des villages-forteresses précolombiens,
comme le "pucara" de Lasana, fait de pierres et charpenté avec du
bois de cactus (Trichocereus sp.).
De véritables villes troglodytiques, comme Pétra
dans le désert jordanien, ont développé de riches
cultures ; au temps du Christ, la civilisation arabe nabatéenne
est en pleine prospérité et Pétra, sa capitale, s'enrichit
grâce au contrôle qu'elle exerce sur les caravanes de la Route
des Rois.
Un type d'habitat contemporain très particulier existe
en Australie, né de l'activité minière dans le désert
de Simpson. La chaleur de l'été austral est telle que les
mineurs d'opale utilisent comme habitat permanent les galeries de mines
désaffectées ; on nomme ces maisons souterraines des "dugouts",
et elles possèdent tout le confort que l'on peut imaginer de nos
jours : réfrigérateur, télévision-vidéo
en circuit fermé ou satellite, cuisine équipée, salle
de billard, etc. La température à l'intérieur d'un
dugout est constamment de +21°C à +26°C, cependant que les
températures hivernales extérieures sont proches du point
de gelée, et qu'en été, +45°C à l'ombre
en surface ne sont pas rares. Une ville sans rues et sans maisons apparentes
(sauf les magasins) se trouve ainsi dans le South Australia : Coober Pedy,
ce qui en langage aborigène veut approximativement dire "Les Blancs
dans le trou" !
Rien à voir avec les superbes gratte-ciels de Sanaa au
Yémen, ou les demeures en dentelle de pierre de Jaisalmer, dans
le Grand Désert Indien (Thar), témoins d'une urbanisation
mêlant la beauté et le raffinement par la pierre : Jaisalmer,
la Montagne des Rois, le fort tout en ocre, et la ville à ses pieds
; impressionnante citadelle de grès jaune aux confins de l'Indus,
dont les pierres racontent l'histoire des farouches guerriers rajpoutes
qui donnèrent un jour leur vie pour défendre le Thar des
envahisseurs blancs venus de l'Occident, les soldats d'Alexandre le Grand.
Aujourd'hui, seuls les tailleurs de pierre perpétuent le
passé glorieux de leurs ancêtres moghols, dont les puissants
souverains, comme le Shah Jahan, venaient prendre au Thar ses trésors
de pierre et de marbre blanc. Ainsi, le marbre du désert servit
au grand empereur moghol à bâtir un monument funéraire
dont la magnificence ferait passer son nom à la postérité.
En 1613, une jeune sultane se marie avec le Shah Jahan, et devient très
vite par sa beauté légendaire, Mumtaz Mahal, "l'Elue du Palais".
Malheureusement, lorsqu'en 1631, Mumtaz Mahal meurt d'une grave maladie,
le chagrin du Shah est si grand qu'il décide de lui construire un
tombeau à la mesure de son amour, un mausolée à la
mesure de sa toute puissance et de sa richesse.
Pour cela, les architectes vont faire des prodiges. Les blocs
de pierre et de marbre viennent du désert de Thar, près du
petit village de Makrana. Ils sont découpés sur place, et
transportés sur des chariots tirés par des buffles, des dromadaires
ou des éléphants, à 300 km du Grand Désert
Indien, à Agra. Les ouvriers vont former une chaîne longue
de plus de trois kilomètres afin de pouvoir hisser à la seule
force humaine, les matériaux de construction jusqu'à la coupole.
Pendant 22 ans, 22 000 hommes vont travailler à ce chef-d'œuvre
de pureté, le Taj Mahal, tombeau éternel de la princesse
bien-aimée, véritable défi architectural au monde.
Pour l'amour d'une belle princesse, l'homme a fait revivre les pierres
du désert…
A Jaisalmer, la pierre témoigne encore des splendeurs du
passé : à travers d'étroits passages obscurs, la Ville
Dorée se découvre, avec ses maisons ouvragées, ses
balcons festonnés, la pierre comme de la dentelle ; travail incroyable,
raffinement du ciselé pour lequel on assure que les tailleurs de
pierre étaient payés au poids de la poussière qu'ils
enlevaient…
Les superbes cités mozabites de Ghardaïa, El Ateuf,
Bou Noura, Melika, Beni Isguen, Guerera, Berriane, dans le sud Algérien,
montrent que l'homme peut approcher, dans l'utilisation des éléments
minéraux du désert, jusqu'à la perfection : la sebkha
donne le "kaddam", mélange de calcaire, de sels et de gypse terreux.
Après chauffage, l'homme en obtient le "timchent", sorte de plâtre
rosé. Simplicité du matériau, recherche de l'esthétique,
les oasis du M'zab sont l'exemple même du mariage heureux entre l'être
humain et son milieu aride.
• Structures sociales et religieuses.
L'organisation sociale des peuples vivant au désert est
souvent extrêmement complexe, et rites, coutumes et religion ont
une importance primordiale. Les grandes religions monothéistes,
Islam, Christianisme, Judaïsme, sont nées du désert,
et leur zone d'influence a largement débordé des limites
du désert.
Les Touaregs ont la particularité assez unique dans le
monde musulman, d'être voilés, alors que leurs femmes ne le
sont pas. De fait, les femmes jouissent d'une grande considération
dans la société touarègue. La vie religieuse des nomades
s'est sensiblement adaptée aux lieux et aux circonstances ; le fait
de ne pas manger de porc, viande très riche en calories, permet
aussi d'éviter la transmission de maladies telles que la peste porcine.
La viande cachère (ou kasher) des Juifs oblige à tuer le
mouton selon des rites précis, comme entre autres, celui d'égorger
l'animal pour le vider de son sang. De même, la loi coranique interdit
de consommer des animaux qui n'auraient pas été tués
la tête tournée vers La Mecque. En fait, cela empêche
tout bon Musulman (ou Juif pour la viande cachère), de consommer
la chair d'animaux dont la provenance serait douteuse. Enfin, en imposant
aux nomades musulmans de prier le corps dirigé vers la ville sainte
de La Mecque, l'Islam a appris à ses fidèles du désert
à s'orienter : faire cinq prières quotidiennes, c'est vérifier
son cap cinq fois par jour ! On l'aurait deviné : dans le ciel pur
et étoilé des nuits sahariennes, la Grande Ourse se nomme…
la Chamelle.
Les peuples chasseurs-récolteurs qui vivent en clans familiaux
doivent lutter contre les phénomènes de consanguinité
(entraînant la trisomie 21 ou mongolisme). La plupart du temps, le
problème est socialement résolu, et il est par exemple interdit
de chercher femme parmi les membres féminins du clan (exogamie).
Chez les Aborigènes d'Australie, mais aussi chez certains Indiens
d'Amérique du Nord et chez les Inuits (Esquimaux), des expéditions
organisées vers d'autres clans permettaient d'enlever des femmes.
La nécessité fait même parfois loi, car peu sont disponibles
; en effet, l'infanticide, et notamment l'infanticide féminin est
chose assez courante lors de périodes prolongées de disette
: la naissance d'une fille chez les Inuits s'accompagne généralement
d'infanticide, car les filles ne sont pas pourvoyeuses de gibier.
Dans le désert de Thar (Rajasthan, Inde), on réduit
le nombre de bouches à nourrir en empoisonnant les enfants avec
une plante toxique, la Pomme de Sodome (Calotropis procera). Le "géronticide"
existe également chez les Bochimans du Kalahari qui, lorsqu'un ancien
ne peut plus suivre les déplacements du groupe, l'abandonnent avec
un peu d'eau et de nourriture : la survie du clan prime avant tout. Ce
qui nous paraît barbare est ici une question de vie ou de mort pour
tout le groupe ; un vieillard qui ralentit les déplacements et la
course au gibier met en péril le clan tout entier. Il pourra être
éventuellement récupéré lors d'un nouveau passage
et d'une chasse particulièrement fructueuse (si entretemps, il n'est
pas mort de faim ou de soif, et s'il n'a pas été dévoré
par les lions…).
La polygamie, chez presque tous les peuples nomades des déserts,
est aussi une nécessité : les femmes sont statistiquement
plus nombreuses que les hommes. De plus, beaucoup de chasseurs meurent
victimes de leur proie*, sans parler des guerres intertribales meurtrières.
Enfin, dans ces sociétés, une femme est faite pour procréer
; il ne peut, il ne doit y avoir de femme célibataire… Ainsi voient-elles
arriver non une rivale, mais une nouvelle aide aux tâches domestiques,
ménagères et de cueillette.
* A ce sujet, il existe un extraordinaire tableau de chasse reconstitué
au Musée Anthropologique de Mexico, montrant les restes d'un Mammouth
(Parelephas jeffersonii) criblé de flèches, et plusieurs
squelettes de chasseurs qu'il a entraîné avec lui dans la
mort en les piétinant.
On a vu que les troupeaux sont importants pour les Masais, parce
qu'ils ont une fonction sociale prépondérante dans leur vie
; ils permettent à une famille de s'alimenter, mais aussi de remplir
son rôle dans la communauté. Les bêtes sont nombreuses,
au-delà de la nécessité, car elles représentent
une valeur symbolique dans le régime matrimonial masai. Une femme
peut "valoir" trois vaches, un bœuf, deux chèvres et un mouton,
"dédommagement" offert aux parents de la jeune fille à marier,
qui voient partir une aide ménagère précieuse. A la
frontière tanzanienne, un Masai me fait la conversation :
- Combien as-tu de femmes, dans ton pays ?
- Une.
- Seulement ? Mais alors, tu n'as pas beaucoup de vaches ?
- Non je n'en ai pas beaucoup…
Le Masai reste perplexe.
- Et chez toi, reprend-il, les femmes sont circoncises ? (Il
veut dire excisées).
- Non. Dans mon pays, la France, cela ne se fait pas.
Le choc d'une rencontre, celle de deux sociétés aux conceptions
de vie diamétralement opposées…
Chez les Indiens d'Amérique du Nord, l'homme-médecine
a, encore de nos jours gardé un pouvoir étonnant. La mésaventure
qui m'est arrivée à ce sujet en 1984 mérite d'être
contée. Sur le chemin de Ganado (Arizona), des Navajos m'invitent
à une cérémonie à proximité du petit
village indien de Klagetoh, et m'embarquent dans leur pick-up. Tout le
monde est plus ou moins ivre : c'est aussi la fête. Il s'agit d'une
cérémonie traditionnelle ayant pour but de chasser la maladie.
Les Navajos qui m'ont emmené dans leur camionnette disent que je
peux prendre des photos, et je ne me fais pas prier : sans les voitures,
j'aurais l'impression d'avoir remonté un siècle.
Le shaman ou homme-médecine a fait construire deux huttes
ou kivas, l'une pour préparer des potions magiques à base
de végétaux, l'autre pour soigner les malades. Pendant que
le feu sacré brûle, l'homme-médecine prépare
sur le sol de la kiva, l'image magique. Bien qu'invité par des Indiens
membres de la tribu, c'est parce que je suis Blanc que je serai chassé
par le sorcier dès qu'il m'aura aperçu. Il crie au sacrilège.
Aucun homme blanc ne peut assister à une cérémonie
rituelle, et pire, prendre des photos*. On commence à me prendre
à partie : "Tu n'as rien à faire ici, sale Blanc ! Dehors,
le Blanc !". L'alcool aidant, l'hostilité grandit, on essaie d'arracher
mon appareil-photos. Je tente de m'expliquer, de m'excuser. Le sorcier
crie maintenant en anglais, il veut visiblement que je comprenne : "Tu
es un mauvais esprit, tu troubles la cérémonie ! Tu dois
partir !". L'agressivité atteint un tel paroxysme que mes hôtes
indiens mettent le contact, et démarrent en trombe pour essayer
de nous dégager.
* En fait, les photographies des vrais rites indiens sont interdites
depuis le début du siècle, pour éviter qu'ils ne prennent
un sens touristique et commercial. C'est à ce prix que les Indiens
ont su conserver leur identité.
Une autre aventure similaire m'est arrivée au nord du Kenya,
en pays Turkana. L'arrivée du Blanc, qui coïncide avec la pluie,
est un heureux présage. D'ailleurs, cet après-midi là,
le village sera déserté par les habitants qui vont fêter
l'évènement : le Dieu de la Pluie a enfin écouté
la tribu. Les guerriers et les femmes sont partis sur un lieu sacré
pour l'honorer, chanter et danser jusqu'à la nuit. Les tribus Turkanas
sont enfin exaucées : les pâturages vont reverdir, et le bétail
va pouvoir s'en mettre plein la panse.
Quelle ambiance ! Les guerriers dansent en cadence, sautant sur
place, une plume d'autruche dans une coiffure bleu ciel. Les femmes, vêtues
de simples peaux de chèvres, sont très nobles. Femmes de
pasteurs nomades, elles laissent dans leur sillage une forte odeur de lait
caillé. Les teintures corporelles ont une grande importance dans
la société turkana, et indiquent la condition sociale des
personnes ; la lèvre inférieure est souvent percée
pour y glisser un bijou de cuivre ou d'argent. Les grelots fixés
aux jambes et aux chevilles tintent à chaque saut, et rythment la
danse et les chants repris en chœur indistinctement par les hommes ou les
femmes. Egalement très coquets, les Turkanas dorment sur un oreiller
en bois pour ne pas abîmer leur coiffure, maintenue par un mélange
d'argile séchée et teintée en bleu.
Cette danse à caractère religieux est un spectacle
extraordinaire pour mes yeux et mes oreilles. Je prends instinctivement
mon magnétophone et mes appareils-photos pour enregistrer cette
scène inoubliable. Malheureusement, les danseurs se troublent, je
perturbe la fête, je deviens soudain dérangeant. Les guerriers,
et surtout les femmes, jugent le fait de photographier comme un acte d'agressivité
(mais qui peut parfois se monnayer comme chez les Masais). Je suis le seul
Blanc à assister à cette cérémonie d'un autre
âge ; le fait d'y avoir été convié ne me permet
qu'une présence passive. je range donc les appareils-photos.
Certains ethnologues utilisent des Polaroïds, et offrent
la photo "instantanément". Les Turkanas se dérident très
vite, et finissent par se laisser prendre avec un plaisir évident.
Pour ma part, je vérifie ce comportement avec un magnétophone,
sur lequel ils écoutent avec intérêt et même
une vive excitation, entrecoupée de rires bruyants, les enregistrements
de leurs chants et de leurs conversations. Cela se passe en 1983…
Le comportement des Indiens Navajos est lié pour beaucoup
à l'interprétation des signes naturels. En été
1984, je suis invité dans un campement de bergers Navajos au Nouveau-Mexique
; ils se sont installés dans les montagnes proches de Shiprock,
à l'abri du climat désertique, et font griller une chèvre
sur les braises d'un feu. De temps en temps, l'un de nous prend un morceau
de viande, et le déchire avec les dents en montrant une évidente
satisfaction. La fumée me vient dans la figure, et je me déplace
un peu. Le vent a dû tourner car je suis à nouveau enfumé,
et je tousse en moulinant. Une vieille indienne dit quelque chose en Navajo,
que je ne comprends pas. Loretta, mon hôtesse navajo, me traduit
aussitôt : "Quand, autour d'un feu, la fumée va toujours dans
la direction de la même personne, cela veut dire qu'elle pense à
sa famille." Evidemment, j'y pense, mais ce n'est qu'une coïncidence…
D'ailleurs, je me permets de changer radicalement d'endroit pour me mettre
en face. La fumée est ensorcelée : elle revient vers moi
! Je tourne autour du feu, sous les rires amusés des Indiens, rien
à faire, la fumée se dirige toujours vers moi ! "C'est un
heureux présage, ajoute Loretta. Il ne pouvait en être autrement.
ce matin, en partant, le premier oiseau aperçu était un aigle.
C'est un bon signe, et c'est toi qui l'a vu.".
En Pays Indien, il n'y a pas d'explications rationnelles à
chercher ou à donner : il suffit d'observer et d'écouter
la nature…
Maladies de l'homme au désert.
Si le climat sec du désert est sain., il est néanmoins
des maladies qui sont caractéristiques des zones arides : les cancers
de la peau sont fréquents chez les Blancs installés dans
les déserts américains, africains ou australiens, et notamment
sur les façades océaniques, où les nombreux adeptes
du bronzage se préparent à une vieillesse prématurément
ridée et à une peau cancéreuse. Les peuplades de race
blanche au désert ont depuis longtemps compris qu'il fallait au
contraire se couvrir.
Les mouches du désert peuvent être porteuses de germes
pathogènes, virus etc, entraînant la propagation du trachome
en Afrique, de la fièvre phlébotomique au Sahara (Algérie,
Maroc, Tunisie), au Sind (Pakistan) et au Thar (Inde). La maladie de Carrion
ou fièvre de Oroya souvent mortelle, est causée par une bactérie
(Bartonella bacilliformis), et comme l'indique son nom commun, tiré
d'une ville péruvienne, se situe dans le désert du Pérou,
au-dessus de 760 m d'altitude.
Les hogans navajos sont frais l'été et chauds l'hiver,
mais l'absence de fenêtres permet au bacille de la tuberculose de
se développer, donnant aux Indiens Navajos le triste record américain
de cas de tuberculose, six fois plus nombreux par rapport au reste de la
population. J'ai rencontré au Pérou, le Docteur Mendoza qui,
dans la région d'Ica, étudie les momies pré-incas
d'un âge moyen de 2300 ans. Les momies pré-incas n'ont pas
été éviscérées et embaumées comme
c'était le cas chez les anciens Egyptiens. Seule l'aridité
extrême du désert de Lurin a permis la conservation complète
des corps ; la peau montre des tatouages, les contenus stomacaux permettent
d'analyser les modes d'alimentation, mais surtout, on a découvert
dans les poumons momifiés de certaines dépouilles, le fameux
bacille de Koch, responsable de la tuberculose… On a également détecté
des tumeurs cancéreuses et des cas de syphilis.
Les leishmanioses sont des maladies infectieuses parfois mortelles,
causées par des protozoaires flagellés du genre Leishmania
(du nom de son découvreur, Leishman), que l'on trouve par exemple
au Sahara ou en Argentine (Gran Chaco) et au Mexique. Certaines atteignent
la peau, comme le "bouton d'Orient", pouvant se propager par contact direct.
Les rongeurs du désert, les Canidés (Chacals, Fennecs), les
singes sont les principaux vecteurs de cette maladie.
Les amibiases et dysenteries sont fréquentes dans les oasis,
où la qualité de l'eau est souvent loin d'être satisfaisante.
La malnutrition provoque des consomptions dramatiques (pays du Sahel),
et dans les lieux irrigués, la présence d'eau stagnante favorise
le développement des anophèles (Plasmodium culex, Aedes aegypti,
Anopheles gambiae) qui transmettent la malaria, la dengue, etc. Heureusement,
plus l'aridité est prononcée, plus la maladie a tendance
à reculer.
Le "rhumatisme du désert" ou coccidiomycose est une arthrite
allergique également la fièvre de San Joaquin. Cette maladie,
causée par un champignon, Coccidioides immitis, est responsable
de bronchites ou broncho-pneumonies, allant jusqu'à des méningites
mortelles. Ce champignon parasite vit dans les zones arides et semi-arides
de l'Amérique du Sud (Argentine) et du Nord (sud-ouest des Etats-Unis).
La tularémie est répandue dans les déserts
nords-américains, la CEI (ex URSS) et le Moyen-Orient, et est transmise
par les taons et les tiques, mais également au contact de Lagomorphes
(lièvres et lapins).
L'augmentation de la surface des terres irriguées, le développement
de canaux d'irrigation, de lacs artificiels entraînent en de nombreux
endroits arides, la prolifération d'insectes comme la Mouche noire
(Simulium damnosum), qui provoque la cécité, ou le Moustique
du genre Tanytarsus, présent au barrage d'Assouan sur le Nil, et
qui causent des allergies et de l'asthme.
DECOUVREURS DE DESERTS
• Un monde fascinant : le Désert, source d'inspiration.
Les déserts ont inspiré et inspirent encore nombre
d'écrivains, romanciers, peintres, sculpteurs, missionnaires, explorateurs,
danseurs, photographes, cinéastes, aventuriers, publicistes, etc.
En août 1976, lors de ma première traversée de la Vallée
de la Mort en Californie, j'ai rencontré Marta Becket, danseuse
classique new-yorkaise ; elle a créé l'opéra d'Amargosa
à Death Valley Junction, et présente des spectacles de ballets
et de pantomime en plein désert ! Elle a elle-même décoré
de fresques naïves tous les murs de son opéra, représentant
en trompe-l'œil, des spectateurs en costumes du 16ème siècle.
Aujourd'hui encore, les artisans navajos puisent leur inspiration
dans le milieu qui les entoure, et leur peinture, leur céramique,
leur vannerie, leur tissage font sans cesse référence au
désert de l'Arizona.
Wilfried Thesiger ("Le Désert des déserts"), et
Théodore Monod ("Méharées"), sont des arpenteurs de
déserts, et savent dans l'écriture, nous faire partager leurs
connaissances et leur passion des zones arides. Le romancier et poète
Tahar ben Jelloun ("Le Discours du chameau", "l'Enfant de sable") nous
fait découvrir le désert vu de l'intérieur, par ses
habitants. Antoine de Saint-Exupéry nous emmène dans un songe,
le pays imaginaire du Petit Prince, et décrit avec émotion
cette "Terre des Hommes".
Le dépouillement du désert invite au dépouillement
de l'être humain et au mysticisme : le Père Charles de Foucauld
recherche la solitude au Sahara. Son rêve de fonder une communauté
d'ascètes ne verra pas le jour, et il mourra assassiné par
les Touaregs. Missionnaires, aventuriers, tous ou presque connaissent une
fin brutale : Konrad Kilian, le découvreur du pétrole saharien
et de fresques préhistoriques, ou encore Isabelle Eberhart, aventurière
née à Genève, journaliste-écrivain convertie
à l'Islam, qui périt lors de crues en 1904 à Aïn
Sefra…
Le désert nord-américain inspire des photographes
de talent, tels Joseph et David Muench. Le cinéma américain
regorge de westerns et de films utilisant le désert du sud-ouest
des Etats-Unis en toile de fond, lorsque le désert n'est pas le
héros lui-même. Des romanciers comme Dino Buzzati ("Le Désert
des Tartares"), Paul Bowles ("Un thé au Sahara) et Louis Gardel
("Fort Saganne") suscitent des films à grand spectacle où
là aussi, on peut dire que le désert est le personnage principal.
Même la publicité s'y est mise, vantant des voitures
ou des cigarettes, des boissons fraîches ou des parfums, le désert
devient à la mode.
• Premières explorations.
Bien avant les Européens, de nombreux voyageurs (certains
involontaires, perdus, esclaves…) sont allés explorer les déserts
dans l'anonymat le plus complet. Quelques récits sont néanmoins
parvenus jusqu'à nous, et montrent que le désert est connu
et parcouru depuis l'aube des Temps. Il est impossible de citer tous ces
explorateurs, aventuriers, commerçants, naturalistes, mais j'ose
espérer que cette liste non exhaustive rendra plus modestes bien
des pseudo-faiseurs d'exploits contemporains hyper-médiatisés…
Déserts d'Afrique du Nord.
Mille ans avant notre ère, le Sahara est déjà
connu des Phéniciens, qui commercent avec le pays des Garamantes.
Le célèbre historien grec Hérodote (vers 484-420 av.
J.C.) écrit sur les Garamantes du désert libyque, et sur
la traversée du Sahara, parlant d'un grand fleuve situé de
l'autre côté du désert, et peuplé de petits
hommes à la peau noire…
Pour étendre leur empire, les Romains n'hésitent
pas à envoyer leurs armées au Sahara, durant l'occupation
de la Gaule (entre 50 et 40 av. J.C.). La géographie de C. Ptolémée,
Grec né en Haute-Egypte, au 2ème siècle après
J.C., décrit le Sahara avec ses villes et ses tribus ; un voyageur
arabe, Ibn Haugal, traverse le Sahara vers le 10ème siècle.
Au 14ème siècle, un autre Arabe, géographe-historien
fameux, Ibn Battuta, raconte dans un récit épique ("Rihla"),
les voyages exploratoires qu'il effectua toute sa vie en Afrique, en Arabie,
en Asie Mineure, en Russie, en Inde et en Chine ! Il va parcourir près
de 120 000 kilomètres…
Léon l'Africain, géographe arabe converti au Christianisme,
écrit en 1550 une "Description de l'Afrique", allant au-delà
du fleuve Niger… L'Europe, fascinée par les récits de cités
fabuleuses, de contrées riches, va engendrer nombre d'explorateurs,
naturalistes et aventuriers. Patronnés ("sponsorisés" dirait-on
aujourd'hui…) par des sociétés savantes, sociétés
de géographie, parfois les gouvernements pour des raisons commerciales
ou pour le prestige (et l'appropriation…) de la découverte, certains
vont s'engager dans une aventure pleine d'attraits et de promesses, mais
non sans dangers.
En 1819, pour le compte du gouvernement britannique, le Capitaine
George Lyon va parcourir 2250 km entre Tripoli et Tajarhi, allant jusqu'à
abandonner ses esclaves lors d'une violente tempête de sable. En
1822, d'autres Britanniques, le Major Dixon Denham, le Lieutenant Hugh
Clapperton et le médecin Walter Oudney vont traverser le Sahara
oriental depuis Tripoli jusqu'au lac Tchad. Lors de leur long périple,
ils découvrent les squelettes de centaines d'esclaves abandonnés
et morts de soif. Clapperton trouvera la mort au Sahara lors de son 2ème
voyage, à l'âge de 39 ans.
Un Ecossais, le Major Alexander Gordon Laing, est mandaté
par le gouvernement britannique, dans le but de rejoindre la ville légendaire
de Tombouctou. Il part de Tripoli le 18 juin 1826, arrive à Tombouctou
le 18 août de la même année, mais il est étranglé
sur place par son propre guide. René Caillié est un autodidacte.
A 15 ans, son rêve d'adolescent est d'être le premier Européen
à entrer à Tombouctou. A 16 ans, il débarque au Sénégal
; sans aides ou subventions de l'état (ce n'est pas faute d'avoir
essayé !), car le gouvernement français a financé
à grands frais une expédition, celle de M. de Beaufort, qui
est un échec, René Caillié déçu va néanmoins
se joindre à une caravane pour essayer d'atteindre Tombouctou.
Dans des conditions précaires, il avance, se faisant passer
pour un Egyptien grâce à sa connaissance de l'Arabe et de
la religion musulmane ; malgré une certaine suspicion de la part
des caravaniers, son stratagème réussit. Mais pauvre et malade,
déconsidéré, il est le jouet de la méchanceté
des caravaniers qui lui lancent des pierres. Ravagé par le scorbut
et la tuberculose, il arrive en 1828 à Tombouctou la Fabuleuse,
qui n'est, décrit-il dans son journal, "qu'un fatras de mauvaises
maisons d'argile noyées dans des sables jaunâtres.". Sa première
impression est mauvaise, mais il a réalisé son rêve.
La suite de son voyage va être des plus pathétiques, car il
arrivé désargenté au Maroc, faisant le tour des Ambassades,
essayant de contacter dans le plus grand secret les Consulats, pour ne
pas être démasqué. De retour en France, les avis sont
partagés quant à son exploit, on met sa parole en doute.
On eût certainement préféré qu'il décrive
Tombouctou comme la "Perle du Sahara", telle qu'on l'imaginait. Triste,
usé par son aventure hors du commun, René Caillié
va mourir de tuberculose à 39 ans, dix ans seulement après
son exploration solitaire…
En 1850, un Allemand, Heinrich Barth, rend hommage à René
Caillié, dont il dit que c'est "l'un des explorateurs les plus dignes
de confiance". Barth, célèbre explorateur de l'époque,
naturaliste avant la lettre, a réussi à rejoindre Tombouctou
en 1853, et confirme les dires du Français. Il publie en 1857 un
ouvrage monumental en 5 volumes : "Travels and Discoveries in North and
Central Africa", incluant une foule de détails, croquis, planches,
cartes. Mais la même année, d'un caractère arrogant
et impétueux, Barth se voit fermer l'entrée à l'Académie
des Sciences d'Allemagne.
L'exploration continue…En 1859, à l'âge de 19 ans,
Henri Duveyrier est le premier Européen à découvrir
El Goléa. Un Allemand G. Rohlfs, parcourt en caravane le Tidikelt
en 1864, depuis le Maroc, puis se rend au Tchad en 1865, traverse le désert
lybique en 1873 et arrive à Koufra en 1879 ! Tout ne va pas pour
le mieux, et de nombreux drames ponctuent l'exploration du Grand Désert.
La deuxième mission saharienne Flatters se termine par un massacre
à Birel Garama : le Colonel P. Flatters et ses 35 hommes sont exterminés
par les Touaregs en 1881.
Les expéditions scientifico-militaires vont se multiplier
avec le début du 20ème siècle ; de 1902 à 1920,
le Général Laperrine allie la "pacification" à la
"connaissance du terrain". E.F. Gautier et René Chudeau apportent
de nouveaux éléments à la géologie du Sahara
; les moyens matériels et techniques se modernisent et facilitent
l'exploration. De nouvelles découvertes sont faites par le géologue-naturaliste
Conrad Kilian de 1921 à 1939.
Il serait impossible de citer tous les explorateurs sahariens,
mais depuis cette époque et jusqu'à aujourd'hui, le plus
grand d'entre eux est probablement Théodore Monod, véritable
naturaliste, homme de cœur plein d'humour, ayant consacré sa vie
entière au milieu saharien, et parcouru "son" désert en long,
en large et en travers. Son plus bel exploit est sans conteste possible
la traversée entre Ouadane et Araouane, 900 km sans point d'eau
dans le no man's land du Majabat-al-Koubra, au Sahara occidental.
Déserts d'Afrique de l'Est et du Nord-Est.
Si Pline l'Ancien décrit fort bien cette partie de l'Afrique
dans son "Histoire Naturelle", la cartographie de la région du Rift
ne se fait qu'après 1860. 1875 voit la disparition totale de l'expédition
Munzinger dans le pays Danakil. En 1881, les Italiens Giulietti et Biglieri
"s'évanouissent" avec 14 marins…
En 1883, le premier Européen à entrer chez les Masais
est le Dr Gustav Fischer, naturaliste allemand. La même année,
Joseph Thomson, explorateur écossais, arrive jusqu'au lac Baringo
au Kenya, depuis la Tanzanie. Un voyageur hongrois, le Comte Samuel Teleki
von Szek part de Pangani (Tanzanie) en janvier 1887 avec une caravane à
la taille de ses moyens : 450 porteurs, plus des guides et des interprètes.
Le voyage va durer 22 mois en pays hostile, et permet la découverte
du lac Turkana, que Teleki surnomme alors lac Rodolphe, du nom du Prince
héritier d'Autriche, Rodolphe de Habsbourg.
L'Ecossais John Walter Gregory est le premier géologue
à explorer la Vallée du Rift. Il quite Mombasa le 23 mars
1893 avec 40 hommes, qui le surnomment "poches pleines", car il stocke
dans ses poches tous les échantillons qu'il trouve !… Son travail
va permettre de consolider la théorie de la dérive des continents,
et c'est lui qui va proposer le terme de "rift" pour désigner le
gigantesque fossé d'effondrement est-africain. Gregory va entreprendre
de nombreux voyages, en Arctique, en Australie, en Inde, puis en Amérique
du Sud où il trouvera la mort, noyé au Pérou en 1932.
Déserts d'Afrique Australe.
Depuis le débarquement du Portuguais Diego Cao à
Cape Cross en 1485, l'Afrique Australe reste pratiquement inexplorée
; il faudra attendre 1760 pour qu'une expédition remonte du cap
jusqu'à Walvis Bay. la découverte du diamant en 1908 en Namibie,
va augmenter, accélérer les reconnaissances, tout en orientant
les recherches vers la géologie et la minéralogie des lieux.
De 1921 à 1928, E. Kaiser va étudier les "Diamants des Déserts
Sud-Africains", qui donneront naissance à la publication d'un ouvrage
sur le sujet. Le Kalahari est étudié en 1908 par S. Passarge
et, dans les années 50, les expéditions Marshall-Thomas vont
accomplir un important travail ethnographique sur les Bochimans.
Au niveau géologique, le Kalahari est encore une immense
tache blanche, et lors de mon voyage au Botswana en 1978, le catalogue
des cartes géologiques du Botswana (1974) fait apparaître
que, pour les cartes topographiques, sur les 43 feuillets qui représentent
la totalité du territoire botswanais, 38 sont blancs, dont 4 sont
en préparation… Le désert du Kalahari ne possède pas
de cartes géologiques au 1/125 000ème ou même au 1/250
000ème. La découverte de diamants à Jwaneng en 1978
aura dû accélérer le rythme des prospections…
Déserts du Moyen-Orient.
Les premières vraies expéditions des régions
du Moyen-Orient sont les campagnes d'Alexandre le Grand, qui commencent
en 334 pour se terminer avec sa mort, le 18 juin 323 av. J.C. Bien qu'il
évite les zones les plus arides, Alexandre doit franchir l'Indus
et traverser le désert de Thar en plein été. Ses armées
ont le mal du pays, et une mutinerie éclate. Après avoir
scindé ses troupes en trois groupes, il revient épuisé
à Babylone, par le Baloutchistan ; Néarque ramène
la flotte macédonienne par le golfe Persique, et Cratère
franchit le terrible désert caillouteux du Lout. Une expédition
militaire romaine, menée par Aelius Gallus en 24 avant J.C., traverse
l'Arabie et atteint le Yémen.
Une famille de commerçants vénitiens, les Polo,
effectue deux grands voyages jusqu'en Chine. Marco Polo, qui effectue le
second (de 1271 à 1295) décrit, dans son célèbre
ouvrage "Le Livre des Merveilles", un désert iranien particulièrement
hostile… Au début du 17ème siècle, Varthema arrive
à La Mecque, et le Yémen est parcouru de 1761 à 1763
par Carsten Niehbur, puis Richard Burton de 1853 à 1877, tous deux
habillés en arabes pour faciliter leurs déplacements. Mais
c'est à la fin du 18ème siècle et au début
du 19ème siècle que vont se multiplier voyages et expéditions
: Buckhardt et Palgrave, Sadlier qui relie le golfe Persique à la
Mer Rouge. En 1849, Buhse se frotte au Dasht-i-Kévir, et son compatriote
russe Khaninov effectue la traversée du Dasht-i-Lout dix ans après.
De 1875 à 1898, Charles Montagüe Doughty part d'Amman pour
arriver à La Mecque par le Nefoud.
Le célèbre "Lawrence d'Arabie", Thomas Edward Lawrence,
va parcourir le Hedjaz et le désert jordanien dans des expéditions
militaires punitives contre les Turcs entre 1916 et 1918. L'exploration
du "Grand Quart Vide" ou "Empty Quarter", le Rub-al-Khali, commence en
décembre 1930 avec le Britannique Bertram Thomas qui, après
avoir franchi cette immense étendue de sable sur près de
950 km, arrive enfin à Doka, au Qatar, début 1931. D'autres
Anglais, Harry St John Philby en 1932, et Wilfried Thesiger en 1947, vont
relever le même défi. Né en 1910, depuis l'âge
de 20 ans, Wilfried Thesiger parcourt le désert Danakil en Abyssinie,
puis il se rend dans le Darfour et le Tibesti. Passionné par la
vie des Bédouins d'Arabie, il effectue des voyages d'exploration
sur la Péninsule arabique, au Yémen et jusqu'en Iraq. Wilfried
Thesiger est, à l'image de Théodore Monod, l'une des dernières
grandes figures contemporaines de la véritable exploration des déserts.
Déserts d'Asie.
Les premiers récits d'exploration de l'Asie Centrale sont
écrits aux 5ème et 6ème siècles av. J.C. par
des moines bouddhistes chinois, comme Hwen Tsang, qui franchissent le Pamir.
dans la première moitié du 13ème siècle, le
pape Innocent IV envoie un émissaire auprès de Kuyuk Khân
en Mongolie : il s'agit d'un frère franciscain, Jean Piano del Carpini,
qui est le premier Européen à traverser le désert
de Gobi.
Des marchands de Venise, les Polo, vont entreprendre un voyage
sur la Route de la Soie, entre 1260 et 1269. Agé de 17 ans, le jeune
fils de Nicolo Polo, Marco, va se joindre à la seconde expédition,
en 1271. La caravane traverse d'abord le désert iranien, puis longe
la bordure sud du Takla-Makan, pour franchir le Gobi. Il ne reviendra qu'en
1295, pour écrire, en prison, le "Livre des Merveilles".
En 1838, un Britannique, John Wood, explore le Pamir ; à
partir de 1844, des pères missionnaires français installés
à Pékin, Gabet et Huc, effectuent dans des conditions particulièrement
difficiles, un "Voyage dans la Tartarie et le Thibet". cette extraordinaire
aventure, retracée dans le livre du même nom, s'achèvera
en 1846.
Un naturaliste, Peter Semyonov, part en 1856 avec la bénédiction
de l'Institut de Géographie Russe ; consciencieux, il collectera
plus d'un millier d'espèces de plantes et quantité d'échantillons
minéralogiques, explorant dans le détail la région
du Tian-Chan. Une autre expédition scientifique russe atteint le
Pamir vers 1865, avec le grand naturaliste Alexei Fedstchenko. Sur les
traces de son compatriote Wood, E.T. Gordon pousse au-delà du lac
Zorkoul en 1873. Nicolai Przewalski (qui a donné son nom au fameux
petit cheval mongol) traverse la majeure partie des déserts de l'Asie
Centrale, le Tibet, le Tian-Chan, et le Takla-Makan, où il mourra
de maladie en 1888, sur les rives du lac Issyk-Koul. Il y est enterré.
Dès 1886, un jeune officier britannique stationné
à Pékin, Francis E. Younghusband, décide de rejoindre
son régiment aux Indes, mais par le Gobi et le Takla-Makan. Malgré
l'inconscience du projet (Younghusband ne connaît rien du désert,
pas plus que l'itinéraire à emprunter), son voyage est une
réussite, et ses écrits contiennent une foule de détails,
d'informations précises sur cette aventure.
Sven Hedin, géographe suédois, va consacrer à
partir de 1891, 44 années de sa vie à parcourir les déserts
de l'Asie Centrale dans des missions d'une très grande qualité
scientifique. De 1900 à 1915, Aurel Stein, archéologue et
géographe passionné par les civilisations d'Asie Centrale
se met à fouiller les zones arides du Gobi, explorant le Takla-Makan
en tous sens.
Entre 1922 et 1930, Roy Chapman Andrews, zoologue américain,
conduit cinq expéditions pluridisciplinaires mi-motorisées
mi-chamelières à travers le Gobi. Ces expéditions
se déroulent avec succès, et mettent à jour en 1922,
les restes de squelettes de dinosaures, comme le Proceratops andrewsi ;
puis en 1923, c'est la découverte sensationnelle des premiers œufs
de dinosaures. La mission Citroën suivra en 1931-1932, avec le célèbre
paléontologue français, le père Teilhard de Chardin,
complétant les connaissances des zones arides de l'Asie Centrale
par l'étude de l'Ordos.
Déserts d'Amérique du Nord.
La découverte reconnue des Amériques par les Européens
est tardive (1492), et c'est à partir du 16ème siècle
que commence l'exploration des zones semi-arides du Mexique et de l'Amérique
du Nord ; en fait, il s'agit plus d'expéditions militaires à
la recherche de trésors, que d'une soif réelle de découvertes
naturalistes, pacifier et convertir étant les deux maîtres-mots
du soldat et du religieux, faux-jumeaux inséparables des premières
incursions espagnoles, les Conquistadores.
Le Grand Canyon d'Arizona est découvert fortuitement par
des soldats de Francisco Vasquez de Coronado en 1540. En 1701, le père
Jésuite, Eusebio Francisco Kino, atteint l'embouchure d'un fleuve
couleur rouille, qu'il nomme Colorado. Johan Jakobs Baegert, également
Jésuite, s'occupe d'une mission de 1751 à 1768 en Basse-Californie.
Un autre père, Francisco Tomas Garces, rencontre en 1776 les Indiens
Havasupais près du Grand Canyon ; ils lui offrent l'hospitalité,
mais ils ne seront jamais convertis !
En 1806, le Lieutenant Zebulon Pike explore les Grandes Plaines
désertiques. En 1821, le Major Stephen Long déclare ce pays
inhabitable. Entre 1820 et 1830, un officier de la Marine Britannique,
Hardy, explore la région de la Laguna Salada, au nord de la Basse-Californie.
De 1842 à 1854, John Charles Frémont conduit plusieurs expéditions
dans l'Ouest américain ; Adolphe Wislizens participe à l'expédition
du Colonel Doneghan dans le nord du Mexique entre 1846 et 1847. Il écrira
"Memoire of a Tour of Northern Mexico".
La ruée vers l'or en Californie attire de nombreux pionniers,
et quelques inconscients sont parfois plus que pressés d'arriver
; c'est ainsi qu'en 1849, des émigrants qui veulent couper au plus
court, vont être les premiers Européens à traverser
la Vallée de la Mort (ce sont eux qui lui donnèrent ce nom,
Death Valley). 49 personnes, 27 chariots et leurs chevaux, 2 mois pour
sortir de l'enfer. On mangea les chevaux, un seul chariot fut sauvé,
mais le groupe des 49, bien que s'étant séparé, n'eût
pas à déplorer de morts. Mais à quel prix de souffrances
et de privations…
L'armée américaine envoie une nouvelle expédition
entre 1853 et 1854, avec le Lieutenant Amiel W. Whipple, qui note la présence
en Arizona d'une grande concentration de bois pétrifiés (Petrified
Forest). Le Lieutenant Edward F. Beale, officier de marine, importe
des chameaux (dromadaires) d'Egypte et de Tunisie pour explorer le Grand
Canyon de 1856 à 1858. Et c'est au début de 1858 que le Lieutenant
de marine Joseph C. Ives monte une expédition sur le Colorado, en
bateau à vapeur. En mai 1869, le Major John Wesley Powell et 9 hommes
vont réussir à vaincre le Colorado sur de petites embarcations.
Le succès est entaché par la mort dramatique de trois de
ses compagnons qui ont abandonné l'expédition, et se font
massacrer par les Indiens. Powell retourne dans le Grand Canyon en 1871-72.
De nombreux voyages exploratoires à travers les déserts
du Mexique continuent, notamment ceux de Townsend Brandegee et sa femme
Katherine, tous deux botanistes qui, de 1889 à 1902, vont parcourir
toute la Basse-Californie. Frederick Vernon Coville fait partie d'une expédition
géologique avant la lettre : il va étudier la Vallée
de la Mort dans le détail. D'autres missions militaires, puis à
réelle vocation scientifique, impossible à citer toutes ici
dans le cadre de cet ouvrage, vont suivre et perdurent encore de nos jours…
Déserts d'Amérique du Sud.
En Amérique du Sud, les conquêtes espagnoles sont
sévèrement gardées, et il est bien difficile pour
les ressortissants d'autres nations d'explorer le continent. D'autre part,
l'Espagne de l'époque s'intéresse plus aux richesses minérales
(or, argent, etc.) qu'à celles de la faune ou de la flore. En 1532,
le despérado Francisco Pizarro débarque à Tumbes,
au nord du Pérou, pour aller à la rencontre de l'Inca Atahualpa,
à Cajamarca. Attiré par les honneurs et la cupidité,
Pizarro n'a rien d'un explorateur, mais tout d'un conquistador. De même
le Capitaine Alonzo de Mendoza, qui sévit sur les Hauts-Plateaux
boliviens, pillant et massacrant les habitants indiens…
Il faut attendre 1778 pour voir une mission scientifique financée
par l'Espagne. Le chef d'expédition est un… Français, Joseph
Dombey, accompagné de Hipolito Ruiz et José Pavon ; leur
travail de recherche va durer 10 ans, axé sur la botanique et les
propriétés médicinales des plantes. En 1801, l'expédition
menée par le Baron allemand Alexander von Humboldt, savant,
naturaliste et voyageur, comprend un Français, Aimé Bonpland
; mais le désert chilo-péruvien n'est qu'une des régions
étudiées parmi d'autres. De 1832 à 1835, le fameux
voyage du navire "Beagle" permet les observations minutieuses de Charles
Darwin en Terre de Feu, en Patagonie, puis dans le désert d'Atacama
et dans les Iles Galapagos.
Le docteur Armando Philippi aborde la spécialisation en
1853, en publiant "Voyage à travers le désert d'Atacama".
A partir de là, missions et expéditions, comme celle de Bowman
en 1924 au Pérou et au Chili, vont se multiplier et se préciser.
Déserts d'Australie.
Les déserts australiens n'ont ni l'attrait ni les facilités
(guides, oasis…) qu'offrent les autres déserts. Tardivement colonisé
par les Blancs, l'Outback, l'Arrière-Pays ne va dévoiler
ses premiers secrets qu'à partir de 1813 avec un géomètre,
George William Evans, qui découvre l'endoréisme des fleuves
australiens ; au lieu de se déverser dans les océans, les
cours d'eau se perdent dans les zones arides du centre. Malgré tout,
le rêve d'une immense mer intérieure persiste, et le gouvernement
de la Nouvelle Galles du Sud (New South Wales) va financer des missions
d'exploration.
On confie la tâche à un jeune Capitaine, Charles
Sturt, qui a déjà une expédition à son actif
(1827-1828). C'est donc en 1829, le 7 novembre, que Sturt s'embarque sur
une baleinière pour "descendre le "Murumbidgee". L'aller se passe
dans l'allégresse et l'euphorie, mais le retour sera effectué
dans des conditions difficiles, car la nourriture doit être rationnée.
Sturt revient aveugle, les yeux brûlés par le soleil, mais
plus que jamais persuadé de l'existence d'un lac intérieur
aux rives fertiles…
En 1840, Edward John Eyre, âgé de 24 ans, mais déjà
explorateur chevronné, dirige une expédition vers le nord
du pays pour chercher de nouveaux pâturages pour le bétail.
Eyre n'en est pas à son coup d'essai mais, rencontrant sur son chemin
des marécages salés, il est obligé d'abandonner et
de rebrousser chemin. Digérant mal cet échec, il décide
de poursuivre par le sud-ouest en longeant la côte avec son compagnon
John Baxter et trois Aborigènes. La progression est exténuante,
inhumaine ; deux des Aborigènes s'enfuient avec la nourriture et
des armes après avoir tué Baxter. La situation est désespérée.
Par chance, les survivants sont sauvés par un baleinier français
qui mouille à proximité de la côte. le courage de Eyre
est tel, qu'après cette rencontre miraculeuse, il termine les 450
km qui lui restent pour atteindre Albany.
Août 1844 : Charles Sturt repart 15 ans après, guéri
de sa cécité et fort de l'expérience de Eyre. Là
encore, tout semble bien se passer. Mais la longue sécheresse qui
perdure oblige Sturt et ses hommes à se fixer près du seul
point d'eau non tari. Dans l'enfer de l'été austral, avec
des températures atteignant jusqu'à +48°C, puis l'hiver
avec des froids de -4 à -5°C, l'attente des pluies va durer
6 mois. Le second de l'expédition, James Poole, meurt de scorbut
alors que la pluie commence à tomber. Les épreuves ne sont
pas terminées.
Persuadé que la mer intérieure n'est pas une légende
et bien décidé à le prouver, il s'engage avec quatre
hommes et des chevaux à travers un désert de pierres (Sturt
Stony Desert) ; atteint du scorbut et souffrant terriblement, Sturt démontre
une volonté farouche. Un an s'est écoulé depuis son
départ d'Adélaïde. Dans le désert de Simpson,
il doit faire demi-tour, et retraverser, héroïque épopée,
le désert pierreux ; il lui faudra encore 5 longs mois avant de
rejoindre Adélaïde, le 19 janvier 1846. Lorsqu'à minuit,
il arrive enfin dans sa maison, sa femme s'évanouit en le voyant
: tout le monde pensait qu'il avait péri !
Pendant que Sturt s'obstine à trouver l'hypothétique
mer intérieure, un Allemand, Ludwig Leichardt, commande une expédition
privée dans le nord du Queensland. Dans des conditions assez incroyables
(il ne sait pas faire le point et il est très mal organisé),
il va néanmoins réussir à atteindre son objectif,
Port Essington, en décembre 1845. Ce voyage coûte la vie au
naturaliste John Gilbert, tué par les Aborigènes, et deux
autres membres du groupe sont grièvement blessés.
De fait, l'exploration de l'Outback australien paie un lourd tribut
au désert. En 1847, l'expédition d'Edmund Kennedy part avec
12 hommes. 10 sont massacrés par les Aborigènes ; les 3 survivants
(Kennedy en fait partie) mourront un peu plus tard, d'épuisement
ou assassinés.
Leichardt réunit une nouvelle expédition en 1846-47.
Cette fois, Leichardt ne tient même pas de carnet de route, et il
n'a pas prévu suffisamment de médicaments. Il vole les rations
de ses compagnons pendant la nuit… Bref, l'entreprise est un échec
total. Malgré cela, et la réputation qu'il commence à
avoir, Leichardt récidive dès 1848, avec 5 hommes ; cette
fois, tous disparaîtront sans laisser de traces…
D'autres tentatives timides apparaissent ça et là.
Pour accélérer le mouvement, les états de Victoria
et de South Australia offrent une substantielle récompense à
la première expédition qui traversera l'Australie du sud
au nord ; deux hommes sont sur la "ligne de départ" : John Mc Dougall
Stuart, Ecossais expérimenté (il a fait partie de la dernière
exploration de Sturt), et Robert O'Hara Burke, aventurier irlandais.
Stuart part le premier d'Adélaïde en mars 1860, mais
attaqué par une tribu aborigène à plus des 2/3 du
parcours, il se voit contraint de rebrousser chemin. Arrivé à
Adélaïde en octobre, alors que Burke a quitté Melbourne
deux mois, il repart dès novembre 1860, remonte encore plus haut,
mais doit à nouveau abandonner à cause de la végétation
épineuse et dense, et la maladie. Lorsqu'il rejoint de nouveau Adélaïde
en septembre 1861, c'est pour apprendre qu'on est sans nouvelles de Burke.
Stuart l'obstiné tente une nouvelle traversée, couronnée
de succès cette fois, car il a devant ses yeux l'Océan Indien
: c'est le 24 juillet 1862. Il doit revenir à Adélaïde,
dans des conditions épouvantables, miné par les maladies.
Il apprend avec une amère déception que Burke a réussi
bien avant lui à atteindre le nord, en février 1861. Mais
Burke n'en est pas revenu, il est mort sur place…
L'histoire de Burke est dramatique. Partie à 17, avec 25
chameaux, mais très mal organisée, l'expédition de
Burke est une suite malheureuse de malchances et d'erreurs. Tout commence
bien, l'avance est rapide ; un premier camp est établi à
Menindee, près de la darling River, et une autre base est installée
à Cooper's Creek. Le 16 novembre 1860, pour être sûr
d'être le premier avant Stuart, Burke part en tête de l'expédition
avec son cheval "Billy", William Wills, Charlie Gray et John King, plus
6 chameaux et 3 mois de vivres. Il est prévu que les autres resteront
en attente au camp durant 4 mois.
Le 11 février 1861, après une marche difficile dans
les eaux salées des mangroves, Burke et Wills ateignent le golfe
de Carpentarie. Le retour est un calvaire ; il n'y a plus assez de vivres.
Charlie Gray meurt le 17 avril. La journée passée à
l'enterrer va être l'erreur fatale ; lorsque Burkes, Wills et King
arrivent épuisés à Cooper's Creek, le 20 avril au
soir, c'est le désespoir. Brake a respecté le délai
d'attente, mais vient juste de partir, le matin même. Il a laissé
un écriteau : "Dig" ("creuser"). Burke trouve des vivres et un message
disant que le groupe est parti le 20 avril au matin, car des hommes sont
morts, et d'autres sont atteints du scorbut. Il remplace le paquet par
un mot sur leur arrivée, rebouche le trou, sans rien indiquer ou
laisser de traces de son passage. négligence mortelle…
Autre aberration, Wills propose de rattraper Brake, Burke refuse,
et préfère se diriger vers le Mont Hopeless (le bien nommé,
"Sans Espoir"). Tous suivent Burke.
Pendant ce temps, Brake a rencontré un groupe venu pour
les ravitailler et, plein de scrupules, par une sorte de pressentiment,
retourne à Cooper's Creek. Le camp étant resté apparemment
dans le même état où ils l'ont laissé, Brake
est persuadé que Burke et ses compagnons ne sont pas revenus, et
repart en direction du sud. Et ça continue ! Wills revient quelques
jours plus tard, et fait, ironie du sort, le même constat que Brake.
Le reste de l'aventure tourne au macabre : Wills, épuisé
par la fatigue et la faim, miné par la maladie, finit par mourir
à la fin du mois de juin. Burke et King continuent durant quelques
kilomètres, mais le 29 juin, Burke meurt sous les yeux de King,
dernier survivant.
Le pire est que les équipes de secours, comme celle d'Howitt,
se succèdent à Cooper's Creek, sans que jamais les uns ou
les autres s'y soient trouvés en même temps. Le pauvre King
devient une loque misérable ; ramassé par des Aborigènes
compatissants, il les suit dans tous leurs déplacements. Il sera
découvert dans leur campement en septembre 1861, un an après
leur départ glorieux de Melbourne…
Cette pitoyable expérience marque la fin d'une époque,
et les expéditions qui vont suivre n'auront plus le retentissement
et l'enthousiasme des précédentes. De plus, le beau rêve
de la grande mer intérieure est définitivement effacé.
Les reconnaissances suivantes sont nombreuses, et parmi elles, il faut
citer les missions de Warburton qui, de 1857 à 1873, va accomplir
de nombreuses traversées dont la dernière sera celle du Great
Sandy Desert.
Considéré comme un explorateur romantique, Ernest
Giles est mort à Coolgardie en 1897, complètement oublié.
Pourtant, en octobre 1872, il est le premier Blanc à découvrir
et à baptiser les fabuleux paysages du centre de l'Australie, l'Ayers
Rock, les Monts Olgas et le lac Amadeus. Ernest Giles se signale par son
courage et sa générosité dans les moments les plus
dramatiques de son existence. Lors de sa deuxième expédition
en 1873, dans le désert de Simpson, Giles et son compagnon Alfred
Gibson partent vers l'ouest. Le cheval de Gibson meurt de soif, et Giles
lui offre le sien pour qu'il aille chercher de l'aide, pendant que lui-même
suivra les traces de Gibson. Ayant laissé un bidon d'eau en secours,
il parcourt 50 km à pieds pour aller le chercher, puis se traine
durant 95 km avec un baril de 20 kg, seul garant de sa survie, sur le dos.
Se nourrissant de tout ce qu'il peut trouver (jusqu'à un nouveau-né
wallaby
ou petit kangourou vivant !), il parvient à rejoindre le camp de
base. Gibson, lui, ne reviendra jamais, perdu dans le désert qui
porte désormais son nom. A son troisième voyage, Ernest Giles
dédiera l'un des déserts australiens à la Reine Victoria.
Mais les cinq expéditions d'Ernest Giles ne lui apporteront pas
la notoriété qu'il aurait légitimement pu espérer…
C'est en 1936 que Edmund A. Colson traverse le désert de
Simpson, grâce à des chameaux, de Blood Creek à Birdsville
; le docteur C.T. Madigan qui, en 1929 avait soutenu que le désert
de Simpson était impossible à traverser à pied doit
convenir du contraire, et beau joueur, conduit une exploration en 1939
à travers le Simpson, découvrant de nombreuses espèces
végétales et animales. Madigan ouvre l'ère des missions
scientifiques dans les zones arides et semi-arides de l'Australie…
Drames, Mythes et Légendes.
D'innombrables histoires fantastiques circulent au désert,
de caravanes englouties, de voyageurs évanouis, de fins atroces,
d'exploits, de chercheurs de trésors disparus à jamais. Les
épisodes dramatiques jonchent le sol de cadavres desséchés
et de rêves inachevés. Propices à la résonnance
et l'amplification des faits véridiques, les lieux arides nous entraînent
avec une facilité déconcertante vers la fiction et la légende.
En 1980, dans le désert de Gibson en Australie, Harry,
un vieux chercheur d'or m'invite à partager un "irish stew" dans
son camping-car, et commence à me raconter une bien étrange
histoire…
En 1880, une quinzaine d'hommes conduit 1400 têtes de bétail
à travers le Grand Désert de Victoria. Dans une tempête,
le bétail se disperse et disparaît avec les chameaux. Perdus,
affolés, désemparés, les gardiens vont tous peu à
peu mourir de soif. sauf un, qui a réussi à conserver son
chameau, mais qui est perdu. Pour survivre, il est obligé d'abattre
son chameau d'une balle dans la tête, et après s'en être
nourri, il s'en va, errant à la recherche d'eau. Marchant à
limite de l'épuisement, il tombe enfin sur un point d'eau. Sans
container, il boit donc ce qu'il peut, ne pouvant faire de réserves.
Il rayonne autour du trou, espérant trouver de l'eau plus loin,
mais il revient toujours à son point de départ. Il finit
par découvrir à proximité, ironie du sort, un filon
aurifère qui affleure, de l'or en quantité invraisemblable.
Dans son délire, notre homme remplit ses poches de fragments
de métal précieux, ainsi que de grosses pépites éparpillées
sur le sol aride. Puis il marche comme un automate, pendant des jours.
Un groupe d'Aborigènes en chasse le découvre épuisé,
mourant. Compatissants, ils emmènent l'homme blanc qui n'est plus
qu'une loque humaine, dans leur campement. Mais il semble devenu fou :
il ne parle que de l'incroyable gisement qu'il a découvert, et dont
il ne profitera jamais. "A dix miles du cadavre de mon chameau, près
du point d'eau, l'or est là ! Tenez, regardez !". Ses mains crispées
serrent d'énormes pépites. Il est clair qu'il ne lui reste
plus longtemps à vivre… Le seul témoignage rapporté
aux Blancs sera celui-là même conté par les Aborigènes
qui l'ont trouvé…
Harry est enflammé, ses yeux brillent de passion. Je reste
quelque peu perplexe. Pourtant, son histoire fabuleuse est authentique.
Un vrai roman d'aventures. Harry n'a aucune raison de mentir, il veut me
mettre dans le coup. Il m'a observé depuis mon arrivée à
Meekatharra, et pour lui, pas de doute, je ferai un bon associé.
Car il a besoin d'argent pour financer son expédition. Harry a passé
17 ans à chercher l'endroit !
Devant mon hésitation, Harry exhibe un énorme crâne
de dromadaire. "A la deuxème expédition, dit-il radieux,
nous l'avons retrouvé ! !". Le crâne est patiné par
le temps, lisse et brillant, d'un jaune-ivoire foncé. Et surtout,
il y a un orifice inhabituel près de l'orbite gauche, un trou comme
celui qu'une arme à feu laisserait dans un os… Mais il continue
: "Mes associés ont vite abandonné les recherches : on tournait
sans arrêt dans la région du sud-ouest du Victoria, sans rien
trouver. Ils ont dû croire que je déraillais ; ils sont repartis
avec leur véhicule, et je suis resté seul avec le mien. Et
puis, j'ai fini par tomber sur le squelette. je n'ai pris que le crâne
comme preuve, et j'ai commencé à chercher autour, selon les
seules indications bien minces que je possède, le témoignage
des Aborigènes de l'époque. Mais j'ai également dû
abandonner : mes réserves d'eau douce étaient trop justes
pour que je prenne davantage de risques. J'ai échoué dans
cette tentative, mais je suis sûr que la troisième sera la
bonne ; je n'ai pas réussi à trouver le point d'eau, peut-être
est-il à sec, mais je sais qu'il n'est pas loin…".
Pauvre Harry, il n'a pas de chance : l'aventure me tente, mais
je n'ai pas un sou vaillant pour y participer. "Dommage, fait Harry, maintenant
je suis trop vieux ; ce sera ma dernière expédition.". En
1980, un siècle après la découverte fortuite d'un
filon d'or dans le sud-ouest du désert de Victoria, un vieux monsieur
court après ses fantômes… Et tant pis, Harry, si tu ne trouves
pas l'or : ta réalité, alors, sera devenue une légende…
Le récit de la Mine du Hollandais vaut son pesant d'or.
Jacob Waltz, dit le Hollandais (en fait, il est Allemand) arrive en 1862
à Phœnix, Arizona. Cet aventurier chercheur d'or défie la
chronique de l'époque en rapportant de ses expéditions dans
les Monts Superstition, des quantités d'or, sans que l'on sache
jamais où il les trouve. C'est sur son lit de mort qu'il confie
son secret (retranscrit par le journaliste Curt Gentry) : "Il y a une grande
paroi rocheuse face à la mine. Si vous passez près de trois
buttes rouges, vous êtes trop loin. Le soleil couchant scintille
sur mon or. Montez au-dessus de la mine, et vous verrez l'aiguille du Tisserand.".
Depuis lors, 36 personnes au moins sont décédées
de mort violente, ou disparues sans laisser de traces, à la recherche
d'un trésor dans un type de roche où, selon les géologues,
on ne peut pas trouver d'or…
Un nom étrange pour une zone aride située en Basse-Californie,
au Mexique : "El Desierto de los Chinos" ("Le Désert des Chinois").
Cette appellation évoque un épisode tragique qui s'est déroulé
en 1902.
Des Cantonnais qui cherchent du travail au Mexique errent de ville
en ville, et finissent par débarquer à San Felipe, sur la
péninsule de la Basse-Californie, malheureusement, sans plus de
succès. Ils décident de partir vers Mexicali, à 200
km plus au nord où, selon certains, on cherche de la main-d'œuvre.
43 Chinois s'achètent les services d'un "guide local", José
Escobado, pour 100 dollars en or. Nous sommes au mois d'août 1902,
en pleine chaleur. Rien n'a été préparé pour
le voyage, et ils partent à pied, certains pieds-nus, sans chapeau,
vêtus de blouses noires et d'un peu d'eau dans des bouteilles de
whisky ou des bidons d'huile ! D'après Escobado, le premier point
d'eau, Pozo Salado, se trouve à 50 km de San Felipe, le second,
Tres Pozos, à 100 km…
Moins de 30 km après le départ de la troupe, un
des Chinois meurt. Arrivés au premier puits indiqué par Escobado,
il n'y a rien. La panique commence à s'emparer des Chinois. Chiffre
terrible, 32 mourront avant d'arriver à Tres Pozos. Hélas,
là non plus, il n'y a rien. Pas d'eau. Désespérés,
deux des survivants refusent de continuer et mourront sur place, d'épuisement
et de soif. La marche hallucinante continue, deux autres Cantonnais s'écroulent.
Finalement, sur les 44 personnes du départ, 7, dont Escobado parviendront
en 9 jours aux rives du Rio Hardy.
De semblables tragédies ne sont pas rares, et la disparition
au Sahara d'une caravane de sel composée de 2000 hommes et 1800
chameaux morts de soif entre Tombouctou et Taoudeni semble hors normes.
Maurice Cortier raconte en 1912 sa macabre découverte d'une caravane
momifiée dont tous les membres sont morts de soif, à 50 km
du Massif de l'Ahnet.
Le Sahara est le théâtre sans cesse renouvelé
de drames souvent liés à l'inexpérience ou pire, l'inconscience
des voyageurs. Ainsi, cet exemple, choisi parmi d'autres tristement semblables
: en septembre 1980, deux Allemands décident de traverser le Ténéré
en 2CV Citroën. L'itinéraire choisi est interdit (par mesure
de sécurité) sans guide et avec une seule voiture. Pour contourner
ce "détail", ils partent d'Arlit en pleine nuit. Mais ils ne voient
pas le puits d'Intadera, et finissent par tourner en rond et se perdre.
La 2CV tombe en panne d'essence à 7 km du puits, mais ils l'ignorent.
Au bout de 10 jours, ils n'ont plus d'eau, et le plus jeune meurt ; le
survivant boit la gorgée d'eau que lui offre le capot de la 2CV
pendant la nuit par condensation. Des touristes français le retrouvent
43 jours après, encore vivant…
Voilà des gens qui semblent préparés à
un périple trans-saharien : la famille Barot en est à son
deuxième voyage. Le 23 décembre 1985, les parents et leurs
deux filles quittent In Salah (de nuit !) pour Tamanrasset dans une Lada
4X4. La route est goudronnée, avec quelques passages difficiles.
Ils prennent une piste parallèle et se perdent. Les Barot passent
la journée du 24 à chercher la route, et lorsque la nuit
tombe, ils n'ont plus d'essence. Ils ont à leur disposition 10 litres
d'eau et 2 litres de lait pour 4 personnes… Au bout de 3 semaines, l'eau
est consommée, l'agonie commence : le père et la plus jeune
fille (15 ans) sombrent dans la prostration et meurent. Lorsque les secours
arrivent, le 13 janvier, la mère ne survit que peu de temps ; la
fille aînée sera sauvée, mais restera dans le coma
du 14 au 22 janvier 1986…
La célèbre Vallée de la Mort en Californie
possède son lot de victimes, et la tombe de l'une de ces malheureuses
se trouve près des dunes de sable, avec comme épitaphe :
"Val Nolan, mort en août 1931, enterré le 6 novembre 1931,
victime des éléments". En juillet 1966, alors que Jean-Pierre
Marquant accomplit avec succès l'exploit de traverser à pied
la Vallée de la Mort, un officier et un soldat américains
tombent en panne. L'un d'eux est mort de soif. En août 1969, on dénombre
3 nouvelles victimes, M. Hards et son fils, et Mme A. Dobson. Partis visiter
la mine d'El Capitan, dans Eureka Valley, au nord de la Vallée de
la Mort, leur camping-car tombe en panne ; ils continuent à pied,
dans une mauvaise direction. On retrouvera leurs corps momifiés
respectivement à 17 et 22 kilomètres de leur véhicule.
Les habitants du désert sont, malgré les précautions
d'usage, aussi vulnérables que les touristes de passage. Lorsqu'en
août 1979, je traverse le Chihuahua (à bicyclette), j'apprends
qu'un drame familial s'est terminé d'une façon lamentable
et injuste ; on vient de retrouver une mère et ses trois enfants
dans un trou d'eau à sec du désert de Chihuahua. Cela fait
huit jours qu'ils étaient là. Deux des trois enfants, José
(1 an et demi) et Christina (5 ans) sont morts de faim, de soif et d'insolation.
La mère et la petite Juanita ont survécu à ce terrible
drame. "Ils sont mieux avec le Petit Jésus !" ne cesse de répéter
la mère. "Je n'ai plus rien à leur donner à manger
; mon mari m'a abandonnée.". Cela s'est passé le lundi 6
août 1979 à 15 kilomètres d'une petite ville du désert
mexicain…
En 1981, dans le désert d'Atacama au Chili, je rencontre
une Indienne désemparée : elle a perdu son enfant de trois
ans depuis ce matin ; il est sorti de la maison alors qu'elle était
au marché… Je prends mon bidon d'eau et une course contre la montre
s'engage. Le petit garçon est perdu depuis le matin, nous sommes
au milieu de l'après-midi, et le soleil tape dur, impitoyable. La
jeune femme repère bien les traces de son enfant, pieds-nus sur
le sol. Les pas se perdent, puis on les retrouve un peu plus loin, puis
ils se perdent à nouveau. A trois ans, on n'est pas encore assuré
sur ses jambes, mais on peut parcourir des distances assez considérables.
Mais quand on est né muet, le désert risque fort d'en profiter…
Nous arrivons au bord d'un canal d'irrigation ; avec crainte puis
anxiété, nous constatons que les traces du petit s'arrêtent
net sur la rive. Aurait-il glissé en voulant se désaltérer
? Aurait-il été emporté par le courant ? Redoutant
l'effroyable, nous cherchons à retrouver des marques de pas. Malheureusement,
ils ne tardent pas à nous ramener à l'eau tourmentée
du canal d'irrigation. L'enfant semble vouloir boire, ou jouer près
de l'eau. Ses traces confuses sont difficiles à distinguer parmi
celle des lamas, des chèvres ou des moutons ; la zone du canal est
piétinée par nombre d'animaux domestiques qui viennent s'y
abreuver. Sans un mot, l'Indienne reprend la piste. A nouveau, les traces
se perdent dans la poussière du désert. Mon aide semble bien
dérisoire devant le désarroi de cette mère qui a perdu
son enfant. Nous reprenons la direction du village, dans un ultime espoir,
essoufflés par le manque d'oxygène dû à l'altitude.
Tristes pensées, triste retour. Nous passons devant des collines
de terre : une énorme fosse sert de dépotoir au village.
Par acquit de conscience, je vais y jeter un coup d'œil… "Venez vite, il
est là !". Dans le fond du trou, parmi les saletés, le petit
garçon gît prostré, couvert de poussière, mais
il est vivant. Je le prends doucement, et lui donne à boire de ma
gourde. Sa mère arrive, le prend et le serre dans ses bras. Je viens
de vivre la plus belle histoire de mon voyage.
DESERTS AU FUTUR
• Equilibre écologique : la menace.
En tant qu'entité bio-climato-géographique, la zone
désertique évolue lentement ; des changements durables et
profonds mais imperceptibles s'opèrent, modifiant son caractère
aride. La présence de l'homme sur la Terre a changé les données,
a brouillé les cartes, et depuis l'époque historique, les
diverses agressions sur le milieu ont contribué à une évolution
de plus en plus rapide, allant de la détérioration à
la destruction. L'influence néfaste de l'homme sur tous les milieux
naturels et entre autres, le fragile éco-système de la zone
aride, est indéniable.
Aujourd'hui encore, malgré une timide prise de conscience
des gouvernements, des erreurs grossières d'appréciation
des divers problèmes, ainsi que les mauvaises solutions apportées,
font des déserts et de leurs marges une zone à haut risque.
Il faut sans cesse se rappeler deux arguments, contradictoires en apparence
:
- le désert en tant qu'éco-système terrestre doit
être préservé à tout prix.
- le désert, comme tous les espaces terrestres, doit pouvoir
servir à l'épanouissement des populations.
La désertification ne me semble être qu'un phénomène
géoclimatique tout à fait naturel, parfois accéléré
localement par l'action de l'homme, proportionnellement à sa densité
de peuplement et à son degré de technologie. Les photos du
lac Tchad, prises par satellite de 1973 à 1982, démontrent
qu'il se rétrécit sous nos yeux* 1 : en 9 ans, il a perdu
près de la moitié de sa superficie. En 1984, il ne reste
qu'un dixième du lac. Depuis, le phénomène s'est considérablement
ralenti, mais reste inéluctable.
Le front aride semble bien se déplacer vers le sud ; il
avance d'autant plus vite que les hommes s'empressent de dégager
le terrain en abattant les derniers acacias pour le combustible et pour
leurs chèvres "érémiogènes"*2. Ce n'est pas
un front continu, mais dispersé, localisé, avec plus de risques
de progresser là où la pression humaine est plus forte.
*1 La mer d'Aral, en CEI (ex URSS) est en train de connaître
le même triste sort…
*2 Voilà un néologisme dont vont pouvoir se rassasier
les affamés de mots scientifiques, et qui voudrait signifier : "qui
engendre, qui crée le désert".
On peut parler de déserts qui "se déplacent", ou
plus exactement d'une désertification qui apparaît et s'intensifie
dans des zones fragilisées, et où l'homme est seul responsable
de ce glissement vers une aridité incontrôlable. Mais ce n'est
plus le désert tel que la nature le crée. L'homme voudrait
faire croire que le processus de désertification est naturel, et
qu'il peut être combattu. Je dis au contraire que ce processus actuel
et visible est dû à la présence de l'homme et qu'il
est inéluctable.
L'intervention incontrôlée et désordonnée
de l'homme accélère un processus qui n'est plus la désertification,
mais la destruction d'un milieu. Pour éviter toute confusion terminologique,
le mot "désertisation" a été créé. La
désertisation serait le phénomène naturel de formation
et d'extension des déserts actuels. La désertification conserve
son sens originel, et désigne un phénomène artificiel,
la dégradation par l'être humain, de sols arides (ou non).
Quant à dire que le désert n'existerait pas sans
l'homme, je veux parler de ce désert-là, désert anthropique,
finalement récent dans l'histoire de la Terre, peuplé de
fantômes des plantes et des animaux disparus, ceux qui faisaient
la richesse biologique de ces régions. Bien sûr, la désertification
aurait, par un phénomène de sélection naturelle, provoqué
la disparition (et aussi l'apparition) de certaines espèces animales
et végétales ; mais pourquoi faut-il que celles qui ont réussi
à s'adapter à ces changements formidables soient irrémédiablement
exterminées par l'homme ?… Ah oui, c'est vrai, "la chasse, c'est
naturel !…"*
*1 La seule dont je préconise l'ouverture toute l'année
est la chasse au con, dont on sait que ce ne sera jamais une espèce
en voie de disparition…
Quant à la bonne volonté d'organismes humanitaires
et de scientifiques, voici quelques exemples d'erreurs "de détail"…
En 1956, des techniciens italiens installent une énorme retenue
d'eau dans le village de Goundi, au Burkina Faso. A cette époque,
les pluies sont abondantes, et l'on construit une quarantaine de bassins
de stockage. Les villageois ont l'eau, mais pas les moyens de l'utiliser.
Les eaux stagnantes vont croupir, milieu tout à fait propice
aux moustiques, qui vont pulluler. Les habitants de Goundi tombent malades
des fièvres transmises par les moustiques. On a apporté des
problèmes sur lesquels personne ne s'était penché…
avant.
Mais l'eau qui tombe enfin entre 1956 et 1960 dans la région
sahélienne est ardemment souhaitée depuis la dernière
sécheresse ; les alternances cycliques d'aridité ont beau
être controversées, elles ont tendance à s'allonger
au fil des ans. Les habitants de l'Afrique aride pratiquent une agriculture
et un élevage peut-être archaïques, mais qui répondent
et suffisent à leurs besoins, et est plus ou moins en équilibre
avec le milieu. Equilibre précaire (400 000 têtes de bétail
mortes entre 1963 et 1965 lors de la sécheresse qui a sévi
au Botswana) que l'on va, pour de louables raisons humanitaires, et donc
sans le vouloir (du moins, je l'espère !…), briser irrémédiablement.
Pour tous les pays occidentaux industrialisés, et avec raison, la
sécheresse n'est pas une fatalité : on peut la combattre,
et l'on va mettre au service de cette lutte contre la désertification
tous les progrès technologiques dont nous disposons.
Le Sahel est une région de savanes claires couvrant 6 pays
africains (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Soudan) ; les arbres, arbustes
et buissons qui la composent reverdissent dans les années 60, et
des années de vaches grasses*1 vont succéder aux précédentes.
Et chose terrible à dire, le Sahel va vivre "au-dessus de ses moyens".
Divers gouvernements occidentaux, l'aide internationale, des associations
humanitaires, l'O.M.S. (Organisation Mondiale de la Santé), l'UNESCO,
l'UNICEF, vont participer au développement du Sahel : des puits
sont creusés, le taux de mortalité infantile régresse
; l'abondance de nouveaux pâturages permet au bétail un taux
de reproduction élevé, signe de richesse pour les propriétaires.
Les surfaces d'irrigation augmentent en fonction des précipitations
; on ne se préoccupe pas du proche avenir, on profite seulement
de l'instant présent, avec les facilités accordées
par les pays industrialisés.
Le cycle infernal de la "sécheresse à longue queue"
reprend à partir de 1968. En 1970, les pluies s'arrêtent tout
à fait. Danger insidieux presque invisible, la sécheresse
et ses conséquences dramatiques sur les populations sont la conjugaison
de la durée de la période d'aridité avec l'espoir
croissant que plus le temps passe, plus les pluies vont revenir. Cet espoir
arrive à son terme lorsqu'il est trop tard. En 1973, la prolifération
du bétail, son piétinement désespéré
autour des puits asséchés*2, furent le départ de la
catastrophe anthropo-écologique du siècle : les arbres, leurs
branches, leurs feuilles furent dévorés par les troupeaux,
les chèvres broutèrent les jeunes pousses, déterrèrent
les racines, firent disparaître la maigre végétation
qui subsistait encore, détruisant le fragile équilibre écologique,
favorisant l'érosion des sols.
*1 Il est troublant de constater que déjà, dans l'Ancien
testament, en 1884 av. J.C., ces années de vaches grasses/vaches
maigres sont cycliques et durent environ 7 ans (Genèse 41).
*2 J'ai vécu pareil spectacle désolant dans le désert
de Thar en 1982, et dans le Nordeste brésilien en 1986…
Le rapport entre les ressources naturelles et les besoins légitimes
de la population et de leurs troupeaux est devenu trop inégal :
une dramatique régulation "naturelle" s'est effectuée, et
c'est de ce chiffre douloureux dont il faudrait tenir compte pour toutes
les prévisions futures. Car l'avenir nous réserve d'autres
sécheresses, peut-être plus tragiques encore. A nous d'éviter
les erreurs passées conduisant à des disettes et des famines…
Les pluies vont réapparaître au Sahel en 1974 ; mais
la bonne terre a été emportée par le vent. Ce qui
reste est lessivé par les eaux de ruissellement dévastatrices,
qui terminent le travail de sape exercé par l'érosion éolienne.
Les eaux stagnantes provoquent le pullulement des insectes, dont beaucoup
sont nuisibles (moustiques, criquets, chenilles de papillons parasites
entre autres…). Les rats prolifèrent aussi.
En fait, comme on n'a pu su "gérer la pénurie",
on ne sait pas plus gérer l'abondance : on pare au plus pressé,
sans songer à préparer l'avenir, même proche. La preuve
?… On recommence les mêmes erreurs, et à partir de 1978, la
sécheresse au Sahel ramène le spectre de la famine dans des
pays qui en sortaient à peine. Au Tchad, 1/3 des troupeaux est décimé
; 1985, 1986, 1987, 1988, quatre années de sécheresse et
de disette dans l'état du Rajasthan en Inde. Les rallyes Paris-Dakar
et autres courses bidon de grosses voitures auto-collées pour messieurs-dames
très argentés ou très connus dans des pays sous-développés,
et qui ne comprennent rien au désert, se donnent des excuses à
grand renfort médiatique, en apportant des pompes (électriques…)
pour "sauver le Sahel" ; c'est tout juste s'ils n'ajoutent pas que le rallye
Paris-Dakar est une mission humanitaire…
Et pendant que nos tristes vedettes font joujou avec leurs grosses
petites voitures, la foule africaine ne les acclame pas…
Les bonnes volontés sont parfois médiatisées,
pour la bonne cause : la prise de conscience passe aujourd'hui par la charité-spectacle
: on chante pour les enfants d'Ethiopie (1985), on polémique sur
le riz envoyé à la Somalie. On danse même sur "Le désert
avance"… J'ai vu le comble en 1987, aux Canaries, à Lanzarote, où
toute une faune argentée se dandinait et se frottait dans un night-club
sur des images vidéo grand écran d'enfants squelettiques…
Sur place, ce n'est guère mieux : la plupart des pays (dont
les frontières sont presque toutes issues de la décolonisation,
ne l'oublions pas…) sont plus que moins en guerre avec leurs voisins (
une page énumérative n'y suffirait pas.), voire inter-ethnique,
et dépensent la majeure partie de leurs ressources en armements
(que nous leurs fournissons !). On envahit même son voisin parce
qu'il est plus riche (guerre Iraq-Koweit), en oubliant que la pauvreté
dont souffre l'Iraq provient entre autres raisons, de dix années
de guerre contre l'Iran*…
* Etonnant et rare : deux pays ont su gérer à la fois
un état de guerre et des moyens de lutte contre la désertification
: la Lybie et Israël…
Notre part de responsabilité est gigantesque : la fixation
que nous faisons d'aider coûte que coûte les populations sahéliennes
en leur apportant des pompes et en creusant des puits à outrance
produit l'effet inverse de celui souhaité. J'ai pendant douze ans,
alors qu'on leur tient un langage tout à fait contraire, essayé
d'expliquer dans les écoles l'ineptie et l'irresponsabilité
de certains organismes honnêtement bien intentionnés, collectant
des fonds pour équiper les pays du Sahel de pompes et de puits supplémentaires.
L'idée de fond est charitable et humaine ; mais elle démontre
notre ignorance ou notre inconscience face aux problèmes complexes
soulevés par les sécheresses.
La démonstration est fort simple : je prends un verre plein
d'eau avec une paille, c'est la période de "vaches grasses". La
sécheresse vient peu à peu s'installer, que faisons-nous
? Le verre n'est plus qu'à moitié rempli d'eau, et l'on rajoute
des pailles ! Les nappes phréatiques ne sont plus alimentées
: on donne seulement aux gens la possibilité d'assécher plus
rapidement et plus sûrement les nappes, car elles sont déjà
surexploitées.
La France a, pour sa part, commencé à réfléchir
au problème lorsque la sécheresse a sévi en 1990,
sur son propre territoire. Or, que je sache, le réseau hydrographique
et la pluviométrie, si faible soit-elle, n'ont rien à voir
avec le Sahel, car la pression humaine est moins forte que les ressources
aquifères, et cela malgré la densité et les besoins
de la population française. Les vraies solutions ne peuvent satisfaire
les gouvernements, car elles sont à moyen ou long terme, et dépassent
largement les périodes de mandat des élus (ils en feraient
profiter leurs successeurs…).
Deux politiques sont indissociables pour permettre un travail
cohérent et payant :
-1) L'éducation des populations sur le problème de la
désertisation, et des solutions locales adaptées aux différentes
cultures ethniques.
2) Le reboisement par la plantation d'espèces adaptées
et choisies en fonction de leur caractère indigène.
Si nous devons intervenir, à la demande des pays arides
car nous ne pouvons rien imposer, il nous faudra repenser notre rythme
d'action et l'adapter aux autochtones. On veut toujours aller trop vite.
Quant à eux, il faut absolument qu'à côté de
la prise de conscience de leur auto-destruction (car une sensibilisation
ne suffit pas), il y ait des palliatifs, puis des solutions concrètes
: si le déboisement et les chèvres sont les causes majeures
de la désertification anthropique*, quelles énergies, quel
type d'élevage peuvent les remplacer, et surtout, comment les populations
locales pourraient-elles réagir à la proposition d'un nouveau
mode de vie totalement étranger au sien, fait de traditions millénaires
? Voilà pourquoi rien n'est simple…
Déserts anthropiques.
Indiens d'Amérique, Bochimans du Kalahari, Aborigènes
d'Australie entretenaient, jusqu'à l'arrivée des Blancs,
une relation étroite avec leur milieu. Il s'agissait d'une gestion
sinon inconsciente, du moins naturelle (parfois obligée) des ressources
biologiques de la zone aride. Les changements brutaux se sont opérés
avec les néocivilisations originaires de l'Occident, qui ont apporté
avec elles des technologies susceptibles de modifier profondément
et durablement l'environnement.
Mais les Occidentaux ne reproduisent que ce qu'ils ont déjà
fait chez eux : combien de forêts de chênes, du temps de la
marine à voile, ont ainsi disparu du paysage français ? Déjà
au 5ème siècle av. J.C., à l'époque de Périclès,
la Grèce a presque entièrement détruit les forêts
de l'Attique, pour les seules exigences de la construction navale… La Jordanie,
Israël, le Liban sont des zones où la végétation
actuelle n'est plus en équilibre et n'a plus rien à voir
avec le climat d'aujourd'hui ; il s'agit là d'un type même
de "faux désert", ou "désert anthropique"*, désert
fabriqué par l'homme.
* Pour ma part, ce n'est pas un pléonasme : désertification
anthropique signifie qu'il s'agit d'un phénomène naturel
altéré par l'action de l'homme. Avoir donné les définitions
de "désertification" et "désertisation" ne veut pas dire
que je les approuve : elles ne me semblent pas justifiées.
Il y a plus de 2000 ans, et même encore au temps du Christ,
la forêt de cette zone occupe encore un vaste territoire : il s'agit
néanmoins de petites forêts clairsemées. L'homme a
commencé la déforestation en détruisant par le feu,
la hache, transformant peu à peu le paysage en steppe où
seuls les moutons et les chèvres trouvaient leur pitance ; ces animaux
ont fait disparaître la maigre couverture végétale
qui subsistait encore, la steppe est devenue "désert". Les fameux
cèdres du Liban (Cedrus libani) ont, à cause de la qualité
exceptionnelle de leur bois, été décimés.
Aujourd'hui, et c'est à une échelle planétaire,
7 millions de Km2 de la région amazonienne ne reçoivent plus
que 800 mm de précipitations annuelles : on glisse perceptiblement
vers l'aridité, avec tous les stades intermédiaires d'évolution
en une ou deux générations de l'espèce humaine. La
petite Guyane Française participe-t'elle au grand holocauste, ou
y a-t'il véritablement prise de conscience ?… Personne ou presque
n'a vraiment l'air de s'en inquiéter.
L'accroissement des populations, et partant de là, de l'augmentation
des têtes de bétail, surtout chèvres et moutons, apporte
sur l'environnement une pression intolérable. Toute technologie,
tout progrès a son revers. L'exploitation intensive des sols et
des pâturages, la culture sur brûlis, qu'on appelle plus joliment
"l'agriculture itinérante", est pratiquée dans des zones
à haut risque : Australie, Brésil, Mexique, Botswana, Kenya,
Mali, et malheureusement, etc… Cela ne peut "marcher" qu'avec de très
faibles densités de populations ; au-delà d'un certain seuil,
on rend les sols stériles, et les conditions climatiques peuvent
en être gravement perturbées.
On le constate de visu en de nombreux points du globe ; on pratique
la destruction systématique de tout ce qui peut, en apparence, faire
obstacle à nos projets : élimination des herbivores "concurrents",
des prédateurs, braconnage, destruction de la flore sauvage (collines
remodelées pour les riches villas d'Encino, banlieue de luxe de
Los Angeles aux Etats-Unis), etc.
A l'inverse, mais le résultat est curieusement identique,
l'introduction accidentelle ou intentionnelle d'animaux (comme les Lynx
en France…) ou de végétaux a la même influence désastreuse
sur l'équilibre du milieu. Il suffit de se rappeler les invasions
de lapins de garenne en Australie, ou des cactus (Opuntia stricta) dans
l'état du Queensland. Un exemple de la destruction des herbivores
"concurrents" : le massacre des kangourous (dont on sait qu'ils n'ont pas
le même régime alimentaire que les moutons), des émeux
assassinés à la mitrailleuses, etc.
L'introduction massive d'animaux placentaires en Australie signifie
à plus ou moins long terme la disparition de la plupart des Mammifères
marsupiaux, mis en concurrence écologique inégale avec des
herbivores tels que lapins, moutons, buffles, ânes ou dromadaires,
des rats et des souris, et pourchassés par des chiens, des renards,
des chats redevenus sauvages… Aucun contrôle n'étant possible,
seuls les marsupiaux les mieux adaptés, s'il en existe, ou les plus
spécialisés, si leur domaine écologique n'est pas
anéanti, resteront dans les prochaines décennies, les vestiges
d'une faune particulièrement attachante.
On n'hésite pas non plus à brûler des dizaines
de milliers d'hectares de végétation xérophyte, juste
pour chercher fortune, et essayer de trouver à l'aide d'un détecteur
de métal, des pépites d'or, sans être gêné
par les cruelles piqûres des herbes acérées des Spinifex.
Un autre méfait très révélateur du désastre
écologique que font encourir à la planète nos "apprentis-sorciers"
: le lapin a été introduit aux Iles Macquaries en Australie,
pour servir d'apport alimentaire. Mais il s'adapte si bien et sa reproduction
est si rapide qu'il menace les récoltes. Qu'à cela ne tienne
: des chats sont lâchés dans la nature, pour réguler
le nombre de lapins. Et ça ne marche, ma foi, pas trop mal…
Mais lorsque les lapins ont disparu, les chats s'attaquent aux
oiseaux de mer. Rien ne va plus : les indigènes consomment les œufs
des oiseaux marins ! Il faut maintenant faire disparaître les chats.
On apporte des chiens. Mais les chiens préfèrent s'en prendre
aux phoques, l'une des ressources principales des insulaires. Auriez-vous
un animal qui puisse nous débarrasser du chien ?…
Autre exemple tout aussi lamentable : l'Ile de Guadalupe se situe
à 240 km au large de la Basse-Californie au Mexique ; l'endémisme
des espèces végétales et animales y est remarquable.
Encore une fois, l'homme est seul responsable de la dégradation
soudaine de l'écosystème, puis de la disparition de la presque
totalité de la flore et de la faune insulaires. Au 19ème
siècle, les marins y débarquent et massacrent l'Otarie de
Guadalupe (Arctocephalus philipii townsendi) et l'Eléphant de mer
(Mirounga angustirostris), aujourd'hui protégés ; pour ravitailler
les équipages en viande fraîche, on lâche des chèvres
dans l'île, ainsi que des chats. En l'absence de prédateurs,
les chèvres se multiplient, et rasent Guadalupe de toute végétation,
endémique ou non. Le nichage et la nidification deviennent rapidement
un problème pour les oiseaux de mer, et les chats en profitent pour
faire disparaître de nombreuses espèces. Le Caracara (Polyborus
plancus), trop gros pour être attaqué par les chats, est exterminé
par les hommes, qui l'accusent de tuer les chèvres.
A l'aube du 21ème siècle, aucune solution n'a été
adoptée pour sauver ce qui reste de Guadalupe…
• Le désert en jeu : potientialité et réalités.
• L'eau.
Tout paraît possible si l'eau est disponible : mais la surexploitation
des nappes phréatiques doit être freinée, car elle
entraîne le tarissement des ressources aquifères et l'effondrement
du sous-sol. L'irrigation a ses revers : évaporation intense, stagnation
des eaux, prolifération des algues, maladies dans les oasis (bilharziose,
paludisme, dengue…), lixiviation des sols, remontées salines, etc.
Les sols insuffisamment drainés deviennent vite saturés en
sel, rendant toute culture impossible. On a même avancé des
chiffres : la perte des terres par les remontées osmotiques et les
saturations salines représentent une surface identique à
celles que l'on a gagnées sur le désert !…
Pourtant, cette eau est indispensable pour modifier à terme,
les climats de certaines régions : freiner l'érosion par
des solutions appropriées en plantant des espèces herbacées
ou arbustives est un bon moyen de retenir les sols ; la conservation des
sols passe par la restauration des terres, la lutte contre l'érosion,
la stabilisation des dunes. En Iran, la progression des dunes vives est
stoppée par l'apport d'hydrocarbures résiduels dont on asperge
les sables, procédé assez peu écologique, dont on
dit pourtant qu'il se transforme en un humus capable de favoriser la plantation
d'espèces végétales arbustives, sans que l'on parle
toutefois du sort des plantes indigènes qui ont subi ce traitement…
Le détournement de fleuves, la construction de barrages
de retenue ne doivent pas être pensés seulement en fonction
du résultat potentiel sur la zone irriguée, mais aussi sur
le changement brutal et irréversible d'un écosystème.
Le sud de la Californie retournera vite au désert (adieu, les belles
oranges !) si la pression sur l'hydrologie locale se maintient au niveau
actuel…
L'eau, saumâtre, fossile ou non, peut être utilisée
(et l'est dans certains cas) à des fins diverses : la distillation
solaire permet d'obtenir de l'eau potable à partir d'eau fortement
salée, impropre à la consommation. Au Botswana par exemple,
quelques villages profitent de ce système. En Australie, une "usine"
de désalinisation de l'eau (pompée à 100 m sous terre)
a été installée en 1967 à Coober Pedy, mais
n'était pas suffisante pour les besoins des 3 à 4000 mineurs
d'opale du village. De plus, un vent de sable détruisit de nombreux
panneaux solaires et mit fin au projet. En 1980, une usine de traitement
de l'eau par la pression osmotique remplace la distillation solaire.
Le tourisme apporte des inepties : aux Canaries, dans l'île
de Fuerteventura, il n'a pas plus durant 5 ans ; toute l'eau que les touristes
utilisent provient de coûteuses usines de désalinisation de
l'eau de mer fonctionnant au pétrole, ou de bateaux-citernes venant
de la Grande Canarie. Ignorant cela, les touristes de passage gaspillent
ce bien précieux dont les Canariens sont eux-mêmes souvent
privés, économie oblige, et payent à prix d'or.
D'autres régions arides "baignées" par des brouillards
côtiers, comme le Chili, expérimentent des structures collectrices
d'eau. Au-dessous de 1200 m d'altitude, le désert d'Atacama reçoit
ses précipitations sous forme de brouillards, qu'on appelle la Camanchaca.
Carlos Espinoza, professeur de physique à l'Université d'Antofagasta
m'a présenté son projet en 1981; il s'agit de structures
géométriques ("macrodiamants") en forme d'octaèdres,
capables de capter et de concentrer l'eau des nuages de rosée de
la Camanchaca. Une structure de 200 kg (volume plié : 0,2 m3. Volume
installé : 100 m3) d'une hauteur de 6 m et d'une surface de 22 m2
permettrait d'obtenir, dans le meilleur des cas, environ 1000 litres d'eau
par jour. Voilà une idée à développer au Pérou
et en Namibie…
En Israël, Lucien Bronicki a réussi à utiliser
les eaux salines de la Mer Morte pour produire de l'électricité
! Le principe de la piscine solaire à concentration saline étagée
repose sur les densités et les températures des différentes
nappes salines, présentes dans de nombreux déserts ; la couche
inférieure peut atteindre et même dépasser les 100°C,
à condition que les eaux de surface ne soient pas agitées
par le vent.
Ainsi, les marais salants, sebkhas, salinas, chotts, dry lakes,
etc, transformés en usines de désalinisation, pourraient
fournir au moins 100 millions de m3 d'eau douce par an, pour une surface
(couverte artificiellement pour éviter l'agitation des eaux des
étages supérieurs) de 65 hectares ! Cela suffirait également
à limiter la consommation de bois, en permettant le chauffage des
aliments pour de petits villages ; l'électricité produite
par les piscines solaires pourraient, outre la fourniture d'énergie,
désaliniser l'eau de mer par distillation ou électrolyse,
irriguer les terres avoisinantes, fabriquer du froid pour les installations
réfrigérées, de la chaleur pour la cuisson des aliments
ou le chauffage des habitations en hiver, etc. La réussite de la
piscine solaire à concentration saline étagée d'Ein
Bobek en Israël, a été suivie d'autres projets près
de la Mer Morte, et jusqu'aux Etats-Unis, au Texas, par exemple, où
l'on détourne des eaux salines pour les stocker dans un lac artificiel
qui servira de base à l'élaboration de piscines solaires.
Les eaux souterraines fossiles (certaines auraient 12 000 ans)
présentes au Sahara (Tunisie, Libye…), aux USA (Oregon…) sont utilisées
d'une façon la plus rationnelle possible, car elles sont des ressources
naturelles très probablement non renouvelables. La Libye a mis en
place un système à pivot central d'où l'eau est pompée
à 300 m de profondeur, voire plus, jusqu'à 2000 m, et alimente
des champs artificiels de céréales de 800 m à 1,6
km de diamètre ; par un savant dosage des quantités distribuées,
un dispositif roulant ou manège, posé sur des galets ou des
rails, assure un arrosage automatique, lent et circulaire. Vu du ciel,
en avion, cela donne l'aspect de disques verts posés sur le désert.
J'ai observé des systèmes identiques aux USA, dans
l'Oregon. Même si les eaux fossiles ne sont pas renouvelables (on
n'en a pas la preuve formelle d'ailleurs…), elles peuvent si l'on ajoute
conjointement à la culture céréalière, l'arboriculture
et la sylviculture, provoquer localement des micro-climats. Les cultures
sous serres, les cultures hydroponiques, ou en goutte à goutte sont
également des procédés très simples et économiques
de l'utilisation de l'eau douce en zone aride ou semi-aride. Il faudrait
également réhabiliter, pouvoir restaurer les anciens systèmes
d'irrigations (foggara, qanat, etc.) abandonnés, dégradés,
et pourtant très efficaces. Il est vrai que l'entretien, périlleux
pour les ouvriers, en était alors assuré par des esclaves.
Cela se fait surtout à titre individuel, et Haiba, un ami algérien
a ainsi remis en service une ancienne foggara pour irriguer ses parcelles.
L'oasis de Nazca utilise encore les canaux souterrains d'irrigation
pré-incas, mais les habitants ont descellé les plaques de
pierre qui les recouvraient en de nombreux endroits pour y prélever
de l'eau, provoquant de ce fait une pollution accrue des eaux, et une évaporation
intense.
• Potentiel agricole.
Avec les différents procédés de désalinisation
utilisant des énergies douces, des cultures choisies et une irrigation
contrôlée, la production agricole au désert montre
de bons résultats : l'Arabie Saoudite en est un exemple (quoiqu'elle
ait encore des progrès à faire en matière de désalinisation,
puisqu'elle l'obtient encore à l'aide d'énergie fossile,
le pétrole).
Au 19ème siècle, le désert d'Atacama connut
un boom extraordinaire : l'exploitation des nitrates, d'abord dans la fabrication
des explosifs, puis des engrais. Malheureusement, on avait besoin de charbon
de bois pour leur extraction et leur transformation. L'antique forêt
de Tamarugos (Prosopis tamarugo) de la Pampa del Tamarugal fut presque
entièrement exterminée pour les besoins de combustible. Aujourd'hui,
après 50 années de plantations, les résultats sont
prometteurs : le Chili possède 25 000 hectares de Tamarugos dont
les plus âgés ont un demi-siècle. Alimentés
grâce à une nappe phréatique peu profonde, les arbres
peuvent se développer ; les racines doivent néanmoins traverser
60 cm de sels pour atteindre l'eau douce. Depuis 1979, des bovins, des
ovins, des caprins et des camélidés (Lama glama) ont été
introduits sous contrôle strict. Les feuilles et les fruits (gousses)
des Tamarugos sont utilisés comme aliment pour le bétail.
La sylviculture en zone aride demande un choix précis d'essences
végétales, et l'on sous-estime généralement
l'importance de l'utilisation des espèces indigènes, au profit
d'espèces exotiques. Il ne faut pas oublier, et l'hiver européen
de 1985 nous l'a rappelé, tout changement climatique même
mineur et court, peut détruire la flore introduite non protégée
et non adaptée à ces changements brusques de climats à
cycles courts. Les dommages sont irréparables si la flore introduite
a été substituée à une flore indigène
exterminée ; la reprise du couvert végétal ne pourra
se faire rapidement qu'avec l'intervention de l'homme.
Il est infiniment plus intéressant à tous points
de vue, de conserver d'abord la flore originelle, plutôt que d'essayer
d'introduire des espèces étrangères, qui s'adaptent
parfois au-delà de toutes espérances, devenant même
une catastrophe économique ; ainsi, l'introduction intentionnelle
au 19ème siècle de Cactées du genre Opuntia (Opuntia
stricta) en Australie, dans l'état du Queensland. En 1925, la surface
occupée était estimée à environ 250 000 km2.
Le nettoyage de ces terres aurait coûté plus cher que leur
propre valeur.
Pourquoi le cactus envahit toutes les terres, alors que dans son
habitat, en Amérique du Nord, les plantes poussent en touffes bien
isolées, sans prolifération ? Dans son milieu naturel, le
cactus possède ses propres prédateurs qui en limitent l'extension.
N'ayant rencontré aucun ennemi en Australie, Opuntia stricta s'est
développé à outrance. Il fallut apporter d'Argentine,
des œufs d'un papillon de nuit, Cactoblastis cactorum, dont la chenille
se nourrit de tiges de cactus ; très vite, la population de Cactoblastis
cactorum augmenta en fonction de la disponibilité et de la quantité
de son alimentation, et causa au cactus des dommages tels, qu'aujourd'hui,
Opuntia stricta n'est plus un problème. Les terres ont pu être
réhabilitées, et plantes et prédateurs s'auto-régulent.
A l'inverse, l'Australie a permis l'introduction en Amérique,
en Europe, en Asie, en Afrique, de l'Eucalyptus. Planter des Eucalyptus
sans discernement et particulièrement en Afrique, me semble être
une erreur dangereuse. ce sont des arbres qui épuisent rapidement
les nappes phréatiques ; l'absence de prédateurs permet aux
arbres d'avoir un feuillage très dense, avec un dégagement
d'essences volatiles très inflammables, augmentant les risques de
feu. Il est surtout totalement inutile au bétail, qui ne peut manger
ni les feuilles, ni les fruits. Enfin, rien ou presque ne pousse sous un
Eucalyptus…
Le genre Eucalyptus possède de nombreuses espèces
adaptées au feu, ce qui n'est pas le cas de la plupart des arbres
africains ; si le feu naturel, provoqué par la foudre, permet en
général la régénérescence des espèces
par le semis de graines "pyrophiles"*, en revanche, les feux de brousse
humains répétés font disparaître les espèces
indigènes non adaptées, et changent profondément les
communautés végétales, tout en les appauvrissant.
La région méditerranéenne connaît ce problème.
* Le laps de temps entre deux incendies naturels est suffisamment
long pour permettre la repousse de jeunes arbres.
Parmi les arbres et arbustes susceptibles de nourrir le bétail
et favoriser le reboisement, les Acacias (Acacia radiana, A. senegal…),
les Prosopis (Prosopis juliflora, P. cineraria, P. tamarugo, P. pallida…),
les Jujubiers (Zizyphus nummularia, Z. mauritiana…), le Jojoba (Simmondsia
chinensis), etc, sont actuellement étudiés dans des programmes
de sylvipâture et de reforestation dans de nombreux pays à
haut risque : Pérou, Chili, Inde, Mauritanie, Israël… Ces arbres
sont d'une grande importance économique, et d'un avenir certain
: il est à noter qu'au Pérou, l'algarrobina, tirée
de Prosopis pallida, est consommée en sirop par les habitants.
Tout le monde connaît l'essor fantastique de l'arbuste "Jojoba",
Simmondsia chinensis (ou S. californica), qui pousse à l'état
sauvage au nord du Mexique et au sud-ouest des Etats-Unis. Cet arbuste
dioïque (il y a des arbres "mâles" et des arbustes "femelles")
peut servir à la fixation des sols, il supporte un fort taux de
salinité, ses racines atteignent jusqu'à 30 m de longueur,
il accepte de faibles précipitations, environ 100 mm seulement par
an, et vit 150 ans. C'est un très bon aliment pour le bétail,
mais surtout, on obtient "l'huile de Jojoba" à partir de ses graines
oléagineuses : cette huile est chimiquement semblable au "blanc
de baleine", le spermaceti, et ne rancit pas ! Elle remplace avantageusement
(merci pour les Cachalots !) l'huile de Baleine dans des utilisations plus
que diverses : lubrification automobile et aéronautique, propulsion
de sous-marins nucléaires, mais aussi chewing-gum, cires et bougies,
encaustiques, cosmétiques, produits de beauté, shampoings,
médecine, etc ! On dit qu'une huile moteur de ce lubrifiant miracle
ne se vidange que tous les 32000 kilomètres !
Seul problème : sa culture est aléatoire dans les
premières années de la plantation. Et la production annuelle
est dix fois moindre que la demande. Il est à souhaiter pour tout
le monde (hommes et… cachalots) que la tendance s'inverse, pour un meilleur
troisième millénaire…
D'ailleurs, le monde de la recherche bouge, et des découvertes
s'annoncent prometteuses : la symbiose entre un champignon (Frankia) fixateur
d'azote, et les Filaos (Casuarina) permettrait de remplacer les engrais
chimiques : plantés pour stabiliser les dunes, ils apportent avec
eux leur propre fertilisant naturel !
En 1982, je suis invité à l'Institut Central de
Recherches en Zone Aride (C.A.Z.R.I.) de Johdpur, à la porte du
désert de Thar, en Inde. Le Rajasthan est l'un des états
les plus pauvres de l'Inde, où les conditions de vie et d'agriculture
sont des plus précaires. Avec le C.A.Z.R.I., les techniques les
plus modernes mêlées aux moyens les plus modestes sont mises
en œuvre pour vaincre la désertification et le manque d'énergies.
Le canal de Gang assure désormais au Rajasthan aride, des
quantités d'eau régulières en provenance de l'Himalaya,
pour l'irrigation. Quant aux ressources agricoles, les graines sont sélectionnées
selon leur rendement bien sûr, mais selon leur capacité à
résister à la sécheresse, aux maladies et aux parasites.
Des expériences sont tentées sur des dizaines d'hectares,
avec une plante qui est d'un grand intérêt économique
pour le Thar : le Guar (Cyamopsis tetragonolobus). En effet, la farine
obtenue à partir des graines de Guar (le fameux émulsifiant
naturel E 412) entre dans la composition de nombreux aliments lyophilisés,
de flans, d'entremets, crèmes glacées, soupes instantanées
et autres préparations culinaires. Nous consommons, sans le savoir,
un produit du désert !
Toujours au Rajasthan, les "melons du désert" (Citrullus
colocynthis), malheureusement immangeables, donnent des graines qui sont
utilisées pour fabriquer du savon.
Aux Etats-Unis, des plantes sauvages, des buissons considérés
comme nuisibles sont peu à peu réhabilités ; ainsi
Lesquerella palmeri, une Crucifère qui peut servir de base à
la production de matières plastiques, ou encore deux Chénopodiacées,
Salsola kali et Atriplex confertifolia qui d'inutiles, passent au statut
de plantes fourragères, en complément d'aliment pour le bétail
!
• Potentiel animal. Lutte contre les animaux déclarés
nuisibles.
L'accroissement des troupeaux domestiques est le principal obstacle
à la lutte contre la désertification, car ces animaux ne
s'intègrent pas dans l'écosystème où ils sont
introduits. L'élevage d'animaux vivant à l'état sauvage,
et donc adaptés au milieu aride pourrait, semble-t-il, procurer
des solutions. Les Soviétiques ont tenté de sauver de l'extinction
l'Antilope Saïga (Saïga tartarica) en proclamant sa protection
en 1919. Et ça marche ! De 1930 à 1960, le nombre de têtes
passe de 1000 à 2 500 000 ! On peut désormais effectuer des
prélèvements sans mettre en danger la population des Saïgas
: 350.000 sont abattues chaque année pour la viande, la peau et
la graisse.
L'Autruche (Struthio camelus) est domestiquée en Afrique
australe, autant pour ses plumes que pour sa chair. Les Gazelles (Gazella
dorcas), l'Antilope Addax (Addax nasomaculatus), l'Oryx (Oryx gazella),
l'Elan du Cap (Taurotragus oryx), l'Antilocâpre (Antilocapra americana)
pourraient également se voir sauvés du grand holocauste,
et utilisés plus rationnellement pour l'alimentation humaine, sans
la dangereuse pression que font subir les animaux domestiques sur le milieu
naturel. Mais cela restera encore longtemps du domaine de l'expérimentation.
En ce qui concerne les animaux domestiques, il existe par exemple à
Bikaner, dans l'état du Rajasthan, une ferme d'élevage gouvernementale
de 150 têtes de dromadaires.
Après que les bêtes aient passé une journée
à pâturer, les chameliers ramènent le troupeau à
la ferme pour y boire et y passer la nuit. La chair du dromadaire n'est
pas consommée, pour des raisons religieuses, et seul le poil est
utilisé pour tisser des tapis et des couvertures. Le lait de chamelle
est aussi consommé : très fortement salé, il ne contient
pratiquement pas de matières grasses. Le gouvernement indien étudie
les possibilités de reproduction intensive du dromadaire, ainsi
que son importance économique pour la région, très
pauvre en ressources naturelles. Le désert de Thar n'offre que peu
de solutions, les animaux économiquement utiles sont peu nombreux.
La ferme expérimentale s'attache également à développer
ses études vers la biomasse, en produisant du gaz méthane
à partir des excréments de bovins. L'Inde possède
en effet le plus grand troupeau improductif du monde. Bien que les Indiens
utilisent depuis toujours la bouse de vache comme énergie de cuisson
de leurs aliments, le potentiel de production de méthane est tel
que les scientifiques indiens travaillent sérieusement la question.
Mais les habitudes alimentaires, culturelles, religieuses, sont
autant d'obstacles à ces projets. Le plus grand problème
auquel les chercheurs doivent faire face est le manque d'éducation
des 95% de la population, profondément ancrée dans des coutumes,
des croyances millénaires, avec une foi et une religiosité
qui confinent parfois au fanatisme. La lutte contre les animaux déclarés
nuisibles est une priorité. Voici un exemple de la réalité
quotidienne qu'ont à affronter les chercheurs : dans le village
de Deshnoke, au Rajasthan, se dresse le Temple des Rats. Dans un pays où
les rongeurs sont une véritable calamité, le Temple des Rats
est un paradoxe à la mesure du continent indien. On y nourrit les
rats, car la légende veut que les enfants mort-nés s'y soient
réincarnés sous cette forme. Et l'on vient remercier Karani,
incarnation de la déesse Durga, qui a permis le miracle.
Et les rats sont bénis, chéris, adorés, protégés
des rapaces, nourris, à tel point qu'on les nomme "Khaba", nos enfants.
Non loin du village, des scientifiques tentent de capturer les rongeurs
pour enrayer leur prolifération et les faire disparaître.
Difficile de faire cohabiter tradition et progrès…
Il n'y a pas que les rats : les termites, les criquets migrateurs
(Schistocerca gregaria), les moustiques dans les secteurs irrigués,
les souris, les lièvres et lapins etc, sont autant de plaies agricoles
qu'il est difficile de maîtriser. Les chercheurs voudraient avec
quelque raison privilégier la lutte biologique sous contrôle
sévère, car les pesticides s'utilisent aveuglément,
et brisent de nombreux maillons de la chaîne écologique. Certaines
chaînes sont extrêmement courtes, tel le rapport étroit,
je l'ai déjà évoqué, qui existe entre l'Arbre
de Josué (Yucca brevifolia) et la Phalène du Yucca (Tegeticula)
en Californie. L'emploi systématique d'insecticides sur les orangeraies
et les cultures en général peuvent menacer (entre autres)
la Phalène du Yucca ; or, ce petit papillon de nuit est le seul
à féconder ce Yucca, en y pondant ses œufs. J'ose imaginer
ce que la disparition de la Phalène du Yucca entraînerait
pour le désert de Mojave : incapable de se reproduire en l'absence
de son unique agent pollinisateur, seules les générations
semées, nées des ultimes fécondations, seraient en
mesure de prolonger le temps pendant lequel l'aspect typique du désert
resterait le même, soit les 250 ou 300 ans que vit Yucca brevifolia.
Devenus stériles, au bout de leur vie, les grands Yuccas sauvages
s'éteindraient les uns après les autres…
Avec cet exemple que j'espère fictif, je veux mettre en
lumière qu'un "accident écologique" provoqué par l'homme
dès maintenant, peut avoir des conséquences invisibles et
un résultat catastrophique à courte échéance.
Si l'on n'en prend pas conscience dès à présent, nous
assisterons impuissants, à l'auto-destruction de notre propre planète.
Avant d'aller conquérir (chèrement) d'autres mondes extra-terrestres,
ne ferait-on pas mieux de nous préoccuper de notre globe ?
"Lorsque nous aurons perdu la boule, il y aura quelque chose qui
ne tournera plus rond, dans l'Univers…"
• Potentiel minéral : Exploitation, surexploitation.
En plein désert de Simpson en Australie, le sol est foré
de toutes parts pour la recherche de l'opale : elles se présente
en filons, dans des roches sédimentaires, coincée entre du
grès et du gypse. L'Australie produit 95% de la production mondiale
d'opales. Jusqu'à présent, on a plutôt exploité
le désert comme un citron à presser. Les nombreux villages-fantômes
traversés au cours de périples cyclistes au Chili, en Australie
aux USA, etc, montrent l'acharnement humain à tirer le maximum du
sous-sol jusqu'à épuisement des ressources. Toutes les mines
que j'ai pu visiter témoignent d'un gigantisme effréné
: je travaille en 1980 dans la plus grande mine de fer à ciel ouvert
du monde, dans le Western Australia, Mount Newman. L'année suivante,
je découvre l'une des plus grandes mines de cuivre à ciel
ouvert du monde : Chuquicamata dans le désert d'Atacama, au
Chili. Plus de 25 000 personnes vivent dans l'enfer désertique de
l'Atacama. Située à près de 3000 m d'altitude, sa
profondeur atteint 450 m pour un diamètre d'environ 3,6 km. Pour
faciliter l'exploitation du minerai, la roche est perforée, et l'on
introduit des cartouches de gélignite qui la pulvérisent
par explosion. Les machines qui travaillent à l'extraction du minerai
sont de taille respectable, pouvant transporter jusqu'à 170 tonnes
de roche cuprifère.
menses gerbes d'étincelles, le cuivre, porté à
une température de 1300°C., fondu au rouge, glisse dans des
creusets comme une coulée de lave en fusion. La production de la
mine de Chuquicamata est 500 000 tonnes de cuivre par an. Le désert
est parfois généreux.
En octobre 1978, le gouvernement du Botswana m'autorise à
être le premier visiteur de la nouvelle mine de diamants de Jwaneng,
dans le désert du Kalahari. Elle est considérée aujourd'hui
comme l'une des plus productives du monde ! Les pierres sont de très
haute qualité : 40% sont des gemmes, qu'on extrait à raison
de 2 carats la tonne. A cette époque, Jwaneng est encore en cours
de prospection : on creuse des puits partout, on cherche, on trouve ! 260
personnes étaient alors employées dans cette mine d'état
financée par la "De Beers Company".
L'indice de probabilité se calcule au moyen de simples
prélèvements de sable de surface ; examiné à
la binoculaire, s'il renferme de minuscules fragments de diamants, une
recherche plus poussée peut avoir lieu. On effectue les sondages
à l'aide de plateformes de forage. Des carottes de sondage sont
prélevées dans la kimberlite, roche formée à
très haute pression, et qui contient le carbone pur cristallisé
sous forme de diamant. A Jwaneng, la kimberlite se trouve à partir
de 50 m de profondeur, et les premiers puits creusés atteignent
130 m, mais ce n'est qu'un début. Dès que les prélèvements
montrent que le gisement est important et rentable, l'exploitation peut
commencer : le puits est alors agrandi. Après avoir été
grossièrement concassée, la kimberlite est transportée
sur des tapis roulants jusqu'à des malaxeurs qui mélangent
la roche diamantifère à de l'eau et divers produits chimiques
qui la transforment en boue.
Ce mélange est ensuite décanté, après
plusieurs traitements, puis transvasé dans des bidons numérotés
selon la provenance et la richesse du gisement ; le contenu est ensuite
versé à travers des trémies qui amènent la
boue diamantifère jusqu'à des plaques vibrantes enduites
de vaseline, et continuellement lavées à grande eau. Tout
ce qui est déchet est éliminé par l'eau de lavage,
et en fin de traitement, il suffit de faire fondre la graisse et de récupérer
les diamants. Les gemmes, collectées et triées sont ensuite
envoyées à Gaborone, la capitale, puis en Hollande à
Amsterdam pour la taille et la vente.
Moins connus, mais tout aussi recherchés, les sels de borax
du désert de Mojave en Californie sont les dépôts les
plus importants au monde, et servent aujourd'hui à l'obtention du
bore, qui entre dans la composition des carburants de fusée et de
nouvelles matières plastiques. Plus modestement, au Sahara, la caravane
du sel transporte depuis plusieurs siècles, le sel du désert
destiné à l'alimentation humaine.
• Désert poubelle ? Préservation des déserts.
Le pétrole est le maître politico-économique
du moment, car c'est encore l'énergie fossile majeure la plus convoitée
au monde. On le trouve dans la plupart des déserts de l'hémisphère
nord : Proche et Moyen-Orient, Amérique du Nord, Sahara.
L'uranium est exploité aux Etats-Unis (Utah, Nouveau-Mexique),
au Niger, etc. Les espaces désertiques ont conduit à des
expérimentations d'armes atomiques, en Algérie (par la France,
au Sahara), aux Etats-Unis (Nevada, Texas), en Chine (Gobi), en Inde (désert
de Thar), en CEI, ex URSS (Kazhakstan), et sans doute au Moyen-Orient.
Il est à craindre que le nucléaire civil propose aux pays
pauvres possédant d'immenses territoires arides, de stocker les
déchets nucléaires (comme le strontium 90 et le caesium 137)
de leurs centrales. Les radiations engendrées par les scories radio-actives
sont très néfastes à tout environnement.
Là encore, on joue aux apprentis-sorciers. On ne devrait
pas utiliser une énergie aussi dangereuse lorsque l'on n'est pas
encore capable de la maîtriser. On nous affirme que les centrales
atomiques sont sûres (sauf accidents…), mais la maîtrise du
nucléaire passe d'abord par l'élimination des déchets
radio-actifs qu'il engendre, et non le stockage souterrain ou sous-marin
(voire spatial dans un triste avenir). Enfin, et il faut y penser, les
énergies non renouvelables ne sont pas… renouvelables ! Notre détestable
habitude politi-co-économique de chercher (pas trouver…) des solutions
une fois qu'il est trop tard doit laisser la place à une alternative.
Le solaire et l'éolien fournissent des énergies
non encore complètement maîtrisées, non gratuites malgré
leur apparente disponibilité en zone aride ; pourtant, dès
que la technologie et les coûts de production et d'utilisation le
permettront, les énergies solaires et éoliennes réduiront
la dépendance vis-à-vis des énergies fossiles, et
pourraient, pourquoi pas, les supplanter dans quelques décades.
Des centrales éoliennes sont expérimentées un peu
partout, et notamment aux USA (Californie), en Algérie, en CEI (centrale
solaire d'Ararat), et plus modestement au niveau rural et familial en Inde,
où les panneaux solaires sont faits de matériaux de récupération
grâce au C.A.Z.R.I. de Johdpur dans le désert du Rajasthan.
Là où il y a des barrages pour l'irrigation des
terres (USA, Egypte…), la production d'énergie hydroélectrique
est possible ; on peut aussi envisager que les zones volcaniques actives
comme dans la Cordillère des Andes (El Tatio, Chili) soient une
intéressante source d'énergie géothermique.
Plusieurs organismes officiels ou non gouvernementaux (C.I.Z.A.
au Pérou, C.A.Z.R.I. en Inde, D.R.S. en Namibie, en Israël…)
se penchent sur tous les problèmes liés à l'aridité,
la désertification, et l'utilisation de l'énergie en zone
aride. Il est à souhaiter que des solutions pratiques à l'échelle
des communautés locales puissent améliorer la vie des habitants
des déserts.
• Son avenir : le désert pour lui-même.
L'avènement de nouvelles percées routières,
l'établissement d'usines chimiques, de stockage et de retraitement
des ordures domestiques et industrielles dans les zones arides va à
l'encontre de l'espoir que l'on peut légitimement fonder sur le
désert et son utilisation future. Le tourisme individuel ou organisé,
mais contrôlé, et hors périodes de conflit, paraît
pour nombre de pays (Kenya, Egypte, Algérie, Jordanie, Botswana,
Australie, Yémen…) une source de devises non négligeable,
et pleine de promesses pour d'autres.
Mais depuis que le désert est à la mode, n'importe
qui y fait n'importe quoi, n'importe comment et n'importe où ; comme
ce peintre qui passe son temps à couvrir de peintures (polluantes
à l'époque*) indélébiles, plusieurs kilomètres
carrés de déserts maltraités (80 kilomètres
au Sinaï en 1980, Maroc en 1984, Tchad en 1989 avec 30 tonnes de peinture…).
Ce n'est pas la qualité de l'œuvre que l'on juge, mais son impact
négatif sur l'environnement. A aucun moment, cette personne n'a
pensé (manque d'éducation ou d'information ?) que toute parcelle
de désert est une biochorie, avec ses lois naturelles, sa faune
et sa flore. Va-t-on voir bientôt de super-tankers dégazer
en mer de superbes nappes colorées de bleu, rouge, parce que cela
devient de l'art ?… Au moins, les Iraniens qui arrosent leurs dunes vives,
de bitume ont-ils l'excuse de vouloir stopper l'avancée des sables.
* Les peintures contiennent des PCB polychlorobiphényles,
non dégradables, mortels pour la faune et notamment les oiseaux.
Le désert-poubelle avance à grands pas, à
la vitesse d'un Paris-Dakar qui mélange cour de récréation
et désert. Dans le sud-ouest des Etats-Unis, les monstrueuses petites
motos tricycles "quads" sont utilisées en dépit du bon sens
: monstrueuses, car elles détruisent la couche superficielle des
sols, favorisent l'érosion, et surtout parce qu'elles peuvent pénétrer
partout sur des espaces vierges, dunes ou regs, collines ou plaines. Des
agences de voyages présentent même ce type de circuit (anti-écologique
par… essence !) au Maroc, par exemple. Il existe pourtant des moyens de
se défouler dans le désert avec des sports plus proches de
la nature : le deltaplane, ou le cerf-volant pour ceux qui préfèrent
rester les pieds sur terre.
Nous pourrions créer une sorte d'Organisme International
du Tourisme en Zone Aride, pour que l'on puisse régenter cette forme
particulière de tourisme, et l'aider à financer des projets
pouvant améliorer les conditions d'existence des populations locales
grâce au tourisme, sans mettre en péril l'environnement.
Avant même que les pays concernés aient à
prendre des mesures draconiennes pour stopper la venue de pollueurs d'un
type nouveau, il faut pendre les devants. Les agences qui vivent des déserts
doivent informer leurs clients : ne rien prélever qui puisse compromettre
le fragile équilibre du milieu, respecter les populations locales
et s'adapter à leur mode de vie, même pour une semaine, utiliser
de préférence réchaud à alcool ou bouteille
de gaz plutôt que le combustible végétal si rare et
si précieux pour les nomades, ramasser ses ordures, les brûler
et les rapporter. Je connais même une certaine agence consciencieuse
qui conseille à ses guides sahariens de ramener leurs poubelles
à Paris
Apprenez que tout ce qui est biodégradable chez nous, ne
l'est pas dans le désert : brûlez les papiers, y compris celui
W.C., les mégots, etc, et laissez l'endroit tel que vous souhaitez
le trouver en arrivant : vierge. Les pays arides et les agences qui travaillent
ensemble doivent trouver les moyens de permettre aux voyageurs d'admirer
et d'apprécier les fragiles écosystèmes de la zone
aride, sans qu'il puisse y avoir dégradation ou destruction d'un
milieu.
Pour limiter les facteurs défavorables à l'environnement,
je pense que le minimum de confort lié à un maximum d'information
est la voie à suivre pour le tourisme en zone aride. Comme Edmund
Jaeger, je crois qu'il faut restreindre les voies d'accès pour que
le désert ne puisse ressembler à nos plages. Le désert
doit se mériter. L'eau ne doit pas être fournie sur les sites,
chacun doit l'apporter avec soi, pour en mesurer toute l'importance. Chez
nous, des mécanismes tel qu'ouvrir un robinet, jeter un papier sur
le trottoir, son cendrier par la vitre de sa voiture, sont plus ou moins
conditionnée par la société urbaine. Rien de tout
cela ne doit subsister dans le désert.
Paradoxalement, c'est souvent le sous-développement des
pays qui permet une éthique forcée : pas d'eau, pas de routes,
on fait avec, ou plutôt sans…On se rattrape autrement. Le tourisme
fait vendre ? Au Pérou, les pilleurs de tombes pré-incas
de la région d'Ica et de Nazca laissent derrière eux des
champs jonchés d'ossements humains à perte de vue ; vision
d'apocalypse où l'on a l'étrange impression d'être
arrivé après un cataclysme. Les pillards cherchent parmi
les momies, un objet précieux, des poteries, des bijoux de valeur,
de l'or, tout ce qui peut se monnayer auprès des étrangers
de passage. Les nécropoles sont recouvertes de fragments de tissus,
de cordelettes funéraires, de tresses de cheveux, de tessons de
poteries, et surtout de crânes et de squelettes humains disloqués
qui blanchissent au soleil.
Au Chili, où les pilleurs de tombes sévissent également,
mais sur des cimetières plus modestes : les profanateurs de sépulture
se contentent de décapiter les momies atacamènes pour vendre
les têtes à des touristes en mal d'exotisme. Les chasseurs
de têtes sont toujours en activité…
La protection et la conservation des déserts passent moins
par l'agriculture et l'élevage, que par l'industrialisation et le
tourisme. Car le désert est patrimoine naturel exceptionnel à
conserver coûte que coûte ; chaque parcelle de nature conservée
est une victoire sur nous-mêmes. L'imbrication, la complexité
de nos systèmes socio-économico-politiques sont telles que
le confort matériel dans lequel nous nous enfonçons chaque
jour davantage, fait oublier le confort de l'esprit, l'essence de la réflexion
avant l'action, la conscience avant l'inconscience.
L'homme sortira vainqueur, et grandi de ce combat, lorsqu'il comprendra
enfin qu'il se combat lui-même. Il y a des signes qui ne trompent
pas : en 1981 déjà, dans un pays comme le Chili, la fin d'un
périple cycliste de quelques milliers de kilomètres à
travers le désert d'Atacama fut marquée par un énorme
panneau publicitaire pas très beau, qui ne vantait qu'un seul produit
: l'eau, et qui disait ceci : "Nous vivons en plein désert, où
l'eau est le sang et la vie ; économisez-la, parce que chaque goutte
perdue est la fortune dont vous avez besoin".
Et nous, les êtres humains, si nous ne voulons pas nous
détruire nous-mêmes, devons avoir pour tâche essentielle
de protéger, à défaut de garder intact, tout ce qui
compose ce monde unique, notre planète, vous savez, celle que nous
appelons la Terre
Joël Lodé
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