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"La Grande Aventure des Déserts"
Encyclopédie des Zones Arides par Joël Lodé
solo en francés / only in french

 Copyrights : Joël Lodé
 

Le mot du Pr. Théodore MONOD, Membre de l'Institut

"PREFACE

 Je dois au lecteur un aveu : si j'ai accepté d'écrire quelques mots de préface à cet ouvrage, ce n'est pas que j'en puisse approuver tous les détails ; Joël Lodé refuse la qualité de "désert" aux déserts polaires, mais la reconnaît à la savane arborée "sahélienne" du Kalahari.

 Si par endroit, quelque détail a pu me paraître discutable, peu importe, car il s'agit d'une œuvre originale, nourrie d'observations personnelles qu'un voyageur infatigable a recueillies au cours d'une longue expérience des zones arides ou désertiques.

 Joël Lodé est ainsi devenu un de nos meilleurs spécialistes des pays de la sécheresse, et probablement de leur biologie, car il est avant tout un naturaliste, connaisseur notoire des Cactacées, famille spéciale à très peu de choses près, on le sait, à l'Amérique ; ce qui explique d'ailleurs le grand rôle joué par le Nouveau Monde dans ce livre, et son importance dans la bibliographie de l'ouvrage.

 En bon naturaliste, Joël Lodé s'intéresse à tout ; il tient d'ailleurs, belle merveille, à nous donner les binoms latins des animaux et des plantes qu'il va citer. Il porte visiblement un grand intérêt à la biologie, aux modes de vie, aux adaptations. Le lecteur s'instruira à chaque page.

 S'il fallait tenter de qualifier d'un mot ce volume, je crois que celui d'originalité ferait l'affaire ; l'auteur n'appartient pas à une école, à une tradition, à une institution ; c'est un homme libre, ce qui est une singulière qualité. Il dit ce qu'il a à dire, il raconte ce qu'il a vu, avec un style qui ne manque ni de pittoresque, ni d'humour.

 Il n'est pas douteux que ces pages trouveront un large accueil auprès de tous ceux qui souhaitent mieux connaître et mieux comprendre l'un des systèmes éco-climatiques les plus originaux, et à bien des égards, les plus fascinants de notre planète : les déserts.

Théodore Monod

Cet ouvrage est dédié à Théodore Monod qui a, durant 22 ans, contribué à parfaire mes connaissances du milieu aride.

NB : Pour en faciliter la lecture, la convention choisie et utilisée dans cet ouvrage pour le pluriel des termes techniques, géologiques ou ethniques issus de langues étrangères, dialectes locaux, etc. est le pluriel francisé  : scénarios (et non scénarii), ksars (et non ksour), sifs (et non siouf), Turkanas, Apaches (et non des Turkana, des Apache), etc. Joël Lodé

SOMMAIRE

PREFACE par le Professeur Théodore MONOD, Membre de l'Institut.
PROLOGUE

QU'EST-CE QUE LE DESERT ? 
 • Les limites de l'infini.
 • Des origines à aujourd'hui : vestiges d'une vie intense.
 • Répartition et systématique.

DESERT, UNIVERS DE L'EXTREME
 • Climats : sensations et réalités.
 • Espace en mutation : l'alchimie magique.
 • L'eau, le vent, le minéral : le Grand Brassage.
 • Le paysage au désert : de l'esthétique des formes.
 • Les cours d'eau et grands fleuves des déserts.

DESERT, ESPACE VIVANT
 • L'univers végétal : n'est pas cactus qui veut !
 • Stratégies pour la survie.
 • Parfums et poisons.
 • Le sens de l'harmonie : la biocénose.
 • L'animal au désert : adaptation et comportement.

DES HOMMES AU DESERT
 • Peuplement et modes de vie.
 • Sédentarité et nomadisme : la diversité.
 • Architecture et habitats : mimétisme ou symbiose ?
 • Structures sociales et religieuses.

DECOUVREURS DE DESERTS
 • Un monde fascinant : le désert, source d'inspiration.
 • Premières explorations.
 • Désert passion.
 • Drames, mythes et légendes.

DESERTS AU FUTUR
 • Equilibre écologique : la menace.
 • Le désert en jeu : potentialités et réalités.
 • Désert poubelle ? Préservation des déserts.
 • Son avenir : le désert pour lui-même.

GLOSSAIRE
BIBLIOGRAPHIE
INDEX


PROLOGUE

"Au désert, même le silence est un bruit…"

 Je me réveille brusquement, me relève et tends l'oreille ; pas un souffle de vent, pas la moindre petite brise n'agite l'air. L'arbre le plus proche se trouve à plusieurs kilomètres de l'endroit où j'ai installé le campement. Même pas le plus petit caillou susceptible de se fendre dans ce froid nocturne ; aucun animal ne s'aventure sur le salar, durant la nuit. Souvent, à tenter de déceler un bruit hypothétique, on entend le "silence du désert" : un silence fait de bruits indéfinissables.

 Cette fois, ce n'est pas un produit de l'imagination; J'écoute dans le silence, mes tympans vibrent à faire mal. Un son prolongé, presque inaudible, à la limite de la réalité, lui parvient, plutôt une vibration ; Oui, c'est cela, une vibration ! Un tremblement de terre ! C'est un tremblement de terre ! D'interminables secondes passent, rien ne bouge, ne s'amplifie, ou s'estompe. Seule l'anxiété grandit. Pas d'explication rationnelle à ce bruit sourd qui confine à l'obsession. Les séismes sont fréquents dans le désert d'Atacama : je sentirai la terre trembler à Toconao.

 Mais cette nuit d'angoisse ne m'apporte pas de réponse; le salar est tout proche, crevassé, couvert de polygones d'argile et d'amas déchirés de sels de nitrates, cicatrices desséchées d'un désert qui respire, transpire ou pire, expire… Le désert vit, bouge et parle !

 L'oreille collée dans la poussière, j'écoute le désert. Sous la croûte saline, lors de nuits froides de l'hiver austral en Amérique du sud, la température descend à un point critique, sans aller forcément jusqu'au gel. Alors, les sels humidifiés se contractent, se dissolvent, puis se dilatent, font éclater les argiles, soulèvent les salars : les éléments du sous-sol se fendent, se brisent dans une rumeur caverneuse… Un monstrueux gargouillis : c'est le désert qui digère…

QU'EST-CE QUE LE DESERT ?

• Les limites de l'infini.

 Comment définir l'indéfinissable, comment fixer des limites à ce qui semble l'infini ?
 Les scientifiques (qui ne sont pas "désertologues", nom hybride latino-grec refusé par l'Académie des Sciences, mais qui pourraient à la rigueur être taxés "d'érémitologues" !…*), ont décidé d'utiliser le mot "désert" comme désignant une région péritropicale (avec pour limites nord et sud, les 30èmes parallèles) présentant des signes constants d'aridité (moins de 250 mm de précipitations annuelles) avec, en général, des températures élevées en été, et basses en hiver, une faune et une flore ayant, à quelques différences près, la même converge d'adaptation cryptique, morphologique et physiologique au milieu aride, quelle que soit sa situation géographique.

 Pourtant, si l'on suit cette définition simplifiée, il y a des régions qui portent le nom de "désert", et qui n'en sont pas, et d'autres qui mériteraient ce terme. Ainsi, tel désert nord-américain reçoit 240 mm tous les ans, et tel autre, situé en Amérique du Sud (Atacama, par exemple), n'a "profité" que de 0,6 mm en 17 ans !

 D'ores et déjà, on peut dire que le désert est non seulement caractérisé par la rareté des précipitations, mais surtout, et c'est là, je crois la distinction essentielle, par leur irrégularité, phénomène encore aggravé par l'évaporation. Il faut y ajouter une énorme évapotranspiration, qui réduit la densité végétale et animale, et la conduit à devenir xérophile. Ce déficit hydrologique se traduit par un paysage où le tapis végétal est absent, donc par une raréfaction de la flore et de la faune, et une adaptation spécifique au type de milieu.

 Comme il existe des déserts, il existe également plusieurs explications à la formation de ceux-ci, et une interaction des causes d'aridité conduit à leur diversité. D'une manière générale, la zone aride se situe de part et d'autre de la ceinture équatoriale de basse pression. Liée à la circulation de l'atmosphère, elle-même conditionnée par la rotation de la Terre, la zone dite aride est influencée par les vents alizés qui soufflent en permanence, et qui se réchauffent par compression lorsqu'ils redescendent sur les régions tropicales, en ayant perdu leur humidité.

* Selon courrier de l'Académie des Sciences du 31 mars 1980.
 

 Il ne faut pas négliger le rôle joué par les grandes masses montagneuses du globe sur la formation des déserts, parfois bien au-delà des zones tropicales. Le premier exemple est connu : les vents de mousson humides créent une végétation luxuriante en Asie du Sud-Est, mais sont arrêtés par l'écran géant du massif himalayen. Le vent arrive desséché sur l'autre versant et apporte une des raisons de l'aridité dans une zone de latitude située largement au-dessus du Tropique du Cancer. Les vents glacés en provenance de Sibérie complètent l'action de la chaîne himalayenne, et influencent le climat continental des déserts centrasiatiques.

 Les zones arides sont ainsi souvent "prises en sandwich" ; dans l'hémisphère sud, en Amérique australe, les phénomènes d'écran montagneux ( la Cordillère des Andes) et de courants froids sont combinés. Les vents alizés et le courant équatorial aliment les besoins hydrométriques des forêts équatoriales de l'Afrique et de l'Amazonie (un peu comme la mousson en Asie, mais en sens inverse), mais les nuages chargés d'humidité ne peuvent franchir la Cordillère. Résultat : sur le versant occidental des Andes, création d'une zone désertique, dont l'aridité est aggravée par l'action du courant froid de Humboldt qui, venant de l'Antarctique, fait remonter le désert à la frontière de l'état d'Equateur, donc jusque dans la zone équatoriale (voir carte) !

• Des origines à aujourd'hui : les vestiges d'une vie intense.

 Lorsque les savants disent que le désert n'a pas toujours existé, ils sous-entendent "les déserts à leur place actuelle". En effet, les mouvements des plaques tectoniques qui forment la croûte terrestre déplacent les continents, les modifient, en changent le relief, d'une manière imperceptible, mais inexorable. L'inclinaison de la Terre sur son axe, les réchauffements et refroidissements successifs qui en ont découlé, les déplacements de la croûte terrestre, les phénomènes géologiques et géomorphologiques, tout cela a obligé les zones arides à évoluer.

 Car, je voudrais le souligner, les déserts, dans leur grande majorité, ne se déplacent pas. Selon moi, les mouvements tectoniques mettent seulement une partie de la surface terrestre "à l'intérieur" de la zone géoclimatique d'aridité à un moment donné, moment pouvant durer des millions d'années, en rapport avec la vitesse relative de déplacement des masses en mouvement. Toujours d'après moi, tout déplacement de la croûte terrestre change l'emplacement des zones arides.

 Le climat de la Terre a subi d'importantes modifications selon les périodes géologiques (glaciations, inter-glaciations pourraient être considérées, à l'échelle de l'âge du globe, comme des "accidents climatiques"…), mais la zone géoclimatique elle-même évolue peu ou prou. Sur les deux hémisphères, on note la présence constante d'une "ceinture aride". Ainsi le désert du Sahara devrait évoluer, selon ma propre théorie, à cause du changement progressif de sa position géoclimatique (dérive des continents), et en fonction de l'augmentation ou de la diminution du volume des glaces polaires.

 Il y a environ 18000 ans, l'extension des calottes polaires, qui pourrait être due à une modification de l'inclinaison de la Terre sur son axe, réduit la "ceinture aride" de l'hémisphère nord, et apporte un climat méditerranéen au nord du Sahara. La rétraction de la calotte du Pôle Nord, il y a 12000 ans environ, va plonger le désert saharien dans une période d'extrême aridité, sur une superficie supérieure à l'actuel désert ; puis une augmentation du volume des glaces couvrant l'Antarctique fait remonter la ceinture aride australe vers le nord, apportant une période humide prospère au Sahara. Enfin, il y a 4500 ans, un nouveau réchauffement-rétraction de la calotte du Pôle Sud remet les "choses en place", et le désert avec. C'est ce phénomène qui fait évoluer actuellement la frontière du Sahara plus au sud, et nous en sommes les témoins impuissants…

 La dérive des continents est, toujours à mon avis, l'une des conséquences majeures des évolutions des climats continentaux au cours des temps passés et à venir. "Poussez" la France à la place du Groenland, et le climat subira des modifications à l'évidence. En fait, ce n'est pas le climat qui change, mais la position géographique des plaques terrestres à un moment donné. Ainsi les déserts peuvent-ils coloniser les dépressions, plaines, montagnes, côtes maritimes ou océaniques, les îles, selon leur position géoclimatique. Ils ont évolué localement simplement par la création de barrières orographiques, elles-mêmes créées par la tectonique des plaques.

 Les zones arides ne se contentent donc pas des espaces terrestres. S'agissant d'une position péritropicale, les espaces marins (mer d'Aral en C.E.I par ex.) et océaniques, lagunaires même (Lac Titicaca en Bolivie…) situés dans cette zone sont également arides; la présence d'îles à climat subdésertique ou semi-aride confirme bien cette tendance de l'aridité à occuper une région prédéfinie, qu'elle soit terrestre ou océanique : Galapagos (Amérique du Sud), Canaries (Afrique occidentale), Socotra (Mer d'Oman)…

 Il existe des "déserts" fossiles, comme à Botucatù au sud du Brésil (aujourd'hui 1000 à 2000 mm annuels), ou encore au Vénézuela, régions aujourd'hui à climat tropical humide ou tempéré. Au Tertiaire par exemple, un climat subdésertique s'étendait du Nebraska (Chimney Rock) au Sud-Dakota (Badlands). Les observations et découvertes personnelles que j'ai pu faire dans de nombreuses zones arides démontrent (s'il en était encore besoin !) que les paléoclimats étaient à l'opposé de ce que l'on y connaît à présent : poissons fossiles, restes de Crocodiles et de Tortues Trionyx au Sahara, Coraux et Pectens du Dasht-i-Kévir, en Iran, Echinodermes du Jurassique dans le désert de Thar en Inde, etc. Certains déserts actuels, comme celui du Thar en Inde, se sont trouvés sous les glaces des Pôles durant le Carbonifère (région de Bap), d'autres.ont subi l'effet de transgressions marines, comme le Dasht-i-Kévir, en Iran. Des portions bien localisées des déserts actuels de l'Arizona aux USA, du Sahara algérien, du Simpson en Australie ou de l'Atacama au Chili ont été recouvertes, il y a environ 190 millions d'années, d'immenses forêts, aujourd'hui silicifiées, "pétrifiées".

 Lors du vol de la navette spatiale Columbia en 1981, les photos radar ont permis de déceler sous le sable de la région de Namara en Lybie, la présence d'un gigantesque réseau hydrographique vieux de 35 millions d'années !

• Répartition et Systématique.

 Selon les critères (climatiques, phytogéographiques…) choisis par les spécialistes, le domaine aride recouvre de 18 à 31% de la surface des terres émergées, soit quelque 22 320 000 km2 sans compter les régions polaires.

 Il existe plusieurs types de classement des zones arides. Le classement géographique les subdivise en 6 groupes :
 Amérique du Nord,
 Amérique du Sud,
 Afrique du Nord,
 Afrique du Sud,
 Asie,
 Australie.

C'est évidemment le plus pratique, et cela permet une classification numérique, biogéographique ou climatique plus rationnelle.

 Parmi les autres classifications, on peut citer celle qui sépare les déserts chauds des déserts froids. Précisons que ces derniers n'ont rien à voir avec les "déserts polaires", mais sont liés au fait d'une haute altitude et, ou d'une situation continentale nettement marquée. La classification selon les critères d'aridité (hyperaride, aride, semi-aride, subhumide) est encore très utilisée, mais reste floue, puisque personne n'est vraiment d'accord pour s'entendre sur la définition précise de l'aridité, chacun ayant la sienne propre.

 Le classement selon le degré d'évapotranspiration (Capot-Rey 1951) est encore abstrait, mais la combinaison de tous ces éléments (température, hygrométrie, précipitations, évaporation, climat, durée de sécheresse, etc.), tout en compliquant la tâche des chercheurs, devrait leur permettre d'apporter un semblant de réponse. De fait, les déserts n'ont pas de frontières d'aridité toutes tracées, et là où un désert littoral peut être hyperaride, un désert continental peut se révéler semi-aride.

 Nous allons utiliser le classement géographique dans cette énumération forcément incomplète et très subjective des régions qui portent le nom de steppe ou de désert, sans nous occuper, dans un premier temps, de leur degré d'aridité. L'important est d'abord de bien les situer dans ce que j'appellerai les principales "masses désertiques" du globe. Le désert en général pourrait être considéré comme une famille constituée de divers groupes au sein desquels on trouve des régions bien délimitées, ayant leur propre "identité" : par exemple, la Vallée de la Mort dans le désert de Mojave, en Californie (USA). 

 Il est à noter que les superficies indiquées sont grossières, et n'expriment qu'une des nombreuses interprétations de la surface des zones arides, selon les définitions qu'on leur attribue.

1/ GROUPE AMERIQUE DU NORD (± 1 800 000 km2)

 • Grand Bassin : Monument Valley (Utah), Grand Lac Salé (Utah), Smoke Creek (Nevada), Black Rock (Nevada), Painted Desert (Arizona),
 • Mojave : Death Valley ou Vallée de la Mort (Californie), Amargosa (Nevada),
 • Sonora : Anza-Borrego (Californie), Carrizo (Californie), Manzanilla (Californie), Salton Sea (Californie), Yuma (Californie-Arizona), Gila (Arizona), Tule (Arizona), Lechuguilla (Arizona), Altar (Sonora, Mexique), Grand Desierto (Sonora, Mexique), Vizcaino (Basse-Californie, Mexique),
 • Chihuahua : Nouveau-Mexique, Texas (USA), Bolsòn de Mapimi (Coahuila, Mexique),

 2/ GROUPE AMERIQUE DU SUD (± 1 100 000 km2)

 • Atacama : Tarapaca, Pampa del Tamarugal, Vallée de la Lune (Chili), Lurin, Sechura, Nazca (Pérou),
 • Argentine : Patagonie, Monte, Gran Chaco (Paraguay-Argentine),
 • Bolivie : Salar de Uyuni,
 • Nordeste brésilien : Sertao, Caatinga,
 • Colombie-Vénézuela (zone côtière) : péninsule de la Guajira,

3a/ GROUPE AFRIQUE DU NORD (± 10 000 000 km2)

 • Espagne : Steppe espagnole, Iles Canaries,
 • Sahara : Nubie (Egypte), Désert arabique (Egypte), Sahel (Mauritanie, Mali) Tanezrouft, (Algérie), Ténéré (Niger), Sirte, Oubari, Murzuk, Sarir, Rébiana (Lybie), Bayuda (Soudan),

3b/ GROUPE AFRIQUE DU NORD (EST)

 • Danakil : Ethiopie, Djibouti, 
 • Kenya : Turkana, Chalbi, Kaisut, Steppe Masai,
 • Somalie : Ogaden,

4/ GROUPE AFRIQUE DU SUD (± 600 000 km2)

 • Namib : Damaraland, Kaokoland (Namibie), Mossamedès (Angola), Grand Karoo, Namaqualand (Afrique du Sud)
 • Kalahari : Botswana,
 • Madagascar : Steppe malgache du Sud-Ouest,

5a/ GROUPE ASIE (PROCHE ET MOYEN-ORIENT) (± 3 600 000 km2)

 • Désert d'Arabie : Nefud, Dahna, Rub'al-Khali, El Akhaf, Hedjaz, Nedjed (Arabie Saoudite), Hadramaout (Yémen),
 • Désert de Syrie : Chamiyé (Syrie), Neguev, Judée (Israël), Sinai (Egypte), Iraq, Jordanie,
 • Turquie : Steppe d'Anatolie,
 • Désert d'Iran : Dasht-i-Kévir, Dasht-i-Lout, Kirman, Baloutchistan (Iran-Pakistan),
 • Afghanistan : Dasht-i-Margo, Leili, Naomid (Iran-Afghanistan),
 • Grand Désert Indien : Thar (Inde), Sind, Cholistan, Thal, Thalab (Pakistan), 

5b/ GROUPE ASIE (ASIE MOYENNE ET CENTRALE) (±2 420 000 km2)

 • C.E.I. (ex URSS) : Karakum (Turkménistan), Kyzylkum (Ouzbékistan), Turkestan, Chilmadekkum (Turkestan), Karynzharyk, Steppe de Karchinska, Steppe de Mugan, Steppe de Shirvan, Steppes de la faim (Kazakhstan), Steppe de Nogai,
 • Chine : Takla-Makan, Gobi (Chine-Mongolie), Ordos, Pei-Shan, Ala-Shan, Plateau du Tibet, Tsaïdam, Dzoungarie),

6/ GROUPE AUSTRALIE (± 3 400 000 km2)

 • Grand Désert de Sable : Tanami, Canning,
 • Gibson,
 • Simpson : Sturt Stony Desert,
 • Great Victoria Desert : Nullarbor Plain, Ninety-Mile Desert,

7/ GROUPE REGIONS POLAIRES

 Bien qu'il ne m'agrée pas, pour des raisons essentiellement biogéographiques et climatiques, de classifier les régions polaires parmi les déserts, je ne puis néanmoins les passer sous silence :

 • Zone arctique : Groenland (et dans une certaine mesure, l'Islande),
 • Continent antarctique : Vallées sèches.

 Cette liste n'est pas limitative, et il existe certainement d'autres lieux géographiques faisant référence à une certaine aridité : la Sierra de Guara en Espagne, et même la Corse (désert des Agriates) !

*
DESERT, UNIVERS DE L'EXTREME.

• Climats : sensations et réalités.

 Il m'est souvent arrivé de trouver mon véhicule (un vélo…) couvert de givre au petit matin. Dans le désert de Gibson, l'hiver austral peut réserver ce genre de surprise. Plus commune, mais toujours surprenante, la rosée n'est pas absente des zones arides, et le désert côtier péruvien a imprégné plus d'une fois ma toile de tente d'une fraîche condensation.

 Cette eau, visible sous forme de givre ou de rosée, ne peut être enregistrée par les pluviomètres ; pourtant, dans certaines régions arides, notamment côtières, elle correspond à un supplément minimum estimé de 40 mm, allant jusqu'à 250 mm d'eau annuels ! Elle apparaît à la fin de la nuit, et se condense lorsque l'humidité atmosphérique est élevée, et que la température est encore relativement basse. Paradoxalement, dans les contrées plus humides, cette rosée n'est pas toujours présente, car la température ne descend pas suffisamment pendant la nuit.

 Pour cette raison, on peut concevoir des cultures au ras du sol (tomates, melons, courgettes, pastèques…) dans une région aride où il n'y a pratiquement pas de pluie, uniquement par l'utilisation rationnelle de la rosée. D'ailleurs, et nous le verrons plus tard, la végétation locale s'est adaptée à des endroits où la pluviométrie est erratique, sinon nulle : Tillandsia du désert de Lurin au Pérou, Copiapoa du désert d'Atacama au Chili, Welwitschia mirabilis du Namib, etc.

 L'humidité est surtout présente dans les déserts littoraux, là où l'aridité est provoquée (entre autres) par la présence de courants froids : le Sahara côte ouest, l'Atacama au Chili, Le Namib en Namibie, l'Australie occidentale, la Basse-Californie au Mexique, la Patagonie en Argentine… Ce phénomène a même un nom au Pérou (la Garùa) et au Chili (la Camanchaca).

 En 1976, au mois de juillet, dans le désert de Mojave, en Californie, la chaleur est infernale. Pourtant des nuages lourds et noirs annoncent une pluie certaine. La pluie tombe effectivement, sans arriver jusqu'au sol ; les gouttes sont évaporées avant d'atteindre le sol surchauffé. En 1993, d'autres nuages arrivent sur les contreforts des monts Amargosa qui limitent la Vallée de la Mort ; en quelques secondes, ces nuages s'évaporent sous les yeux ébahis des témoins, et disparaissent du ciel sans avoir pu approcher la terrible Vallée. En février 1988, dans ce même désert californien, les précipitations réussissent à toucher le sol, mais sous forme d'une épaisse couche de neige !

 Il ne suffit donc pas que l'eau tombe, encore faut-il que de nombreuses conditions météorologiques favorables soient réunies pour que le désert puisse en profiter…

"Le désert donne la fièvre à ceux qui veulent prendre sa température !"

 Il subsiste dans l'esprit de la plupart des gens, une image tenace : dans les déserts (et l'on pense au Sahara), il fait chaud le jour, et froid la nuit. La persistance de cette affirmation tient sans doute au fait que la majeure partie des voyages et expéditions s'effectue durant le court hiver saharien. Pour ceux qui l'ont vécue, cette sensation est créée par le phénomène nycthéméral d'amplitude thermique et, ou à l'altitude. Le tourisme désertivore hivernal tend à conforter cette image. La réalité est tout autre…

 Au mois d'août 1966 à Béchar (Algérie), malgré les climatiseurs, nous devions supporter une température nocturne de plus de 30°C. Lors de la traversée du désert de Yuma (Arizona) en juillet 1979, la chaleur diurne est insupportable (+53°C max. abs.), l'eau de ma réserve atteint +35°C. La nuit ne sera ni fraîche, ni réparatrice, mais blanche et brûlante : +36°C. Un autre relevé, communiqué par M. Mainguet en 1989 : le 29 juillet à Adrar (Mauritanie), la température est de +49°C. Durant la nuit, elle parviendra à descendre à un minimum de…+28°C !

 Eh oui ! La majeure partie de l'année, dans les déserts péritropicaux, c'est l'été : il y fait très chaud le jour, et encore très chaud la nuit (exception faite des déserts d'altitude, évidemment…). Les températures diurnes ou nocturnes que l'on y relève sont souvent éloignées de nos "impressions", qui ne reflètent pas forcément une réalité climatique. Après avoir supporté des -50°C, les Inuits (Esquimaux) doivent trouver des -20°C. bien agréables…

 On peut donc affirmer qu'il existe des amplitudes thermiques très variables, mais pas plus importantes dans les régions arides que dans les zones tempérées. Théodore Monod cite l'exemple d'une amplitude maxima absolue* de 61.3°C pour Tindouf (Algérie), et de 63.2°C pour… Lyon (France !).
 

* (différence entre le maximum le plus élevé et le minimum le plus bas calculé sur plusieurs années).

 Bien sûr, il existe des microclimats très localisés, et des impressions basées sur une certaine réalité. Combien de fois me suis-je amusé, en pleine chaleur méridienne, à creuser dans la dune une litière de quelques centimètres de profondeur, et me glisser dans sa fraîcheur relative avec délices… Les sables sont très mauvais conducteurs de la chaleur, et seules les couches superficielles sont surchauffées. Ce phénomène est aggravé par le fait qu'il n'existe aucun écran nuageux ou végétal pour freiner les radiations. Pour les mêmes raisons, cette chaleur diurne disparaît rapidement après le coucher du soleil.

 Plusieurs nuits passées dans l'erg Mehedjebat (Algérie) sont glaciales en plein hiver, proches du 0°C, avec une hygrométrie quasiment nulle (pas de condensation relevée). Le même camp installé quelques nuits plus tard près du canyon de Tim Meskis au pied d'une falaise ne donnera pas les mêmes sensations. Le sac de couchage posé sur une énorme dalle de grès, une douce tiédeur m'a envahi pratiquement toute la nuit. Sur les hamadas, au pied des tassilis, la radiation est identique, mais le rayonnement (albedo) et la réflexion diffusent plus lentement les calories pendant au moins une bonne partie de la nuit. La roche forme une couche naturellement thermo-isolante.

 L'air au désert n'a pas partout la même densité et la même température ; les dépressions thermiques se forment généralement au-dessus de régions très chaudes. Les tourbillons de poussière ("willy-willy" en Australie, par ex.) ne sont rien d'autre que de petites dépressions thermiques très localisées.

 Les mirages sont la conséquence de ces masses d'air de densités et de températures inégales. Les couches d'air surchauffées sont concentrées au ras du sol et "comprimées" par des masses d'air froid, plus denses, provoquant la réfraction de la lumière. L'air chaud infléchit les rayons lumineux, et reflète une portion du ciel, qui donne l'impression d'une étendue d'eau ; cette impression est renforcée par le mouvement de l'air chaud qui vibre.

 Des images plus complexes peuvent se former et faire apparaître des arbres, un village là où il n'y a rien. Le phénomène du mirage est amplifié par ce que l'on pourrait appeler une double formation en "périscope". Ainsi, un village caché par un relief pourra, si le "périscope" se forme en avant de la colline, donner une image redressés, très déformée, et offrir le spectacle d'une oasis factice (ou du moins à l'endroit où on l'observe).

• Espace en mutation : l'alchimie magique.

 Comme il existe des forêts pluviales, décidues, taïgas, forêts tropicales, savanes, forêts à feuilles sclérophylles, mangroves, forêts steppiques, nébuleuses, forêt-galeries etc., les déserts peuvent revêtir différents aspects, essentiellement liés à leur position géoclimatique. D'une extrême à l'autre, l'une des classifications possibles est la suivante : désert vrai (hyperaride), désert atténué (aride, semi-aride), steppe, savane (subhumide), maquis, prairie….

 Les types de déserts climato-géographiques les plus représentatifs sont les déserts dits "chauds", comme le Sonora au Mexique, les déserts dits "froids" (avec une très forte amplitude thermique en hiver) comme le Gobi en Mongolie, les déserts continentaux, comme le Takla-Makan en Chine, et les déserts côtiers (ou littoraux), comme le Namib en Namibie.

 L'aspect minéral du désert est celui qui, immédiatement, frappe l'œil (ou l'imagination) du voyageur : une immensité pétrée, revêtant des formes variées, sablonneuses, graveleuses, argileuses, rocailleuses, salines, au relief uniforme ou tourmenté, à l'infini.

 Ces formes ont toutes une origine géologique. L'étude des sols (ou pédologie) en rapport avec le climat et la végétation, permet de constater que l'origine du relief actuel est essentiellement d'ordre mécanique, les agents chimiques ne pouvant agir efficacement qu'en présence d'eau. Le vent et l'amplitude thermique vont être les facteurs déterminants du modelé du paysage désertique et de son évolution.

 Au Sahara surtout, on remarque en tous points des sables en train de se consolider : nous voyons naître des grès. Ailleurs, ce sont d'anciens grès qui se désagrègent et redeviennent des sables. Le matériau primaire des dunes se reconstitue ; le désert est un perpétuel recommencement.

• L'eau, le vent, le minéral : le Grand Brassage.

 Différents types d'érosion agissent sur le paysage des déserts. Les agents atmosphériques remarquables par leur action sont l'eau et le vent… L'érosion pluviale est rare, souvent violente, toujours marquée par le délavement des roches, et son action est plus destructrice que bienfaitrices. De plus, un sol dénudé, parfois si dur qu'il paraît bétonné par les sécheresses successives, accroit la puissance de l'eau qui ruisselle, devenant vite torrentielle lorsqu'elle dévale les canyons, emportant tout sur son passage, minéral, végétal, animal, et même humain dans des inondations spectaculaires. Pour les habitants du désert, il est malheureusement plus fréquent d'y mourir noyé que d'y mourir de soif.

 Dans le désert Turkana, au Nord-Ouest du Kenya en septembre 1983, la saison sèche perdure. Des nuages d'orage s'installent sur les collines avoisinantes. Un véritable mur d'eau s'avance, le noir des nuages provoque l'occultation du soleil. Juste le temps de sortir d'un gué, et des trombes d'eau s'abattent ; en 20 minutes, la rivière qui n'était qu'un maigre filet d'eau stagnante devient un torrent arrachant tout sur son passage. La tourmente s'éloigne, mais les eaux dévastatrices, ne rencontrant que peu d'obstacles, continuent à dévaler les collines, prenant de la force avec la vitesse d'écoulement. La rivière déborde de son lit, devient un fleuve en furie ; les eaux limoneuses bouillonnent dans un tumulte grandissant, un bruit assourdissant, charriant des arbustes et des branches d'acacias, et la piste elle-même, détrempée, n'est plus qu'un fleuve de boue.

 Au petit matin, le sol devenu spongieux, a presque tout absorbé !…

 Le désert est le pays où l'eau se démesure : toujours trop peu, ou simplement trop !

• Erosions.

 Qui peut, mieux que le vent, exprimer le mouvement du désert ? L'érosion éolienne fabrique les cailloutis et les étendues de sable, un peu comme le robinet qui goutte, et finit par remplir la baignoire. L'insignifiant crée le gigantesque ; le vent érode, abrase, éparpille, trie, déplace chaque grain, le polit, l'utilise comme de la toile émeri ou du papier de verre pour user les montagnes, adoucir les rochers, leur donnant ce "vernis éolien".

 Le vent est omniprésent : il joue avec la matière, usant les esprits forts, exténuant les corps. Nous savons quelque chose de ce vent si puissant qu'il apporte du Sahara jusque dans nos contrées grises et pluvieuses, et par dizaines de millions de tonnes, de la poussière de sable qui se dépose quelquefois en France ou ailleurs, transformant nos voitures en véhicules sahariens. Le loess fertile de la Chine n'aurait pas d'autre origine que le désert de Gobi.

 En 1982, un nuage de 1500 km de longueur, observé par satellite et provenant du Sahara, arriva jusqu'en Floride (USA), où il déposa de telles quantités de poussière de sable qu'il augmenta considérablement (et d'une manière pourtant naturelle…) le taux de pollution ! Ce sont, d'après les spécialistes, 1 million de tonnes qui se déplacent ainsi chaque année sur l'Europe, 50 millions de tonnes par an sur le monde !…

 L'importance de ces vents, autant en puissance qu'en durée, a conduit l'homme à leur donner presque une âme, en les nommant : sirocco, ghibli, harmattan, chubasco, khamsin, simoun, bergwind, etc.

 Les grandes variations de températures dues à une forte amplitude thermique entre le jour et la nuit font apparaître un phénomène de thermoclastie ; selon que la roche est plus ou moins foncée, plus ou moins dense, l'absorption des calories sera plus ou moins importante. Les roches se fissurent, les galets éclatent, puis finissent par se désagréger. Aujourd'hui, on tend à minimiser l'action de la thermoclastie au bénéfice des agents principaux, la cryoclastie et la haloclastie.

 En présence d'humidité, de rosée, subissant une alternance "humectation-dessication" en étant constamment imbibés puis desséchés, les sels minéraux viennent cristalliser à la surface, colorant les roches, leur donnant ce qu'on appelle une patine : c'est l'action de l'hydroclastie.

 Une altération physique des roches conduit à la cryoclastie : l'action extrêmement puissante du gel provoque la cassure, l'éclatement et la destruction rapide de blocs importants. Dans le désert côtier de Lurin, au Pérou, j'ai pu constater un type d'érosion caractéristique des déserts littoraux, la haloclastie ; les galets sont humectés de solution saline, se fracturent et finissent par se désagréger.

 Grâce à une très faible hygrométrie, les régions arides permettent la conservation de minéraux à formule hydratée, comme l'opale (Mexique, Australie…), la turquoise (Iran, USA…), la copiapite et la coquimbite (Chili). Les analogies minéralogiques dues au milieu : pétrole, bois silicifié… sont en rapport avec les paléoclimats qui se sont succédés, et leur évolution. L'aspect économique des minéraux est loin d'être négligé, et l'homme exploite (bien souvent au-delà du raisonnable…) les ressources géologiques des zones arides.

 Le paysage du désert semble immuable, mais il se modifie. Le vent crée la déflation, balayant les débris les plus fins, qui viennent attaquer les cailloux des plaines et provoquent sur eux la corrasion par abrasion, laissant sur les hamadas de gros blocs rocheux bien polis et débarrassés des plus fines particules minérales. Il ne se trouve pas un seul désert d'où je n'aie rapporté quelques jolis cailloux à facettes (dreikanters), polis, modelés par les grains de sable et le vent.

 Ainsi se forment, dans une alchimie de matières et d'obstacles, les paysages fantastiques des zones arides : les ergs sont fait de l'accumulation des sables dunaires, le reg est constitué du pavage de blocs de pierres plus ou moins grossier. La hamada, dalle gigantesque ou carapace d'un plateau rocheux, est un autre paysage typique du désert. Lacs salés, sols latéritiques, polygones d'argile, etc. font aussi partie du panorama des régions arides.

• Le paysage au désert : de l'esthétique des formes.

 Le désert façonne ses paysages propres, dans une morphogenèse extrêmement lente, toutefois plus rapide durant les phases climatiques humides. le relief se crée selon la dureté des roches (érosion différentielle), édifiant des inselbergs, mesetas ou canyons… Fréquents, les accidents tectoniques provoquent des failles et des plissements : la Vallée du Rift, en Afrique orientale, la faille de San Andreas en Californie, sont des exemples remarquables des mouvements tectoniques qui animent la surface du globe.

 L'un des aspects les plus spectaculaires est le volcanisme, actif ou éteint ; en Ethiopie, dans le désert de Danakil, une dépression abrite le volcan Erta'ale, d'où fusionne perpétuellement un lac de lave. En Algérie, dans le Hoggar, c'est à l'ère Tertiaire (Cénozoïque) que le volcanisme dépose, dans un premier temps des laves fluides (basaltes) ; puis des culots de lave visqueuse (phonolithes, trachytes) bouchent les cheminées qui, par érosion différentielle, finissent par être dégagées en dômes ou en aiguilles, donnant le relief typique du Massif de l'Atakor. Formation identique pour Agathla Peak, en Arizona, à proximité de Monument Valley…

 Dans une période géologique très récente, il y a environ 1000 ans, un magnifique cratère d'explosion s'est formé sur les hauteurs enserrant la Vallée de la Mort en Californie ; une violente déflagration de gaz a entrainé une pluie de cendres, créant le paysage surréaliste de Ubehebe Crater.

 Présents sur toute la Terre, les impacts météoritiques sont particulièrement bien conservés dans les zones arides. Le plus célèbre d'entre eux, à défaut d'être le plus grand, est Meteor Crater, dans le désert d'Arizona, avec 1300 m de diamètre. Il y a 22000 ans environ, un gigantesque météore de 2 millions de tonnes déchira le ciel, et à une vitesse estimée à 70000 km/h, percuta le sol. Le choc fut si terrible que toute vie animale et végétale fut anéantie dans un rayon de 160 km, et que les grès choqués, changèrent de forme, et donnèrent un nouveau minéral, la cœsite.

 Il existe également des cratères d'origine météoritique en Australie, entre Alice Springs et Ayers Rock. Quant à la météorite de Chinguetti en Mauritanie, on a dû convenir qu'il sagissait en fait d'une butte de roches sédimentaires n'ayant aucun rapport avec un quelconque cratère d'impact ou d'explosion.

• Le vent : un architecte plus qu'un destructeur.

 Combinée ou non à l'érosion pluviale, l'érosion éolienne édifie de suberbes ouvrages d'art ; buttes-témoins (Monument Valley en Utah, USA), pinacles (Sahara algérien, désert australien), champignons (Ennedi, Tchad), yardangs (désert du Lout en Iran), cheminées de fées (Nouveau-Mexique, USA), arches (Utah, USA), etc.

 Les formations dunaires qui jouent si bien avec le vent, sont tellement complexes qu'elles donnent libre cours à une pléthore de termes pour définir chacune d'elles : erg (ensemble de dunes), ghourd (massif dunaire en forme de pyramide ou d'étoile), barkhane (dune en croissant), nebka (microdune créée par la végétation), aklé (dunes parallèles, comme celles du désert de Simpson en Australie), draa (chaîne montagneuse composée de dunes), etc !

• Les cours d'eau et grands fleuves des déserts.

 L'étude orographique des zones arides et semi-arides oblige à constater des traces anciennes, voire récentes de la présence de l'eau courante. Une grande partie du réseau hydrographique a une activité réduite et souterraine. Ces sous-écoulements sont repérables grâce à la végétation arbustive qui les suit d'une manière apparemment erratique. De nombreux cônes alluvionnaires (cônes de déjection) attestent de la puissance torrentielle des eaux courantes de surface à une époque passée, donnant même l'impression de crues fréquentes.

 Vallées et montagnes, glacis, piémonts, restituent assez bien l'ambiance d'un passé hydrogéologique ; les réseaux exoréiques, qui débouchent vers la mer, ont un tracé souvent tortueux (Colorado aux USA, Rio Sao Francisco au Brésil…), et sont une présence quasi-miraculeuse pour l'homme (le Tigre, l'Euphrate en Iraq, le Rio Grande entre le Mexique et les USA…), devenant même le lieu de culte de toute une civilisation (Jourdain en Israël, Nil en Egypte, Indus au Pakistan…).

 Mais les fleuves des déserts n'arrivent pas tous, loin s'en faut, à rejoindre les océans. L'endoréisme de ces cours d'eau (Copper Creek en Australie, par ex.) les amène fatalement à des dépressions fermées (sebkhas, playas, kévirs, chotts, bolsones…) où l'eau se perd par infiltration et évaporation. La remontée des sels minéraux et leur concentration par évaporation de l'eau crée des sols sursaturés, lieux impropres à l'installation de la plupart des espèces végétales et animales, sauf pour celles qui sont halophiles ou gypsophiles.

 L'arrivée des pluies provoque, on l'a vu, une abondance de crues, et les lits secs des rivières sont vite submergés. A cours d'eau périodique, on préférera le terme de cours d'eau temporaire, car leur apparition et leur débit sont plus qu'irréguliers, et cela ne dure jamais bien longtemps. Là aussi, on dispose d'un vocabulaire riche et varié selon les régions arides pour définir ce type de cours d'eau : arroyos (Mexique), oueds (Afrique du Nord), wadis (Proche-Orient), creeks (Australie)…

 Avant que l'eau ne se retire tout à fait, il peut subsister en quelques points, des mares, voire des lacs : garas, dayas, gueltas… Douces, saumâtres ou franchement salées, ces eaux s'infiltrent dans les profondeurs des sols, ou finissent par se transformer par évaporation en lacs salés, salars (Amérique latine), lagunas (Mexique), solontchaks, solonetz (CEI), sebkhas (Sahara), kévirs (Iran), harhas (Syrie), pans (Afrique australe), sais (Gobi), laagtes (Kalahari)…

 L'eau qui disparaît si rapidement en sous-sol donne à penser qu'en profondeur, de nombreuses nappes phréatiques doivent subsister. certaines sont en effet à 3 ou 4 m de profondeur ; on en trouve d'autres à 90 m de la surface (désert du Kalahari, Botswana). A 2000 m et plus, des nappes d'eau fossile, parfois de véritables lacs souterrains, sont emprisonnés depuis des milliers d'année (Oregon aux USA, Lybie, etc.). Ces nappes ont souvent été découvertes à la faveur de recherches pétrolières. On ne sait pas dans quelle mesure elles sont complètement fossiles, et on espère qu'elles soient alimentées, d'une manière ou d'une autre, ce qui paraît pour l'instant assez peu probable. L'utilisation de l'eau par l'homme fera l'objet d'un chapitre tout particulier…

DESERT, ESPACE VIVANT.

 Voilà un chapitre, pourrait-on penser, sur lequel on ne s'étendra pas. Quoi dire de la flore, sinon qu'elle est rare ? Evidemment, si l'on consacrait un ouvrage aux seuls déserts vrais, où l'hyperaridité règne en quasi permanence, l'étude biologique serait triste et rapide, et n'aurait qu'un intérêt limité à quelques rares espèces d'insectes et de bactéries… Mais est-ce bien intéressant d'écrire un livre sur les déserts "vrais", si c'est pour dire que la vie y est pratiquement absente ?…

 Un premier paradoxe : le grand désert du Sahara possède à lui seul plus de 1200 espèces de plantes à fleurs. En fait, le nombre d'espèce ne veut pas dire grand-chose si l'on ne considère pas également la superficie d'occupation. Peut-on comparer la Vallée de la Mort (1000 espèces pour 4800 km2, soit ± 20 espèces/km2) au Sahara (1200 espèces pour 10 000 000 km2, soit ± 0,00012/km2) ? Ces chiffres abstraits sont néanmoins le reflet d'une certaine réalité de la distribution phytogéographique. L'étude de la flore des zones arides et semi-arides fait apparaître une grande diversité, plus marquée dans les zones "tampons" (écotones) subhumides. Notons tout de même l'irrégularité de la distribution végétale.

 L'étude des paléoclimats fait intervenir entre autres, celle des fossiles (paléobotanique) et celle des pollens (palynologie). Les fossiles végétaux, comme les nombreux troncs silicifiés du Trias (tous les déserts en recèlent) ont entre 190 et 225 millions d'années, et nous donnent une indication assez précise des anciens climats qui régnaient au début du Secondaire (Mésozoïque). Les forêts pétrifiées d'Arizona (USA), d'Aoulef (Sahara algérien), d'Aurus (Namibie), de l'Atacama (Chili), Coober Pedy (Australie) ou Chamdan (désert de Thar, Inde) reflètent une troublante analogie chrono-climatique.

 La palynologie n'apporte que peu de réponses, parce que les sédiments lacustres ou tourbeux contenant des pollens semblent extrêmement rares. Des  prospections sont encore à faire dans ce domaine*…

 Des flores relictes, véritables fossiles vivants, existent encore dans des régions très localisées (Oliviers et Cyprès du Tassili et du Hoggar au Sahara, par ex.) aux micro-climats menacés. Les espèces végétales présentes au désert, mises à part celles qui vivent dans des micro-climats humides (oasis par ex.), sont adaptées ou en cours d'adaptation au milieu.

* Suzanne Dupont, UER Nantes, Com. pers. du 4 mars 1982.

• L'univers végétal : n'est pas cactus qui veut !

 Il y a plusieurs dizaines de millions d'années, les plantes des déserts d'aujourd'hui se trouvaient pour leur majeure partie, en zone tropicale humide, et composaient une végétation luxuriante. Peu à peu, le climat change, imperceptiblement, mais inexorablement ; certaines régions voient leur régime de pluies diminuer, les précipitations devenir exceptionnelles. Lentement, au cours de centaines de milliers d'années, le paradis tropical va se transformer en un enfer : le désert…

 Heureusement, le temps et l'évolution vont permettre aux plantes (aux animaux et à l'homme…) de supporter ces transformations du milieu humide en milieu aride : les plantes annuelles comme les pérennes, les arbres comme les herbes. Et à chacune leur méthode !

 L'adaptation des plantes à un milieu aride (ou humide, ou froid…) semble avoir été d'abord une sélection naturelle des individus résistants aux changements de climat, même subits, suivie par une adaptation sélective, éliminant des genres ne pouvant plus s'adapter à un nouveau type de climat.

 Lors de l'hiver 1985 à Nantes en Loire-Atlantique, le gel et surtout l'humidité ont détruit les 2/3 de ma collection de plantes succulentes en serre froide (et non maintenue hors-gel) : la température maximale extérieure était tombée à -17°C, et l'intérieur de la serre accusait un minimum de -9°C. Seuls les jeunes semis, les plantules (toutes espèces et provenances confondues) résistèrent à ces basses températures temporaires, et permirent la régénération de la quasi-totalité de la collection.

 Les plantes arrivées à un tel degré d'adaptation, les plantes "récentes", apparues vers la fin du Tertiaire, début du Quaternaire, comme les Cactacées, les Orchidacées (ce qui correspond d'ailleurs à l'installation géoclimatique des déserts d'aujourd'hui), paraissent si évoluées, qu'un brutal changement  des conditions climatiques peut les faire disparaître.

 En fait le constat de régénération des populations après des conditions adverses mortelles pour des plantes adultes, démontre que ces végétaux "supérieurs" n'ont pas terminé leur évolution, et pourraient semble-t-il (par mutation ou autre…) s'adapter à de nouveaux climats. A condition que l'homme n'interfère pas avec ces conditions : le défrichage, la déforestation, le brûlis, le pâturage, etc.

 Evidemment, des périodes prolongées de sécheresse peuvent faire disparaître des flores entières, des associations végétales complexes. A cause de ces fluctuations extrêmes, il est probable qu'à un certain degré, l'élimination naturelle de certaines espèces inadaptées est irréversible (phénomène global d'évolution biologique de la planète), et que la recolonisation de ces régions, si elle est possible, ne se fera pas avant de longues périodes géologiques, et à la seule condition (plus qu'hypothétique !) que l'homme n'intervienne pas…

• Stratégies pour la survie.

 Bien avant qu'ils ne soient exposés aux "ceintures arides", les végétaux ont commencé à combattre la sécheresse et la chaleur par des moyens spécifiques ; mais la lutte n'offre qu'une alternative : échapper à l'aridité ou résister. Autrement dit, nous allons trouver des "déserteurs" et des "résistants" dans la "guerre du désert"…

 Les premiers ont pris ce qui semble la meilleure et la plus simple des solutions : échapper à l'aridité. cela n'implique pas des moyens extraordinaires pour lutter contre l'adversité, la seule adaptations, car c'en est une, étant de rester dans le sol à l'état de graines, "espérant" la prochaine ondée qui permet, si elle est suffisante, de provoquer la germination, puis la floraison, donc le chemin vers la reproduction. certaines plantes annuelles sont en effet capables d'attendre plusieurs années de suite, sans dommages pour les graines, la pluie salvatrice qui les fera germer. le tégument est suffisamment épais pour les protéger de la dessication. Par exemple, le cycle de reproduction d'une plante saharienne est si court que, de sa naissance à la production de graines, il s'écoule une semaine. Une véritable course contre la montre !

 Grâce à un système de vis sans fin dont le fonctionnement est lié à l'hygrométrie, certaines graines s'enterrent en se vissant dans le sol, comme l'Aristida des déserts australiens, ou les Pelargonium d'Afrique australe ! Les fruits des Mésembryanthémacées d'Afrique du Sud sont des capsules à loges capables de libérer leurs graines uniquement en fonction des précipitations.

 D'autres essayent de mettre toutes les chances de leur côté en voyageant : c'est le vent qui dissémine les graines volantes des Composées, Asclépiadacées ou Apocynacées. Les minuscules graines d'une Portulacacée succulente, Calandrinia, sont parfois transportées par les oiseaux (qui sont friands des feuilles charnues) dans leurs plumes ! Celles des fruits de nombreux cactus seront évacuées dans leurs excréments. La Tourterelle à ailes blanches (Zenaida asiatica), permet ainsi la propagation des graines de Carnegiea gigantea, le cierge géant d'Arizona.

 En fait, il est souvent nécessaire, voire indispensable pour de nombreuses graines, de subir ce traitement, car leur tégument protecteur est tellement épais qu'il a besoin d'être passé au laminoir des systèmes digestifs de la faune locale. Adansonia digitata, le baobab africain, doit sa survie aux chauve-souris qui le fécondent, mais aussi aux Babouins (Papio cynocephalus) qui sont friands de ses fruits, et dont les graines dispersées dans leurs excréments, trouvent là un excellent terrain nutritif pour germer !

• Cactus : une vie de chameau !

 Lorsque l'on évoque les cactus, on aborde les "résistants" du désert, les plantes qui ont dû s'adapter pour survivre durant les longues périodes de sécheresse que connaissent les zones arides. D'ailleurs, les Cactées ne sont pas seules capables d'un tel exploit, mais aussi de nombreuses autres plantes succulentes (pleines de suc, c'est-à-dire de réserves d'eau et de nourriture).

 Certaines possèdent des graines voyageuses ; ainsi, les capsules des Euphorbes africaines explosent littéralement pour libérer leurs graines, et les minuscules cactées brésiliennes Fraileaont des graines suffisamment grandes et légères pour se disperser lors des inondations temporaires de l'été austral !

 Les semences de végétaux nés dans les déserts, et vivant en symbiose permanente avec leur milieu, sont capables d'une très grande longévité, conservant durant plusieurs années (jusqu'à 23 ans pour Sclerocactus) leurs facultés germinatives. Cela assure à ces plantes d'être disséminées à des dizaines, voire des centaines de kilomètres de distance, et leur descendance est susceptible d'attendre un temps suffisamment long avant que les conditions requises pour une germination assurée et viable soient réunies : de l'eau, de l'ombre, l'endroit idéal.

 Certaines cactées comme Ferocactus ou Carnegiea peuvent conserver un pouvoir germinatif de plusieurs années. Mes propres expériences sur des graines de ces espèces m'ont permis de constater qu'elles pouvaient fort bien germer sept ans après leur récolte. Il est probable que dans la nature hostile qui les a engendrées, ce temps doit être encore plus long.

 L'une des plus extraordinaires adaptations est celle des plantes capables d'emmagasiner des réserves d'eau dans leurs cellules durant la saison humide, et d'en vivre pendant la saison sèche, tout en se protégeant de la chaleur, de la sécheresse, du soleil et des animaux. Beaucoup d'entre elles vont accomplir de véritables miracles…

 Le désert d'Atacama en Amérique du Sud, est considéré comme le plus sec du monde ; au Pérou et au Chili, dans certaines régions, il n'a pas plus durant 30 années. Pourtant, dans la Cordillère des Andes, à plus de 3800 m d'altitude, vivent des plantes et des insectes ; les arbres ont souvent plusieurs siècles, mais l'aridité et l'altitude élevée les ont condamnés à rester les nains les plus hauts du monde ! Ils sont par la force des choses, devenu de petits "bonsais" naturels.

 Il fait également très froid sur les hauts-plateaux andins, et le genre Tephrocactus a trouvé une parade "géniale" à cette agression : la viscosité de la sève, les pertes en eau durant les périodes de sécheresse, et surtout, la très faible hygrométrie de ces déserts (3% ou moins dans le désert d'Atacama au Chili !) permettent d'abaisser le seuil de gel des tissus végétaux. Et non seulement il supporte les grands froids secs, mais il en a besoin ! En effet, les graines de Tephrocactus doivent subir une vernalisation, une période de gel intense pour pouvoir germer !  On s'adapte à tout, même au pire…

• Il y en a qui sont dans le brouillard, et il y en a qui réfléchissent…

 Une Broméliacée (famille de l'Ananas), Tillandsia, se contente de la garùa, brouillard côtier péruvien, en absorbant , et surtout en condensant l'humidité de l'air sur ses feuilles : 30 ans sans pluie, cela ne veut pas dire 30 ans sans eau ! Cette eau précieuse, on la capte, on la synthétise, on la concentre et on la garde. Tant pis pour ceux qui ne savent pas se débrouiller ! Celles-là vivent dans le brouillard, ne boivent que de l'eau, et s'en portent très bien !

 Sur la côte désertique de la Basse-Californie au Mexique, accrochée à des falaises, une Crassulacée, Dudleya pulverulenta, est couverte d'une pruine cireuse blanche comme de la craie, hydrofuge, c'est-à-dire qui chasse l'eau ! C'est donc la condensation de l'humidité de l'air qui va glisser sur les feuilles et nourrir la plante à sa base, le trop plein d'eau étant évacué par la pente. La pruine a surtout pour effet de réfléchir les rayons du soleil sur un épiderme qui n'est protégé par aucune ombre environnante.
 La récupération de l'eau, indispensable à la survie dans le désert, a conduit les Succulentes à développer un système radiculaire simple et uniforme, mais qui a fait ses preuves. 

 La capacité de stockage de l'eau varie évidemment selon les espèces. Un petit Mammillaria n'aura pas les mêmes besoins que l'immense Carnegiea gigantea qui peut stocker plus de 3 tonnes d'eau dans ses cellules. Le système racinaire a été spécialement "étudié" pour permettre aux cactées d'absorber rapidement de grandes quantités d'eau : la racine principale, généralement pivotante et bien enfoncée profondément dans le sol, est souvent énorme, mais peu ramifiée ; en revanche, les racines secondaires et radicelles se déploient à quelques centimètres de la surface du sol, mais à plusieurs mètres de distance de la plante. Cette ingénieuse architecture permet aux cierges géants d'Amérique du Nord (Carnegiea, Pachycereus…) et d'Amérique du Sud (Cereus, Trichocereus…) de se maintenir droits malgré les intempéries, tout en absorbant par les nombreuses radicelles, l'eau d'une pluie même insignifiante. Et pour améliorer la captation des précipitations, de nombreuses racines sont disposées à la base de la plante, autour du collet ; elles profitent des coulées de condensation ou d'une légère pluie ruisselant sur la tige.

 L'eau s'accumule aussi en pénétrant par l'épiderme de la plante. Chez les Cactées, la carte d'identité, c'est l'aréole, organe unique dans le monde végétal, "coussinets" où s'articulent aiguillons, glochides (aiguillons microscopiques), soies, poils, et où naissent fleurs et fruits. Les aiguillons sont de merveilleux capteurs d'eau de pluie ou même de condensation, brouillard côtier dans le désert d'Atacama au Chili ou rosée nocturne dans le désert de Sonora au Mexique. Le système pileux de certaines espèces (Oreocereus) les protège des ultra-violets le jour, et accumule l'eau de condensation qui se forme la nuit. Les aréoles (rendues presque invulnérables grâce à la protection de leurs aiguillons) sont chargées de récupérer le précieux butin, qui sera stocké dans des cellules spéciales qui composent ce qu'on appelle le parenchyme aquifère : un tissu aqueux, presque toujours sans chlorophylle. Les tissus chlorophylliens sont eux, situés sur la tige (il n'y a pas de feuilles !), à la surface de la plante pour effectuer les échanges gazeux, autrement dit pour réaliser la photosynthèse.

 Mais ce n'est pas tout ! Pour réaliser cette photosynthèse, les cactus ont trouvé le moyen extraordinaire d'inverser le cycle de leur métabolisme : ils respirent à l'envers des autres plantes ! En effet, c'est durant la nuit, plus clémente au désert et contrastant avec les journées torrides, qu'ils ouvrent leurs stomates (pores) : la perte d'eau est moindre, car l'évaporation de l'eau, la transpiration se fait à des températures plus basses. Mais comment peuvent-ils opérer les échanges gazeux nécessaires à la vie de tout être végétal, ceux-ci s'effectuant le jour, avec l'indispensable lumière du soleil ?

 Là encore, le miracle s'accomplit : pour pouvoir absorber le dioxyde de carbone (CO2) pendant la nuit, les cactus fabriquent des acides organiques qui augmentent considérablement le taux d'acidité de la sève. Bien que leurs stomates soient fermés le jour, et grâce au niveau d'acidité élevé des cellules, le dioxyde de carbone va être assimilé sous l'influence de la lumière solaire, et le taux d'acidité va redescendre de nouveau. C'est ce que l'on appelle le C.A.M. (en anglais Crassulacean Acid Metabolism), cycle présent chez toutes les Succulentes, dont fait partie la grande famille des Cactacées. Voilà comment elles peuvent ainsi réduire leurs pertes en eau. Certaines espèces sont ainsi capables de supporter 60 à 70% de pertes hydriques sans dommages. 

 Ainsi, parce que les cactus font des réserves d'eau (qui représentent jusqu'à 95% de leur poids total !…), on a longtemps cru qu'il suffisait de les ouvrir pour boire. Le nom de "cactus-tonneau" (Ferocactus) évoque d'abord la forme et non son contenu ! En fait, en pressant un cactus (après l'avoir épluché…), on récupère quelques gouttes d'un jus tellement amer et acide, liquide mucilagineux infâme, qu'il suffit à décourager n'importe quel voyageur tentant l'expérience pour étancher sa soif ! Par contre, la cuisson permet d'obtenir, dans certains cas, de très bons résultats : au Brésil, dans le Nordeste, ils sont consommés bouillis, comme des légumes ; au Mexique, on frit de jeunes et tendres raquettes inermes de nopal (Opuntia ficus-indica), et aux USA, ainsi qu'en Basse-Californie, on fabrique des pâtes de fruits avec la pulpe de certains Ferocactus.

• L'adaptation au désert : un problème épineux !

 Chez les Cactées, les aiguillons improprement appelés épines, sont tout simplement des feuilles modifiées, persistantes chez les Cactées primitives comme Pereskia, atrophiées et caduques chez le genre Nopalea. Les vraies feuilles ont presque complètement disparu chez Cylindropuntia, pour laisser la place à de superbes aiguillons qui ornent tout l'épiderme de la plante. La tige a également changé au cours de leur évolution, pour prendre la forme d'un accordéon (bien pratique pour les cures d'amaigrissement forcées en période de sécheresse), d'un tonneau (mais on n'y stocke que de l'eau…), d'un cierge ou de candélabres, et même, chez les Cactées tropicales, de fausses feuilles, qui sont en fait de vraies tiges (par exemple les Epiphyllum).

 On s'accorde généralement à dire que les aiguillons des cactus sont une protection contre les prédateurs, mais ce n'est pas toujours vérifié. Notons que sans armes épineuses, Lophophora williamsii ou Peyotl, sait fort bien se défendre contre les herbivores, en élaborant des substances alcaloïdes toxiques, néanmoins utilisées par certaines tribus indiens du Mexique (les Tarahumaras et les Huicholes entre autres) comme drogue hallucinogène dans des cérémonies à caractère religieux. dans son cas, les aiguillons, devenus inutiles, sont simplement remplacés par des touffes de poils.

 Pourtant, de nombreux habitants du désert américain, Rats, Lézards, Tortues, dévorent les chairs juteuses des cactus sans se préoccuper le moins du monde de leurs aiguillons. Alors, à quoi servent-ils ?

 Si ce sont des feuilles modifiées, c'est notamment pour éviter de présenter une surface trop importante d'où l'eau pourrait s'échapper ; on réduit donc la surface d'exposition au soleil, avec une tige arrondie et des aiguillons. Mais on ne s'arrête pas en si bon chemin ; les aiguillons des cactées tiennent plusieurs rôles, dont celui de pare-soleil, comme une jalousie, en faisant de l'ombre sur la plante. 

 Ils vont également permettre au cactus de récupérer l'eau de pluie et la rosée du matin : ils servent à la fois de capteurs et de condensateurs. Plus étonnant encore, ils peuvent s'accrocher au poil d'un animal grâce à une extrémité recourbée ou des formes de harpons microscopiques (glochides), pour emmener au loin un fragment de la plante-mère, qui deviendra bouture dès que l'animal aura réussi à se débarrasser de son "passager clandestin". C'est une méthode couramment employée par les Cylindropuntia d'Amérique du Nord, à tel point qu'on les surnomme "Jumping chollas", ou cactus sauteurs ! Une nouvelle plante est même capable d'apparaître d'un fruit stérile qui s'est auto-bouturé !

 Si les aiguillons ne semblent pas suffisants, les cactées fabriquent alors des poils, des soies qui récupèrent l'eau tout en protégeant l'épiderme des ardeurs solaires. D'autres s'enduisent d'une épaisse couche cireuse ou d'une pruine pour éviter le dessèchement, tout en réfractant la lumière et la chaleur : c'est le cas de Copiapoa au Chili, qui vit généralement en plein soleil, sans protection.

 Et serait-ce ce donc pour se rafraîchir que l'Echinofossulocactus mexicain s'est transformé en… radiateur automobile ? Ces espèces hérissées d'aiguillons croissent généralement à l'ombre d'arbustes ou dans les prairies ; leur corps est composé de fines côtes ondulées, qui atteignent le nombre incroyable de 120 chez le bien nommé Echinofossulocactus multicostatus ! Pourquoi autant, puisque la nature ne fait jamais rien au hasard ? Il serait amusant de croire que, par une curieuse forme adaptative, les Echinofossulocactus ont trouvé là un moyen original pour soustraire leur épiderme à la chaleur environnante, en simulant un circuit de refroidissement par air ! Réalité ou fiction, la lutte est sévère, et tous les moyens semblent bons pour résister à l'enfer du désert.

• Parfums et poisons.

 L'aspect rébarbatif des cactus n'est pas leur apanage. Certaines autres Succulentes, notamment Euphorbia, prennent un aspect cactiforme, pour arriver à survivre, de la même manière, à tel point qu'on les confond souvent. Elles se défendent également en fabriquant un latex blanc caustique, très toxique, pour éloigner les herbivores. Les fleurs des Euphorbes sont minuscules, voire insignifiantes, mais elles sécrètent un nectar qui attire de nombreux insectes. Le nectar, c'est un peu la récompense de l'aide accordée. Il peut même servir à détourner l'attention des fourmis lorsqu'il est situé dans des glandes à nectar (Coryphantha, Ferocactus), et laisser le nectar floral aux insectes professionnels.

 Il faut séduire les pollinisateurs qui permettront aux fleurs d'être fécondées et de perpétuer les espèces. Les Lithops d'Afrique du Sud, qui se cachent pendant l'hiver austral, jusqu'à être confondus avec les pierres du Namaqualand, fleurissent soudainement pour plaire aux insectes amis. Les principales espèces de Mésembryanthémacées, et notamment celles qu'on surnomme les "plantes-cailloux" se soustraient aux herbivores la majeure partie de l'année par un mimétisme extraordinaire, et se parent de couleurs vives au moment de la floraison, de telle manière que la plante charnue disparaît sous les fleurs. Au Texas et dans le nord du Mexique, Ariocarpus fissuratus emploie une ruse similaire, avec en plus des alcaloides toxiques pour ne pas être dévoré : il a mérité son surnom de "Living Rock" (Rocher vivant).

 Dans les zones arides ou semi-arides, le moyen le plus sûr pour se faire repérer est d'arborer des fleurs de couleurs vives au moment précis où les pollinisateurs sont en activité : le temps, c'est de l'énergie gaspillée. Aussitôt fécondée, la fleur ne tarde pas à se faner. L'odeur est également un stratagème efficace pour tromper son compagnon d'une journée (ou plus souvent d'une nuit…). Beaucoup de fleurs de cactées sont délicatement parfumées, et celles du cierge géant d'Arizona, le Saguaro (Carnegiea gigantea), restent ouvertes durant la nuit pour profiter de la fraîcheur nocturne et être pollinisées par des chauve-souris (Eptesicus fuscus). L'odeur de la fleur rappelle celle de la chauve-souris femelle…

 Les fleurs diurnes des cactées sont généralement très colorées, car elles doivent se faire remarquer par d'éventuels visiteurs, somme toute assez rares dans les régions arides. Pourtant, celles du Carnegiea sont blanches : en effet, pour séduire la nuit, la couleur n'a plus d'importance, tous les chats sont gris, et toutes les fleurs nocturnes des cactées sont blanches et dégagent presque toujours un parfum violent et capiteux. On se farde peu, mais on se parfume à outrance pour attirer les amants d'une nuit, Noctuelles ou Chiroptères.

 A chacun son parfum : les Stapéliées des déserts d'Afrique australe et leurs magnifiques fleurs en étoile ont trouvé la forme, la couleur, et surtout l'odeur idéale pour être prises pour de la viande en décomposition, car elles dégagent une épouvantable odeur de charogne. Ce qui attire immanquablement les spécialistes de la question, de la grande famille des Diptères : les Mouches à viande (restons polis…), les Mouches à vinaigre (Drosophiles), bleues ou vertes, etc.

 Mais quelle ingratitude : les Succulentes ainsi fécondées ne laisseront aucune chance aux œufs déposés par les Mouches. Ne trouvant pas le support nutritif habituel, ils ne dépasseront jamais le stade larvaire. Voilà un efficace contrôle des naissances !

 Si Darwin est passé par là pour tenter de nous expliquer un peu de l'origine et l'évolution des espèces, il nous est encore bien difficile de savoir qui s'est adapté à qui. L'interaction entre milieu aride, faune et flore spécialisée est indéniable. La forme des fleurs est étudiée dans une totale maîtrise de la chose : le long tube floral des Aloe d'Afrique est tout à fait conforme au bec recourbé des oiseaux qui les fécondent, les Souïmangas (Nectarinia). Le bec des diverses espèces de Colibris leur permettent de polliniser les genres Agave aux USA et au Mexique, Borzicactus en Bolivie, ou même Melocactus au Brésil (Chrysolampis mosquitus).

 Dans le désert, les contrats d'assistance mutuelle arrivent parfois à un degré tel que la spécialisation à l'extrême crée le danger de disparition des espèces : Yucca brevifolia, l'arbre de Josué du désert de Mojave en Californie, a pris un énorme risque en n'acceptant qu'un seul et unique pollinisateur, la Phalène du Yucca (Tegeticula). Si le Papillon disparaît, pour quelque raison que ce soit, Yucca brevifolia, ayant perdu son unique agent reproducteur, sera irrémédiablement condamné à s'éteindre.

 L'adaptation par la convergence des formes est une étude passionnante. Elle explique les confusions souvent faites par les néophytes qui confondent allègrement agaves et aloès, cactus et euphorbes : on s'y tromperait ! Que dire du genre Yucca, du Mexique et des Etats-Unis, qui imite à la perfection (à moins que ce ne soit le contraire !) Xanthorrhoea d'Australie.

 Il existe de nombreuses autres formes d'adaptation des végétaux au milieu aride, comme les Sélaginelles (Selaginella lepidophylla par ex.), très proches des Fougères, et vivant néanmoins dans le désert de Chihuahua au Mexique, sur un sol calcaire. A noter que la plante vendue dans le commerce sous le nom trompeur de "Rose de Jéricho" est en fait une Sélaginelle, et que la vraie Rose de Jéricho est une Crucifère (Anastatica hierochuntina). Tous les types de sols, même les plus ingrats, semblent pouvoir accueillir des végétaux. Yucca elata pousse jusque sur des dunes de gypse pur à White Sands, au Nouveau-Mexique (USA).

 En Iran, je suis tombé en admiration devant des tapis de Tulipa greggii, qui survit à l'aridité des collines du Dasht-i-Kévir grâce à son bulbe, organe souterrain qui constitue les réserves de la plante. Sur les sols salés du désert iranien, une plante halophyte s'est adaptée à des conditions toutes particulières : Salsola crassa. Une autre soude des steppes soviétiques s'est retrouvé un beau jour dans l'Ouest américain, et s'est installée sur les "salt lakes" des déserts de Mojave, Sonora, Chihuahua et Grand Bassin ; ce qu'on appelle "tumble-weeds" dans les westerns, et qui roule sans fin, poussé par le vent, n'est qu'une soude soviétique, Salsola kali !

 On ne s'attend pas non plus à trouver des arbres dans les déserts, sauf dans les oasis. Pourtant, là encore, il y a adaptation au milieu semi-aride, voire aride : Bursera des déserts mexicains, Commiphora des déserts arabiques, Adansonia (Baobab) des "déserts" africains, malgaches ou australiens, Chorisia, Cavanillesia ("arbres-bouteilles") du Nordeste brésilien gonflent leur tronc d'une manière exagérée pour garder les précieuses réserves de nourriture et d'eau en période de sécheresse. 

 D'autres, comme ceux de la famille des Acacias*, réduisent leur surface foliaire, jusqu'à la perdre totalement en saison sèche. Acacia drepanolobium des steppes du Kenya, possède des galles habitées par des fourmis à la morsure urticante, qui protègent le mince feuillage de certains herbivores trop entreprenants (pas tous, la Girafe leur tire la langue) ! Les Prosopis des déserts nord-américains (Prosopis juliflora, glandulosa), sud-américains (P. tamarugo), ou du désert de Thar (P. cineraria) vont chercher l'eau à l'aide de leurs puissantes racines jusqu'à 25 m de profondeur, voire plus.

* Nos "mimosas" sont des acacias australiens (Acacia dealbata) apportés en Europe par les premiers explorateurs. Le vrai mimosa est la sensitive mexicaine, Mimosa pudica.

 Il est des déserts qui ne méritent pas leur nom, en regard de la végétation qui les recouvre. Certaines de ces régions semi-arides, en Australie, en Afrique australe ou en Amérique du Sud, sont victimes de feux de brousse, le plus souvent provoqués par l'homme, comme celui gigantesque de janvier 1994 dans le bush australien. Encore une fois, il y a adaptation au phénomène, au départ naturel, apporté par la foudre.

 Des plantes bizarres survivent sous la terre grâce à d'énormes organes souterrains ou caudex, et n'offrent périodiquement aux feux que quelques maigres lianes à brûler. Ce n'est pas une famille de plantes, mais simplement une classification adoptée selon leur convergence adaptative. Ces plantes dites caudiciformes semblent avoir développé séparément, mais dans des milieux d'apparence identique (savanes arbustives épineuses), une stratégie propre au danger d'incendie. Le feu a donc en quelque sorte obligé la flore à une adaptation sans pareille.

 La partie aérienne brûle et disparaît ? Qu'importe : c'est sous le sol que la plante vivra, à l'aide de réserves, jusqu'aux prochaines pluies. Le caudex (mais le bulbe aussi…) permet la survie pendant et après le feu. Généralement, la foudre qui a allumé le feu se voit doublée par l'orage qui en découle et qui éteint l'incendie (ce que les feux humains ne permettent pas. C.Q.F.D.). Double avantage : tout danger étant écarté, l'eau profite à la plante qui repart en végétation, développant à nouveau feuilles, vrilles, tiges aériennes et lianes sur un sol enrichi de cendres. Les plantes caudiciformes et bulbeuses sortent gagnantes de ce combat enflammé.

 Certains arbustes australiens (tel Grevillea eryostachya, une Protéacée), ne peuvent germer qu'après avoir subi l'épreuve du feu : les graines doivent avoir brûlé pour induire leur germination !

 Quant à la neige, elle est moins rare qu'il n'y paraît, et dans les déserts à climat continental (désert du Grand Bassin aux USA), ou les déserts d'altitude (Andes en Amérique du Sud ou massif du Hoggar au Sahara), le froid et la neige ou la glace sont choses relativement courantes.

 Le climat des déserts du Grand Bassin est rigoureux en hiver. La raison en est l'altitude moyenne des plateaux, qui se situe entre 1600 et 2300 m (Grand Canyon, Plateau du Colorado). En été, la température peut atteindre +38°C à l'ombre. Les précipitations annuelles y sont très irrégulières (entre 130 et 410 mm), et au contraire des déserts de Sonora ou Chihuahua qui ont des pluies d'orage estivales, elles tombent essentiellement durant la période hivernale.

 Or, en hiver, les vents glacés en provenance du Canada s'engouffrent entre la Sierra Nevada et les Montagnes Rocheuses, abaissant considérablement les températures (de -18°C à -23°C) ; les précipitations sont reçues sous forme de brusques et violentes tempêtes de neige. Les amplitudes thermiques sont très importantes, car si l'absence de nuages réchauffe rapidement le sol pendant la journée, l'énergie thermique emmagasinée rayonne à nouveau vers le ciel et abaisse très rapidement la température.

 Peu de plantes sont adaptées à des conditions aussi sévères et à des amplitudes thermiques aussi prononcées. Lorsqu'une tourment de neige s'abat sur le plateau, les végétaux disposent d'une couche protectrice qui va leur permettre de supporter les rigueurs du climat. D'autre part, ce sera un apport d'eau non négligeable au printemps, lors de la fonte des neiges ; dès la fin du mois de février, dans les vallées les plus basses, le désert fleurit déjà (observation locale J.L., février 1988). Des annuelles comme Castilleja chromosa et même des champignons comme Tulostoma simulans apparaissent !

 Les Succulentes qui vivent dans ce milieu contrasté sont des colonies éparses d'Agave utahensis et ses variétés, Yucca angustissima, et des Cactacées comme Coryphantha vivipara, Sclerocactus mesae-verdae, S. whipplei, Cylindropuntia whipplei, Echinocereus fendleri, Opuntia erinacea, Opuntia fragilis, O. phaeacantha, O. chlorotica, O. polyacantha, Pediocactus (toutes espèces), etc. Les graines issues des floraisons tardives et non récoltées par leurs consommateurs semblent être celles qui vont avoir la lourde responsabilité de perpétuer les espèces, devant subir, on l'a vu,  une période de gel intense pour pouvoir germer. Ce qui surprend aussi est leur faculté germinative, qui atteint un quart de siècle chez Sclerocactus !

 Dans le désert du Nevada, à la frontière de la Californie et de l'Arizona à pareille époque, la neige recouvre la majeure partie des zones d'altitude, et d'autres Succulentes doivent subir les assauts du froid, entre autres Nolina bigelowii, Yucca schidigera, Y. brevifolia, Cylindropuntia echinocarpa, Echinocactus polycephalus, Echinomastus johnsonii, etc. Plus au sud, à Tucson même, dans le fameux Saguaro National Monument, de soudaines tempêtes de neige s'abattent sur la région, le plus souvent en janvier et février, recouvrant d'un manteau immaculé Carnegiea gigantea, Cylindropuntia acanthocarpa, Ferocactus wislizenii, Mammillaria microcarpa,  et le célèbre Jojoba ou Simmondsia chinensis, des gelées meurtrières provoquant parfois leur mort, ces espèces ne pouvant supporter longtemps d'importants écarts de température. Il est vrai que pour pouvoir résister à de telles amplitudes thermiques (parfois 40 à 50°C de différence entre le jour et la nuit !), l'hygrométrie atmosphérique doit être quasiment nulle, et seules les couches superficielles du sol sont temporairement gelées, et surtout très vite réchauffées par le rayonnement solaire.

 Ces conditions sévères sont, pour les espèces les plus évoluées, un "cul-de-sac adaptatif", et si certaines sont déjà en grand danger d'extinction, compte tenu de leur faible reproductivité, et de la pression de la collecte ou de l'activité humaine, un changement brutal des micro-climats locaux peut faire disparaître très rapidement ces plantes extraordinaires…

Le sens de l'harmonie : la biocénose.

 Lorsque le grand cierge d'Arizona (Saguaro) ou Carnegiea gigantea fleurit, le pollen se partage entre les besoins de la reproduction et la nourriture de l'agent pollinisateur : il y en aura bien assez pour tout le monde ! Les 3400 étamines de Carnegiea gigantea produisent suffisamment de pollen pour satisfaire les exigences des nombreux fécondateurs (insectes, oiseaux ou Chiroptères) qui lui assurent la pérennité. Toute une communauté vit grâce au cactus, qui lui crée un environnement protecteur.

 D'après les statistiques, en un siècle, Carnegiea gigantea produit environ  12 à 20 millions de graines, jusqu'à 40 millions dans les 175 à 200 ans de sa vie ! La loi de sélection est, dès le début de l'apparition de la graine, extrêmement sévère, et lorsque les fruits sont mûrs, ils font les délices des Tourterelles à ailes blanches (Zenaida asiatica), des Tourterelles incas (Scarfadella inca), des Tourterelles en deuil (Zenaida macroura), et même des Indiens Papagos (Homo sapiens papago…) qui les récoltent. Les fruits tombés à terre et pourrissant seront des mets de choix pour les Ecureuils terrestres (Spermophilus tereticaudus), les Coyotes (Canis latrans), et les Lézards comme le Chuckwalla (Sauromalus obesus).

 Les fourmis et autres insectes finiront de récolter les graines disséminées sur le sol. celles qui restent doivent rencontrer les meilleures conditions pour germer : de l'eau, de l'ombre, et une humidité relativement constante. Un orage soudain peut détruire l'établissement d'une plantule, comme une sécheresse prolongée peut la tuer. Le Palo Verde (Cercidium microphyllum) qui a abrité le jeune Carnegiea pendant toute sa croissance se voit remercié, et finit par disparaître au profit du grand cierge, qui prend alors au fil des décennies toute sa splendeur.

 A 9 ans, il mesure environ 15 cm de hauteur ; à 50 ans, il ne dépasse pas 3 m. A partir de sa 70ème année, en pleine crise d'adolescence, il commence à se ramifier, et des locataires, ou plutôt des squatters en profitent pour s'installer : la Chouette des Cactus (Micrathene whitneyi), La Fauvette de Lucy (Vermivora luciae), le Troglodyte des cactus (Campylorhynchus brunneicapillus), le Pic de Gila (Melanerpes uropygialis) ,le Faucon américain (Falco sparverius), ou l'Hirondelle pourprée (Progne subis). La Buse à queue rousse (Buteo jamaicensis), et celle de Harris (Parabuteo unicinctus) se contentent d'un nid grossier installé dans les branches.

 Après plus de 130 ans, il mesure 9 m, et ses branches font de lui le cierge candélabre caractéristique des déserts de l'Arizona ; percé de tous côtés par les oiseaux nicheurs, il a développé des cals qui lui font de sombres cicatrices circulaires généralement haut placées. En 150 années de vie, notre Saguaro a connu bien des vicissitudes : les périodes de sécheresse et d'aridité, les pluies d'été torrentielles et les inondations, les vents violents qui ont menacé plus d'une fois de l'abattre, les soudaines tempêtes de neige, etc.

 A 200 ans, il atteint désormais les 15 m de hauteur, et a produit au cours de son existence mouvementée ses 40 millions de graines, dont finalement une seule donnera naissance à un nouvel individu adulte capable de perpétuer l'espèce. De nombreux rongeurs comme le Rat-kangourou (Dipodomys desertii), la Souris des Cactus (Peromyscus eremicus) et reptiles comme la Tortue du désert (Gopherus agassizii), le Crotale diamantin de l'Ouest (Crotalus atrox), ou le Monstre de Gila (Heloderma suspectum), ont creusé près de ses racines traçantes, des abris où règne une certaine fraîcheur, même au cœur de l'été. Quantité d'insectes l'ont parasité pendant des générations, et la sève a de plus en plus de mal à se frayer un chemin jusqu'au sommet du géant.
 Un jour, une tempête plus forte le déracinera et le couchera pour l'éternité ; à moins qu'un hiver plus rigoureux ne le fige à jamais dans un gel mortuaire. Il ne restera plus à l'horizon, qu'un squelette ligneux desséché, marquant le ciel du destin d'un être vivant exceptionnel ayant vécu au moins deux siècles.

 Les plantes des déserts nous permettent de découvrir le côté magique de la vie, qui est aussi fragile et précieuse. Laissons-les conserver un peu des secrets qui leur restent. N'oublions pas que lorsque nous sommes apparus sur la Terre, il y a quelques centaines de petits milliers d'années, sans défense, mais avec l'intelligence humaine pour nous permettre de nous adapter, elles étaient déjà là depuis bien longtemps…

• L'animal au désert : adaptation et comportement.

 L'aridité et la pauvreté végétale conduisent, à l'évidence, à une rareté de la faune, à son adaptation, et partant de là, à sa diversité. L'évolution de la faune en milieu aride a obligé l'animal à s'adapter en fonction de son environnement, parfois dans des microbiotopes limités à une dune, un rocher, un arbrisseau, un canyon… Lié à la présence végétale, l'animal vit dans un territoire restreint qui compose, on vient de le voir avec le Saguaro, une biocénose dont il fait partie intégrante. Les insectes (Coléoptères divers) qui vivent dans le creux végétatif des Tillandsia du désert de Lurin au Pérou, constituent ce qu'on appelle une biochorie, micro-communauté au sein d'un système écologique plus vaste.

 L'adversité climatique oblige la faune à adopter, pour survivre, une stratégie de comportements et d'adaptations : échapper ou lutter contre l'ensoleillement, réduire les pertes en eau dues à la respiration, à l'excrétion et à la transpiration, sont les problèmes quotidiens rencontrés par les êtres vivants des déserts. Chaque espèce combine plusieurs solutions.

 On constate avec surprise une chose pourtant normale : les points d'eau, les mares recèlent une vie aquicole intense ; liés à la présence de l'eau, des animaux que l'on pourrait difficilement taxer de "déserticoles" vivent dans ces biochories : Poissons (Cyprinodon nevadensis de la Vallée de la Mort en Californie, USA…), Escargots (Texas, USA…), Crabes (Iran…), Cloportes (Hoggar, Sahara…), Eponges (Tassili des Ajjers, Sahara…), et même Méduses (Tibesti, Tchad). Il s'agit souvent d'une faune relicte, vestiges reclus, irrémédiablement condamnés à la disparition au moindre changement de climat, ou modification de l'environnement. Nombre d'animaux, tels les Batraciens, font du comportement et de l'adaptation un "cocktail" efficace, possédant un métabolisme reproductif très court, vivant dans des mares temporaires le plus souvent à sec.

 Les périodes d'activités de la faune en zone aride peuvent être conditionnées par des modes de vie saisonniers et, ou journaliers.

 Pour de nombreux animaux vivant au désert, la période critique est l'été, du moins celle qui correspond aux grandes chaleurs. Ils doivent, pour survivre, réduire leur activité, et entrent en léthargie dès que la température atteint un seuil intolérable : ils pratiquent ce qu'on appelle l'estivation ou diapause estivale. L'estivation peut, en outre s'ajouter à une hibernation (Varan du désert, Varanus griseus par ex.), ce qui réduit la période d'activité annuelle à 5 mois !

 Une solution pratique pour se soustraire aux grandes chaleurs de la journée est de s'en protéger en se réfugiant sous les pierres, les buissons, en s'enfouissant dans le sable, ou mieux, en créant son propre environnement, en creusant un terrier.

 Par contre, l'activité (chasse, cueillette, recherche de l'eau…) aura lieu durant la nuit, obligeant une partie de la faune à avoir une occupation nocturne (Scorpions, par ex.). Quel spectacle extraordinaire que celui de la dune où l'on a passé la nuit, recouverte au petit matin d'une myriade de traces diverses de coléoptères, rongeurs, reptiles, oiseaux, herbivores et carnivores…

 Restent ceux capables de résister aux rigueurs du climat aride durant la journée, et possédant un cycle d'activité diurne. Ce sont les moins nombreux* (et les plus courageux !).

* avec une espèce en voie de disparition, le "naturaliste", qui développe ses périodes d'activité intense aussi bien le jour que la nuit, observations obligent !…

 Les analogies écologiques, convergences de formes, sont souvent liées au milieu dans lequel les espèces évoluent. Les grandes oreilles des "Jackrabbits" ou Lièvres-kangourous (Lepus californicus, Lepus allenii), des Fennecs et Renards de Poche ou "Kit-Foxes" (Fennecus zerda, Vulpes macrotis), des Otocyons (Otocyon megalotis), des Kangourous (Macropus rufus par ex.) etc. ont plusieurs avantages : grâce à la surface des pavillons auriculaire, leur perception auditive est augmentée, et leur permet de disposer d'un système de refroidissement par air tout à fait efficace ! Apparemment, c'est ce dernier avantage qui a le plus d'importance, car à l'inverse, mais dans un espace également ouvert, les Mammifères des régions arctiques ont des oreilles très réduites : le Renard polaire (Alopex lagopus) et le Lièvre arctique (Lepus arcticus), par exemple.

 Selon les types d'habitats, les ressources alimentaires, etc, les niches écologiques peuvent être occupées par des animaux dont la "construction" physique et physiologique s'est faite sur un même schéma ; bien qu'il s'agisse d'espèces parfois géographiquement et génétiquement très éloignées, le Nandou américain (Rhea americana), l'Autruche africaine (Struthio camelus), et l'Emeu australien (Dromiceius novaehollandiae) ont évolué séparément, mais de manière quasi-identique, pour s'adapter à un milieu ouvert de steppe arbustive.

 Le Rat-kangourou du désert nord-américain (Dipodomys desertii), la Gerboise du Sahara (Jaculus jaculus), l'Allactaga des déserts d'Asie Centrale (Allactaga nataliae) sont des copies presque conformes, au même titre que le Crotale cornu d'Arizona (Crotalus cerastes) et la Vipère à cornes du Sahara (Cerastes cerastes), qui ont un mode de déplacement analogue, la reptation latérale, pour éviter de s'enfoncer sur un milieu identique, la dune. Le Chien de prairie des déserts nord-américains (Cynomys ludovicianus) ressemble, mais ce sont tous deux des Sciuridae, à la Marmotte bobak des steppes de l'Asie Centrale (Marmota bobak). Le Renard de poche américain ou Kit Fox (Vulpes macrotis) et le Fennec du Sahara (Fennecus zerda) ont un faux petit air de famille, avec les mêmes caractéristiques adaptatives*.

* Convergence typique de forme et d'adaptation au milieu aride. C'est précisément la raison bio-géoclimatique essentielle pour laquelle je ne range pas les zones polaires parmi les déserts du globe ; on pourrait intervertir le Kit Fox américain avec le Fennec du Sahara : même adaptation à un même milieu. Essayez donc de les échanger avec un Renard polaire, vous comprendrez la différence…

 Tous ces facteurs limitants n'empêchent pas la diversité des espèces animales présentes au désert. Des Invertébrés aux Vertébrés, les grands groupes zoologiques sont tous représentés. Comme la flore, la faune a dû s'adapter à l'environnement, les changements climatiques, en un mot, évoluer. L'évolution s'est faite au rythme lent de l'histoire de la Terre : en millions d'années. La disparition des proies habituelles, d'un milieu donné, le changement subit d'un micro-climat, l'isolement, ont fini par provoquer la mort de nombre d'individus au sein d'une espèce. D'autres, mieux dotés, ont pu survivre à ces conditions nouvelles, et s'y "adapter", ou plus exactement s'en accommoder, par changement de comportement.

 Evidemment, la sélection naturelle (Evangile selon Darwin…) et le changement de circonstances (Evangile selon Lamark…) ne peuvent expliquer totalement cette évolution sans la génétique. L'adaptation des animaux à l'environnement est de plusieurs types : le comportement d'accommodation de certaines espèces leur permet de préférer la nuit plutôt que le jour pour leur période d'activité. Si toutes les niches écologiques sont précisément occupées par les uns (Gérénuk par ex.), d'autres plus opportunistes s'accommodent d'un régime alimentaire très éclectique (Fennec par ex.) au gré des découvertes, ce qui correspond mieux aux ressources biologiques des zones arides.

 Dans l'adaptation au désert, on constate un ultra-développement de certains organes (hypertrophie des oreilles des Fennecs, des Anes, des Lièvres-kangourous…), une hyperspécialisation, des propriétés physiques, physiologiques, sensitives exacerbées : poison plus virulent, vitesse plus grande, vue plus perçante, etc. Il est probable que dans un environnement aussi ouvert et peu peuplé, il était vital pour la faune d'être efficace, aussi bien pour guetter et attraper, que pour fuir.

 Ainsi, l'animal au désert a développé des leurres pour sa défense : se gonfler pour paraître plus gros (certains félins, reptiles, oiseaux adoptent fréquemment ce subterfuge), imiter le cri ou le bruit d'un animal dangereux (un oiseau imite la "crécelle" du Serpent à sonnettes !), ou copier le voisin mortel (Mouche inoffensive, le Syrphe revêt l'habit de la terrible Guêpe = l'habit fait le moine !). L'agitation de la "crécelle" (constituée par les écailles caudales des précédentes mues) des Serpents à sonnettes prévient n'importe quel animal (Homme compris !) d'un danger potentiel imminent.

 Quant aux Lézards rencontrés lors de mes expéditions, le régime alimentaire et l'aspect épineux vont de pair : le Diable épineux d'Australie (Moloch horridus) et les Lézards cornus des déserts nord-américains (Phrysonoma cornutum par ex.) sont hérissés de piquants bien inoffensifs, mais rebutants pour de nombreux prédateurs, et se nourrissent exclusivement de fourmis. Le Cordyle africain (Cordylus cataphractus) se nourrit également d'autres insectes.

 Qu'il soit australien (Tiliqua rugosa) ou saharien (Scincus scincus), le "Poisson de sable" ou Scinque, partage un milieu arénicole. Les mêmes besoins, les mêmes nécessités, les mêmes habitats ont conduit aux mêmes résultats, et le hasard n'a certainement rien à voir là-dedans…

• Mimétisme, homochromie, coloration cryptique et couleurs d'avertissement.

 Pour la majeure partie de la faune des zones arides qui vit dans un milieu ouvert, le meilleur moyen de lutter contre le climat et les prédateurs est de se cacher, et pour les prédateurs eux-mêmes, de surprendre. De nombreux animaux possèdent une coloration proche ou identique à celle de leur milieu : Gazelle dorcas (Gazella dorcas), Fennec (Fennecus zerda), Ganga (Pterocles spp), Scorpion (Androctonus amoreuxi)… sont couleur sable : c'est ce qu'on appelle l'homochromie. 

 D'autres changent de coloration selon le milieu ou les circonstances : l'Agame du Sinai (Agama sinaita) prend une superbe coloration bleue selon la température ambiante et son degré d'excitation.

 Il y a des animaux qui ne changent pas de couleur, mais dont la robe ou la livrée sont constituées de lignes brisées, ou de dessins géométriques sombres : la Girafe (Giraffa camelopardalis), le Zèbre (Equus burchellii), le Crotale de Mojave (Crotalus scutulatus) etc, et qui leur permettent, à l'arrêt, de se confondre avec le milieu ambiant. Cette coloration cryptique peut ressembler étonnamment à l'environnement dans lequel évolue l'animal ; la "chasse" au Lézard cornu (Phrysonoma modestum, cornutum…) est passionnante, et j'ai passé de nombreuses journées à chercher le maximum d'espèces présentes dans le désert nord-américain, très difficiles à remarquer tant elles se confondent avec le sol.

 On sait aujourd'hui que le climat agit sur la nature des pigments (observez la pigmentation de l'Homo "sapiens" selon les latitudes…) ; cependant, on doit admettre que le caractère évolutif de cette adaptation est également lié aux facteurs climatiques de l'environnement.

 Armés jusqu'aux dents (c'est le cas de le dire pour nombre de reptiles, réflexion entre crochets…), certains craignent si peu leurs ennemis naturels qu'ils se montrent bien en évidence, avec des couleurs le plus souvent vives, presque toujours associées : le rouge et le noir chez le Monstre de Gila (Heloderma suspectum), la Veuve noire (Latrodectus mactans), le noir et le jaune chez les Guêpes (Vespula spp), le noir et l'orange chez le Monarque (Danaus plexippus), ou carrément le rouge, le jaune et le noir avec le Serpent-corail de l'Arizona (Micruroides euryxanthus). Un ennemi avertit ne vaut plus rien : il se sauve ! Si d'aventure il goûte, il ne recommencera pas de sitôt. Les couleurs d'avertissement préviennent de la toxicité d'une proie éventuelle ou d'un possesseur de glandes à venin, qu'il vaut mieux éviter. Et ça marche tellement bien qu'aucun brevet n'a été déposé, et que des petits malins se sont emparés de l'idée : le Lampropeltis de Californie (Lampropeltis zonata) ressemble à s'y méprendre au Serpent-corail de l'Arizona (Micruroides euryxanthus), mais la copie n'a rien à voir avec l'original : le Lampropeltis n'est pas venimeux. Et ne prenez pas la mouche si elle a une taille de guêpe : qui oserait s'attaquer au Syrphe, petite mouche qui s'est déguisée en guêpe ?

 On a avancé que la coloration sable de nombreux animaux (Scorpion, Fennec, Gerboise, Oiseaux, Lézards…) n'avait aucun intérêt, car ce sont pour la plupart des espèces nocturnes : la coloration cryptique n'aurait donc pas de raison d'être. Apparemment seulement.

 Il est fréquent d'apercevoir, notamment en hiver, la faune arénicole à la livrée sable, s'activer encore le matin ou le soir, et parfois même durant la journée. Mais cette livrée se révèle efficace surtout durant la nuit ("La nuit, tous les chats -et les autres- sont gris", période d'intense activité, tout simplement parce qu'elle se confond parfaitement avec un milieu très lumineux, même la nuit, même sans pleine lune.

 La relation qui existe entre les Perruches ondulées (Melopsittacus ondulatus), dont la coloration verdâtre peut virer au jaune en cas de sécheresse (règle de Glober), et les Canaris (Serinus canaria), verts à l'origine, puis virant au jaune à l'occasion de mutations spontanées*, pourrait être, spéculation toute gratuite de ma part, un signe avant-coureur de la péjoration de l'aridité de l'Australie et des Iles Canaries.

* L'homme a largement contribué à la naissance d'hybrides.

 Des insectes comme les Pimélies (Pimelia angulata), des oiseaux comme les Corbeaux (Corvus ruficollis par ex.), Magpies (Gymnorhina dorsalis), des Mammifères comme la Mouffette (Mephitis mephitis), aux périodes d'activités essentiellement diurnes, possèdent une livrée noire ou noire et blanche ; il s'agit d'une couleur d'avertissement, et de fait, la plupart d'entre eux ont une chair incomestible, voire toxique, une odeur nauséabonde, etc. Il s'agit bien d'un signal dissuasif.

 Au Nouveau-Mexique, dans le White Sands National Monument, existent deux espèces de lézards (Holbrookia maculata ruthveni et Sceloporus cowlesi, et une espèce de de souris, la Souris de poche (Perognathus flavescens gypsi) qui montrent une adaptation extrêmement poussée, en ayant pris la coloration d'un milieu exceptionnel, un immense dépôt naturel de gypse pur d'un blanc éclatant. La convergence évolutive de rongeurs, de lézards et même d'insectes (des Cicindèles) de couleur blanche sur les dunes de White Sands est indéniable. Le plus extraordinaire est que ces espèces, également présentes sur d'anciens lits de lave noir à 50 km du Parc, ont subi une adaptation similaire, et montrent une coloration très foncée, en accord avec leur milieu.

 Les habitats intermédiaires démontrent le même processus évolutif, avec des animaux de couleur sable plus classique, et des colorations rougeâtres dans les régions des Terres Rouges du Sud ! Même si toutes les espèces de White Sands n'ont pas "utilisé" la coloration cryptique, même si celle-ci n'empêche pas quelques bêtes de se faire dévorer, on peut affirmer sans grand risque que ce mimétisme n'est pas une coïncidence, ou le seul fruit du hasard. Elle cantonne chaque animal au milieu dont il a pris la coloration, et lui confère un atout non négligeable à ses conditions de survie.

 L'interpénétration des animaux de couleurs différentes se situe à la limite des habitats, les frontières nettes et définies n'existant que dans l'esprit de l'être humain (Homo pas toujours sapiens…). Tous les cas de figure sont donc possibles. Enfin, l'autre avantage d'une homochromie "fixe" est de participer en quelque sorte d'une manière passive à la régulation thermique, puisque les couleurs n'ont pas toutes la même température, et que les pigments dont elles sont constituées (sauf le bleu) sont capables d'absorber, de filtrer, d'arrêter ou de réfléchir certains rayons du spectre solaire.

 L'homochromie "mobile" du Chuckwalla (Sauromalus obesus), grand lézard du désert nord-américain, a une peau dont la couleur varie avec le milieu ambiant. Constat identique pour le Fouette-queue du Sahara (Uromastyx acanthinurus). Comme tous les reptiles, animaux poïkilothermiques (ou ectothermes), qui doivent réguler leur température interne par des moyens extérieurs, le matin, le Chuckwalla cherche à réchauffer sa température interne en s'installant sur un rocher au soleil. Sa peau prend alors une coloration très foncée jusqu'à noire pour absorber un maximum de radiations solaires dans un minimum de temps. Au cours de la journée, aux périodes les plus chaudes, il va s'éclaircir pour réfléchir les rayons solaires.

 Les Acridiens (Sauterelles et Criquets) présentent une coloration cryptique très marquée. Jusque dans des zones extrêmement arides comme dans le désert d'Atacama, à 3800 m d'altitude, et bien qu'il n'y ait apparemment aucune vie animale, il m'est arrivé de déceler le mouvement d'un criquet, et donc de le voir seulement à ce moment-là ! Au repos, ces insectes sont parfaitement invisibles, et se confondent avec leur environnement. Lorsque j'ai préparé pour une exposition, une carte des déserts présentant dans des boîtes transparentes des échantillons de sols selon les provenances, leur diversité dans les textures, les granulations, les couleurs montraient au public combien les sols arides peuvent être variés, à défaut d'être riches. Chaque échantillon prélevé pourrait représenter la coloration des Criquets que j'y ai rencontré pratiquement à chaque fois ! Quant aux Acridiens très colorés, et donc très visibles, ils sont le plus souvent incomestibles, parfois toxiques : le gros Criquet bariolé du Kalahari est un bon exemple ; même s'il n'a pas la taille de guêpe, il en a la couleur d'avertissement !

 La faune de coloration noire est avantagée à sortir la nuit. Bien que visible le jour, elle fait face à l'insolation et à la chaleur grâce à une "couleur" qui filtre les ultra-violets, et absorbe les infra-rouges.

 La valeur protectrice de la teinte sable d'une partie de la faune érémiticole a été mise en doute par le fait que les animaux prédateurs utilisent l'odorat et l'ouïe pour la recherche des proies (ou la surveillance des prédateurs chez les victimes potentielles), et que la vue, qui ne doit pas être calquée sur la nôtre, serait somme toute secondaire ; telle antilope pressentira le danger bien avant d'avoir aperçu le fauve. D'autre part, l'examen du contenu stomacal d'oiseaux a démontré que de nombreux insectes couleur sable n'avaient pas été protégés par leur coloration cryptique. Heureusement pour tout le monde. Les uns finiraient par mourir de faim, les autres se multiplieraient à l'infini. J'imagine mal un grouillement d'insectes couleur sable, piétinés par des oiseaux qui ne les verraient pas ! L'homochromie est efficace, mais elle a ses limites. On a beau être adapté, personne n'est parfait !

• Comportement sociaux.

 Compte tenu de leur extrême fragilité due au faible potentiel biologique des zones arides, l'interpénétration des chaînes alimentaires a une importance majeure et influe directement sur le comportement social des espèces.

 On assiste même, dans la savane africaine par exemple, à une hiérarchisation dans la possession et l'utilisation d'une charogne, selon les goûts, les tailles, les capacités de chacun : d'abord la Hyène tachetée (Crocuta crocuta), capable de briser d'un coup de mâchoire les os les plus durs ; puis le Chacal à dos noir (Canis mesomelas) arrache les morceaux de viande. Le Vautour de Rüppell (Gyps rueppellii) et celui à dos blanc (Pseudogyps africanus), qui ont un long cou dénudé, l'introduisent dans le ventre de la bête pour en extraire les viscères ; l'Oricou (Torgos tracheliotus) préfère la viande plus coriace, le Vautour à tête blanche (Trigonoceps occipitalis) dévore muscles et tendons. Le Vautour à capuchon (Necrosyrtes monachus) et le Percnoptère (Neophron percnopterus) prélèvent des lambeaux de chair en décomposition : bref, tout le monde a son compte. On se bouscule un peu, mais chacun occupe une niche écologique bien distincte : halte à la concurrence !

 La notion de territoire en zone aride ou semi-aride est plus large que pour d'autres milieux, parce que les facteurs limitants sont plus nombreux ; l'espace et le vide biologique relatif rassemblent faune et flore dans des micro-climats très localisés, massifs montagneux, oasis, dunes… ou obligent l'animal à disposer d'un territoire très vaste pour subvenir à ses besoins.

 La distance critique varie selon les espèces ; la distance de fuite est celle, par exemple, que ressent le gnou au moment où la lionne "dépasse les bornes", et l'oblige à s'enfuir. La distance d'attaque est, par exemple, celle nécessaire à la lionne pour avoir une bonne chance d'attraper le gnou. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ces deux distances critiques ne sont pas sensiblement égales. Pour le gnou, la distance de fuite doit être toujours plus grande que la distance d'attaque de la lionne : c'est ce qu'on pourrait appeler la "marge de sécurité".

 Au point d'eau, il existe des horaires précis par espèce, et une régulation hiérarchique de l'abreuvage lorsque le point d'eau est restreint. On trouve ainsi auprès de l'eau, un grand nombre d'espèces animales qui se côtoient par nécessité, parfois par commodité ou intérêt. Une des particularités de la faune des steppes et savanes, et notamment des Ongulés, est leur comportement grégaire. C'est, semblerait-il, un excellent moyen que de se regrouper pour boire, pour manger : l'union fait la force. Cela n'empêche pas les prédateur de "foncer dans le tas" et d'y prélever une proie, la moins rapide, la plus faible.

 Ces prélèvements d'animaux moins bien dotés que d'autres assurent une "qualité génétique" supérieure par l'élimination des plus faibles. Au Kenya par exemple, on constate des associations grégaires de Zèbres (Hippotigris quagga), Gnous (Connochaetes taurinus), Gazelles de Grant (Gazella grantii), Gazelles de Thomson (Gazella thomsonii) et Autruches (Struthio camelus). Ces associations défensives permettent de combiner les espèces qui ont un odorat développé, avec d'autres qui possèdent une excellente vue, augmentant les chances de détection rapide d'un prédateur, et la fuite immédiate.

 Selon le milieu, dans les hautes herbes des savanes, c'est l'odorat des antilopes qui prime, alors que les autruches et leur vue perçantes sont plus efficaces en terrain plat et découvert. Des contrats d'assistance mutuelle associent les Impalas (Aepyceros melampus) et les oiseaux Buphages (Buphagus africanus), spécialistes du nettoyage en tout genre, ces derniers devenant un excellent signal d'alarme en cas de danger.

 Les migrations trophiques, liées à la recherche de nouveaux pâturages (Bisons, Gnous, Eléphants…) obligent les grands troupeaux d'Ongulés à se déplacer pour survivre. Ces mouvements coïncident précisément avec des pluies saisonnières, et la mise en marche des populations migratrices ne se fait qu'en fonction d'importantes précipitations, prévues ou non ( le service météo des gnous semble plus précis et plus fiable que le nôtre…).

• Comportement sexuel et reproduction.

 L'animal au désert doit adopter un comportement spécifique en rapport avec le milieu pour mener à bien la perpétuation de son espèce. Tout semble programmé pour cela. Pour reprendre l'exemple des animaux à grandes oreilles, l'hypertrophie des bulles tympaniques s'ajoute à des pavillons auriculaires aux dimensions souvent impressionnantes (Lepus californicus). Cela facilite l'état de veille permanent, mais également la rencontre d'une faune dispersée dans un milieu ouvert. Les chances de se croiser étant plutôt rares, la nature a doté certains de moyens efficaces qui, liés à des cris, des appels caractéristiques (le Coyote, Canis latrans, par ex.) permettent le rassemblement d'individus isolés, et en période reproductive, l'accouplement.

 Le comportement sexuel et la reproduction de la faune des zones arides et semi-arides sont liés aux rythmes circadiens et aux précipitations. L'influence de la longueur du jour, des saisons et des conditions météorologiques même localisées, est nette : des Batraciens (Grenouilles et Crapauds ) apparaissent quelques heures seulement après le remplissage par une averse d'une mare asséchée, dans un concert joyeux et bruyant de coassements ! Dans une large mesure, les comportements sexuels et reproductifs semblent conditionnés par les période de pluies, souvent pressenties.
Niches écologiques.

 L'occupation par la faune d'un milieu donné est une situation privilégiée pour des animaux parfaitement adaptés, mais représente un danger pour les espèces en cas de bouleversement écologique.

 L'Australie s'est séparé très tôt du continent originel Gondwana et, parti comme une bateau-fantôme à la dérive, a évolué très différemment. Les éco-systèmes australiens sont bâtis sur des bases distinctes de celles des autres régions biogéographiques, et cela a fait se développer un groupe particulier de mammifères : les Marsupiaux..

 Plantes, prédateurs et proies ont évolué parallèlement sans qu'aucun apport extérieur ne vienne modifier cet état. Il y a environ 10 à 12000 ans, les premiers hommes ont introduit un animal placentaire, le Dingo (Canis familiaris dingo). Apparemment bien adapté, acceptant un régime alimentaire assez éclectique, le dingo a très vite prospéré, et fait disparaître certaines espèces de Marsupiaux herbivores, mais aussi des carnivores dont il a occupé la niche écologique (le Loup de Tasmanie, Thylacinus cynocephalus). Concurrence déloyale, premier accident écologique (involontaire !) dû à l'homme, le Dingo a néanmoins fini par s'intégrer plus ou moins avec la faune locale. Cela a tout de même nécessité quelque 10000 ans…

 Imaginez aujourd'hui les catastrophes écologiques des introductions massives non d'une seule espèce mais de très nombreuses et variées, de reproductions "sauvages" incontrôlables de chats, renards, lapins, ânes, moutons, chèvres, buffles et même chameaux, et vous comprendrez aisément que l'Australie est en grand danger. Je dis bien l'Australie, et pas seulement sa faune, car ces changements influent également sur la couverture végétale, la prolifération, la raréfaction ou la disparition d'espèces botaniques, et provoqueront à court terme une grave modification des paysages et de l'environnement.

• Adaptations écophysiologiques.

 Le matin, en pliant ma tente dans n'importe quel désert du monde, j'ai souvent eu la surprise de découvrir un, deux, voire trois Scorpions (Vejovis spinigeris par ex.) sous le tapis de sol (sans compter les Coléoptères, Solifuges, Mygales, Gerboises ou Mériones, un Crotale, Crotalus cerastes, également cachés dessous, plus une Veuve noire à l'intérieur de la tente !). Animal du désert par excellence, le Scorpion résiste à tout. Merveilleusement adapté à son environnement, il n'a pratiquement pas évolué depuis l'ère Primaire (Paléozoïque). Ce mystère de la nature peut rester trois ans sans nourriture et supporte sans dommage une explosion nucléaire (expériences au Nevada en 1947, au Sahara en 1960). Dans des endroits apparemment abiotiques, j'ai rencontré des criquets solitaires. De quoi peuvent-ils bien se nourrir ?

 Les Pimélies (Pimelia angulata) peuvent se passer de nourriture pendant 40 jours. Le jeûne semble être l'un des modes d'adaptation fréquemment utilisé, pour peu qu'on ait fait des réserves au préalable, qu'on puisse les stocker, et les utiliser en cas de besoin. Le Chameau à une bosse, ou Dromadaire (Camelus dromedarius) a trouvé la solution : il accumule des graisses dans sa bosse. Il n'est pas le seul. De nombreux lézards stockent des amas graisseux dans leur queue : Fouette-queue saharien (Uromastyx acanthinurus), Monstre de Gila mexicain (Heloderma suspectum), ou encore Scinque "pomme de pin" australien (Tiliqua rugosa). Les Tortues font même des réserves d'eau sous leur carapace. On pourrait ajouter que les Gangas (Pterocles alchata, orientalis) collectent de l'eau dans leurs plumes ! Le Ganga mâle s'abreuve tôt le matin, et plonge ses plumes de poitrine ébouriffées dans l'eau, pour les saturer. Il revient ensuite au nid, et les petits sont à leur tour abreuvés en aspirant l'eau conservée dans le plumage de l'oiseau !

 Le Rat des sables (Psammomys obesus) se nourrit essentiellement de Chénopodiacées (plantes halophiles) ; sa présence est donc liée à celle des plantes qui vivent dans les milieux salés. Peu adapté au désert, il peut néanmoins supporter la salinité de son régime alimentaire, excrétant une urine très concentrée (24% d'urée, soit 5 fois plus que l'être humain). En captivité, si l'on supprime son régime de plantes halophiles, il devient…diabétique !

 Le Rat-kangourou américain (Dipodomys merriami), au contraire de son cousin saharien, peut passer sa vie entière sans boire une seule goutte d'eau, et se nourrir exclusivement de graines contenant 10 à 12%. Comme le Rat des sables, le Rat-kangourou urine peu, et la concentration en urée est très élevée.

 L'appareil locomoteur est très développé chez les insectes, les reptiles et les mammifères. Parmi les animaux des déserts, se trouvent de nombreux fouisseurs, forcés par la nécessité de s'enterrer aux heures les plus chaudes de la journée. On rencontre également des sauteurs comme la Gerboise (Jaculus jaculus). L'adaptation plus ou moins marquée de la bipédie est généralement accompagnée d'une hypertrophie de l'appendice caudal, allongé et qui sert de balancier (et dans certains cas, de réserve de graisse). Dans un milieu ouvert tel que le désert australien, la bipédie des Kangourous (Macropus rufus par ex.) est un avantage. Des lézards comme Chlamydosaurus kingii l'emploient aussi. Le Pérentie ou Varan géant (Varanus giganteus) est un habile grimpeur et possède de solides griffes.

 Dans le désert de Gibson en Australie, j'ai eu l'occasion de découvrir le Diable épineux (Moloch horridus). Ce petit lézard tout à fait inoffensif d'à peine 15 cm de longueur se contente de dévorer toutes les fourmis qu'il peut attraper pour son déjeuner, c'est-à-dire jusqu'à 3000 ! La boule de graisse qu'il possède au-dessus de la nuque lui sert de réserve de nourriture. ; tout son corps est constitué en surface d'un réseau microscopique de canaux qui, lorsque la pluie tombe, amènent l'eau jusqu'à sa bouche. Lorsqu'il ne pleut pas, ses piquants agissent comme condensateurs qui drainent l'eau de rosée ou de l'humidité atmosphérique. L'eau captée de cette ingénieuse manière lui permet d'étancher sa soif sans difficulté et en toutes occasions !

 La majeure partie des animaux réellement adaptés au milieu aride est capable de se contenter de l'eau contenue dans les proies. L'éternel dilemme est de choisir entre l'immobilisme pour réduire les pertes en eau et en énergie, et le mouvement pour refroidir son organisme ou capturer une proie. la vie animale au désert est faite de ces rythmes opposés, selon les circonstances du moment, du lieu, de l'heure…

 Les Ratites (Autruches, Emeus, Nandous) des steppes arbustives ont une taille et une morphologie qui ne leur permettent pas de voler, de s'abriter du rayonnement solaire et de la chaleur ; leurs pattes démesurées ont des fonctions diverses (course, défense…) et entre autres, celles de placer leur corps en période chaude, à une hauteur où la température est plus acceptable. Elles possèdent des glandes nasales qui leur permettent d'éliminer les sels, et donc de pouvoir boire de l'eau saumâtre, voire carrément salée. L'excès de sels disparaît de la même manière chez le lézard Fouette-queue (Uromastyx acanthinurus), dont le régime alimentaire se compose notamment de plantes riches en sels (plantes halophytes).

 Le Chameau à une bosse, ou Dromadaire (Camelus dromedarius) a de la chance ! Bien qu'il ait des besoins physiologiques de boire, l'évolution l'a conduit à développer une stratégie complexe, tolérant de grandes variations de température, économisant l'eau de diverses façons. Pour l'homme, la thermorégulation augmente les pertes en eau dans les milieux désertiques, provoquant une transpiration plus active pour maintenir une température interne constante d'environ 37.4°C. Si la température ambiante dépasse les 34°C, même sans activité, la sudation augmente considérablement, et les pertes en eau sont importantes. Il faut pouvoir les compenser. Le Chameau, lui, peut supporter une température ambiante de 40.7°C avant de commencer à transpirer ! Il accuse sans dommages une déperdition d'eau énorme : jusqu'à 30% de son poids, alors que chez l'homme, plus de 12% le vouent à une mort certaine. Les déperditions prolongées d'eau entrainent, chez la plupart des mammifères, un épaississement progressif du sang, allant jusqu'à une augmentation brutale de la température interne ("coup de chaleur"), puis la mort rapide. Au contraire, chez le Chameau, qui peut diluer son sang*(1), l'eau de refroidissement est prélevée dans le sang (jusqu'à ce qu'il soit à son niveau normal de dilution), et surtout dans les tissus graisseux et musculaires. Quoi qu'il arrive, le volume normal du sang reste toujours constant. Il est évident que pour que le système fonctionne, l'animal doit s'abreuver au préalable : pour pouvoir vivre sur ses réserves, il faut en avoir !

• Régression de la faune des déserts.

 Depuis le début du siècle, on constate une nette régression, inexorable et critique, de nombreuses espèces d'animaux vivant dans les zones arides, semi-arides et les savanes. Les bouleversements climatiques sont dus en grande partie aux modifications de l'environnement (Homo non sapiens causa…) : c'est l'une des causes de la disparition du Condor de Californie (Gymnogyps californianus). Et si le comportement de l'homme chasseur n'a pas changé*(2), les armes se sont perfectionnées, permettant aux émirs du pétrole de tirer les Gazelles… à la mitrailleuse, aux Canadiens d'utiliser l'hélicoptère pour tirer les Loups, et aux Australiens, pour mieux assassiner les Kangourous*(3), comme si l'introduction massive inconsciente d'animaux placentaires n'avait pas suffit… De plus, les kangourous (et bien d'autres espèces d'animaux) paient un lourd tribut quotidien aux accidents de la route ; en une journée de bicyclette, soit une soixantaine de kilomètres dans le Western Australia, j'ai dénombré 167 cadavres récents de kangourous, toutes espèces confondues…
 N'essaye-t'on pas de nous persuader de la survie du Loup de Tasmanie ou Thylacine (Thylacinus cynocephalus), mammifère marsupial exterminé par l'homme, qui tua le dernier en 1930 ? Il n'y a que les fantômes pour avoir la vie dure…

*(1) Le dromadaire est capable de boire jusqu'à 115 litres d'eau en une dizaine de minutes ; ses globules rouges peuvent doubler de volume sans dommages.
*(2) Même aux temps préhistoriques, j'en soupçonne un certain nombre d'avoir tué pour le plaisir…
*(3) En 1990, on faisait état de 2 millions de kangourous massacrés chaque année, par jeu, ou pour nourrir nos chats et nos chiens…
 

• De la savane au désert ?

 Le déplacement de grands troupeaux d'éléphants (Loxodonta africana) est nécessaire, car ce ne sont pas, compte tenu de leurs besoins alimentaires et de leur instinct grégaire, des animaux sédentaires. Lorsque vers le mois de mars, les troupeaux quittent les régions de pâturage pour une migration lointaine, à la recherche de nouvelles savanes arrosées par des pluies, ils permettent à la végétation de se reconstituer. Or, l'homme a énormément de mal à agir, sans provoquer à chaque fois de profonds bouleversements écologiques. Cette fois, pour protéger (en théorie du moins et entre autres raisons…) ces populations de pachydermes des balles des chasseurs d'ivoire, on crée des réserves là où il y a un point d'eau permanent. Et les problèmes ne font que commencer.

 L'Eléphant d'Afrique (Loxodonta africana) n'est absolument pas un animal du désert, mais parce qu'il vit dans les savanes, traitées dans cet ouvrage, il lui arrive parfois de traverser des zones arides ou semi-arides. Il s'alimente de deux manières selon les époques ; durant la saison des pluies, il consomme de grandes quantités d'herbes bien grasses et vertes, puis il migre vers d'autres régions temporairement verdoyantes. En saison sèche, il se rabat sur les arbrisseaux, les arbustes et les arbres dont il mange feuilles branches et tronc, ayant une prédilection pour le juteux Baobab (Adansonia digitata). Les incendies provoqués par l'homme ont considérablement réduit ses routes migratrices, car les arbres des forêts primitives ont été remplacés par des herbes, le plus souvent desséchées par un microclimat modifié. Réduits à se sédentariser auprès des points d'eau imposés par l'homme, les autres étant utilisés par le bétail, les éléphants ne sortent pratiquement plus des réserves (qui ne sont pourtant pas des lieux clos).

 Quel spectacle plus désolant que celui du Parc Murchison en Ouganda, ou d'Amboseli au Kenya, où les éléphants ruinent leur dernier refuge par piétinement, surpopulation et destruction des jeunes arbres qui ne peuvent reconstituer la savane primitive, car ils sont systématiquement dévorés… Partout, des arbres squelettiques dépossédés de leur feuillage, déracinés, morts. Pire : pour stopper la disparition des éléphants avec celle de leur milieu, on doit, dans certains endroits, faire abattre des bêtes pour garder le fragile contrôle de la situation. C'est ce qu'on appelle, en matière de protection de la nature, la gestion du patrimoine !…* 

* A noter que pour couronner le tout, les Masais sont présents à l'intérieur de Parcs comme celui d'Amboseli au Kenya, avec leurs troupeaux, ce qui ne fait qu'accentuer la dégradation du milieu, et augmenter les problèmes.

 Pleins de bonnes intentions, les écologistes réintroduisent des animaux disparus de nos régions (Lynx, Castors, Loups, Visons…). Aurait-on oublié que ces animaux ont précisément disparu parce que leur milieu naturel a été détruit ? Car on les a massacré, mais on a aussi massacré la forêt, les haies, les lacs, les marais les montagnes… Pollution des cours d'eau, "concurrence déloyale " aux pêcheurs et aux chasseurs, ces grands défenseurs de la nature (avec des armes…offensives…), obligés d'élever du gibier en cage pour aller le tuer…comme un lapin… La notion de territoire est valable pour tous les animaux (et les hommes !…). Si ce territoire et son potentiel biologique sont réduits, on se rabat sur ce qui reste : cultures pour les uns, bétail pour les autres. Et les producteurs de maïs kenyans sont en colère contre les éléphants, les éleveurs de moutons français veulent la peau des lynx ou des ours. La chaîne écologique est rompue, les biocénoses n'existent plus, et l'on persiste…

 Si les chasseurs pouvaient vivre en bonne intelligence avec les prédateurs, et si le milieu était resté intact, tout le monde serait content. Oui, mais voilà, la faute à qui ?… Aux Etats-Unis, dans les années 60, le Bureau des Pêches Sportives et de la Faune Sauvage disposa des appâts empoisonnés destinés aux Coyotes (Canis latrans). Les coyotes furent décimés, ainsi que de nombreux autres prédateurs tout aussi innocents, mais ne sachant pas lire les panneaux de mise en garde : "Attention : appâts empoisonnés destinés aux coyotes"… Les rongeurs parasites en profitèrent, se multiplièrent, s'attaquèrent aux récoltes… En 1972, le Président Nixon dut interdire l'usage du poison. Entre temps, que de dégâts irrémédiables…

 La destruction d'une biocénose peut provenir de celle du biotope et, ou de ses occupants ; elle peut également trouver son origine dans l'introduction accidentelle ou intentionnelle de nouvelles espèces concurrentes (lapins en Australie, poissons-chats en Europe…). Face à un milieu très dégradé, les zones arides ne bénéficient pas d'une qualité de protection semblable à d'autres régions, parce que l'économie des pays concernés est sous-développée. Le tourisme -contrôlé- est l'une des solutions pour enseigner aux générations futures, les écosystèmes complexes et uniques qui régissent les déserts.

DES HOMMES AU DESERT

 Comme le moustique, le rat ou le scorpion, l'homme est partout présent sur la planète Terre. Voué très tôt à une disparition presque certaine, l'être humain n'avait, dès le début de sa carrière, rien ou pas grand-chose pour lui permettre de survivre. Comment attraper une proie avec de tels moyens de locomotion ? Comment échapper aux prédateurs, aux rigueurs du climat ? Pas de crocs puissants, pas de griffes efficaces, pas de force notable, mauvais sauteur, mauvais coureur, bref dès le départ, une espèce envoie d'extinction. Et puis la petite étincelle qui fait court-circuit entre "l'esprit et le silex"… Et tout change. L'homme est non seulement capable de s'adapter à l'environnement hostile (le "Paradis Terrestre"…), mais surtout devient le premier super-prédateur et le seul être vivant à adapter son environnement à lui-même. Et c'est là que les ennuis commencent…

 En vérité, l'être humain montre, dans une certaine mesure, quelques adaptations qui ont contribué à son épanouissement sur toute la planète.

 Au début, c'est-à-dire il y a environ 2 500 000 ans, l'humanoïde est vraisemblablement presque dépourvu de mélanine et protégé par une abondante pilosité. Il est possible que la découverte du feu (± 650 000 ans) se soit accompagnée d'un accommodat adaptatif : la perte de la presque totalité de son système pileux, et notamment des membres supérieurs pour -entre autres ?- une manipulation plus aisée du feu. Ainsi exposé, il aurait développé une pigmentation plus ou moins foncée selon les latitudes, les peaux noires étant mieux protégées du soleil, par leur capacité de filtration des rayons ultra-violets*… 

* Ce ne sont que pures spéculations personnelles, bien séduisantes, n'est-il pas ?…

De plus, les peaux restées blanches dans des régions peu ensoleillées favorisent la synthèse du calciférol (vitamine D), dont l'absence provoque le rachitisme. Les hommes à la peau claire, retournés dans les zones tropicales et notamment dans les savanes sèches depuis ces deux ou trois millénaires ont augmenté leur quantité de mélanine, mais doivent encore se couvrir pour se protéger des ultra-violets (Touaregs, Bédouins, etc.).

 Notre thermorégulation ne nous permet pas de variations de températures de plus de 1°C sans qu'apparaissent des troubles physiologiques. L'équilibre entre la température externe et l'hygrométrie ambiante d'une part, et la transpiration (perte d'eau et et de sels) d'autre part, est constant, à condition que la déshydratation soit compensée par une prise d'eau (et de sels) suffisante, ce qui se fait naturellement. La réduction du volume de l'urine par temps chaud est une aide efficace à la thermorégulation. En revanche, la réduction du volume du plasma sanguin augmente la viscosité du sang, et au-delà de 5% du poids total du corps, les pertes hydriques peuvent conduire à un choc thermique entraînant la mort.

 Il n'existe pas de différence réelle entre les caractéristiques physiologiques de groupes ethniques vivant en pays tempérés, régions polaires ou arides : le rythme cardiaque, la température interne et les quantités d'eau journalières sont les mêmes pour un Breton, un Inuit (Esquimau) ou un Aborigène. Si un Breton par exemple, supporte mal un climat aride, il s'agit d'abord d'habitudes de vies dans un climat différent, et de comportements parfois erronés, comme celui de vouloir accomplir des activités identiques en temps de travail, quantité et qualité.

 Les mauvaises plaisanteries sur le comportement des gens vivant en région méditerranéenne ne sont pas innocentes. L'acclimatation de l'homme dans ces régions a dû passer par une réduction tout à fait naturelle et nécessaire de l'activité humaine. Le rythme de vie est infligé par le climat, et seules des conditions artificielles peuvent nous maintenir au-delà d'un rythme climatique donné : l'utilisation de véhicules à air conditionné, d'édifices climatisés, de réfrigérateurs, etc.

 J'ai été amené à travailler durant quelques semaines dans une mine de fer en Australie de l'Ouest, dans le désert de Gibson. Pour montrer ma capacité au travail, j'ai conservé mon rythme d'Européen. Pas longtemps ! A la première perte de conscience, j'ai dû ralentir. Au bout de trois semaines, mon métabolisme permettait une augmentation des capacités de travail en zone aride. Ma consommation quotidienne était alors de 7 litres d'eau…

 Les raisons qui ont poussé l'homme à vivre dans les déserts sont assez obscures. Des guerres tribales obligeant certains groupes à fuir ont peut-être amené ces derniers à se réfugier dans les contrées limitrophes plus arides. De nombreuses hypothèses ont été avancées, et la plus vraisemblable est qu'en diverses régions où l'homme s'était établi, la sécheresse a commencé à sévir. Ne pouvant se résoudre à quitter les lieux (il est sédentaire là où il dispose d'eau, végétaux, combustible, gibier en suffisance), il est resté, jusqu'au moment où l'aridité, par sa durée, est devenue intolérable. Cela s'est sans doute réparti sur plusieurs générations. Il est même probable que cela ait été imperceptible aux populations, et qu'elles aient suivi les modifications du climat en changeant leur comportement.

 Je sous-entends que les premiers habitants d'un désert "en formation" n'ont pas été la cause, mais les victimes du phénomène. En Europe de l'Ouest, les périodes glacières ont modifié le climat, et ont forcé une partie de la population à émigrer vers le sud, et pourquoi pas jusque vers le Sahara, alors verdoyant dans sa partie septentrionale*. Le recul des glaces commence il y a à peu près 30 000 ans, laissant de riches terrains sédimentaires. La phase aride reprend et nécessite plus de 20 000 ans pour s'installer. Entretemps, l'homme a évolué, et est passé progressivement du stade de chasseur-cueilleur à celui d'agriculteur (-6000 ans). Les restes émouvants que j'ai observés un peu partout au Sahara algérien attestent de villages importants, au vu des innombrables meules dormantes et broyeurs laissés sur place, et montrent une intense activité de la récolte et de l'utilisation des plantes céréalières (culture ou ramassage de Graminées sauvages).

* Avec les glaciations et les régressions marines, un pont naturel devait exister vers Gibraltar, et faciliter les migrations. Rappelons que l'avancée des glaces s'est traduite par un recul des ceintures arides. La dernière glaciation, dite de Würm, est apparue il y a environ 50 000 ans

 L'abattage des forêts, l'utilisation sans cesse grandissante de combustible végétal, et l'allumage de feux pour la mise en culture, le nettoyage des pâturages, le dépistage du gibier, ont largement contribué à l'accélération du processus de désertisation, en créant la désertification, phénomène anthropique. Mais le feu domestiqué n'est pas le seul responsable de l'apparition de la forêt secondaire, puis de la savane. Les éclairs de chaleur peuvent aussi engendrer des incendies, provoqués par la foudre. Mais au contraire des feux de brousse allumés par les hommes, les feux naturels sont toujours limités et souvent éteints par les pluies d'orage qui suivent. L'Australie, le Brésil, la zone africaine du Sahel et bien d'autres régions connaissent les deux phénomènes, naturels et artificiels. Le surpâturage de zones fragilisées accroit aujourd'hui sous nos yeux, l'extension rapide des savanes sèches et des steppe désertiques.

• Peuplement et modes de vie.

 La répartition de l'homme au désert est de toute évidence très inégale. L'oasis, point d'eau permanent, a rendu la vie sédentaire possible, bien que le milieu ait été profondément modifié par l'homme. De grandes villes sont nées d'oasis souvent modestes : Alice Springs en Australie, Lima au Pérou, Antofagasta au Chili, Los Angeles ou Las Vegas aux Etats-Unis, etc. L'oasis primitive ressemble ressemble à une île au milieu de la mer du désert ; les sédentaires s'y livrent à une activité essentiellement agricole et commerciale.

 Le Palmier-dattier (Phoenix dactylifera) introduit par l'homme dans la plupart des oasis des déserts du globe, est d'une importance économique considérable. De très grandes palmeraies existent un peu partout en Afrique et au Moyen-Orient bien sûr, mais également au Pérou, au Mexique (San Ignacio, Basse-Californie), aux Etats-Unis (Palm Springs en Californie), etc. Fraîches ou séchées, les dattes sont l'aliment de base des sédentaires, et plus encore des nomades qui viennent s'approvisionner dans les villages. Distillées, elles donnent l'alcool d'Arak ; les noyaux sont broyés et donnés aux chameaux en complément alimentaire. Les feuilles sont utilisées pour tresser des cordages, des paniers, ou comme combustible. Les troncs morts servent de poutres dans les maisons. Parcourant les anciens châteaux fortifiés, les ksars (ou ksour) de la région du Gourara au Sahara algérien, j'ai pu constater combien le tronc des palmiers avait été mis à contribution comme linteaux et autres poutres de soutènement. Sous les palmiers, les cultures vivrières sont variées : agrumes, grenadiers, figuiers, oliviers, abricotiers, haricots, piments, tomates, salades, oignons etc.

 Les oasis côtières du désert péruvien tirent leur principale subsistance de… la pêche ! C'est l'un des rares déserts où je n'ai pratiquement consommé que du poisson durant un mois de traversée : poisson frais le long du littoral, poisson séché ou en conserve dans l'intérieur des terres.

 Différents types d'oasis parsèment les zones arides. La majeure partie d'entre elles vit grâce à des sources, eaux souterraines ou artésiennes. Suivant les vallées des gigantesques quebradas de l'Atacama, les oasis du désert chilien profitent des eaux saisonnières apportées par la fonte des neiges sur le versant occidental de la Cordillère des Andes.

 Les oasis d'altitude bénéficient des précipitations locales liées à leur situation : par exemple, Windhoek (1779 m d'altitude) dans le désert de Namib. Les oasis densément peuplées sont généralement celles que l'on trouve le long des grands fleuves : le Nil en Egypte, le Rio Grande (ou Rio Bravo) au Mexique, le Tigre et l'Euphrate en Iraq, le Fleuve Jaune en Chine, l'Indus au Pakistan. Régions fertiles, elles ont pour la plupart d'entre elles un passé prestigieux, l'occupation humaine ayant fait naître de grandes civilisations : Mohenjodaro au Pakistan, l'Egypte des Pharaons, les Mésopotamiens, etc.

 La simplicité des matériaux utilisés pour la construction dans les oasis a donné une architecture typique, ordonnée (oasis du Mzab en Algérie, villages Pueblos en Arizona…), et leur confère parfois une noblesse incomparable (architectures du Yémen, et du Rajasthan en Inde).

 L'oasis est un milieu reconstitué en perpétuelle évolution. Les problèmes rencontrés sont divers : assèchement des nappes phréatiques, qualité de l'eau, remontées salines, déplacement des dunes, inondations, sécheresses, maladies etc. Sans cesse, l'homme doit agir pour maintenir son habitat. L'oasis est comme le désert : un milieu extrêmement fragile, avec un handicap supplémentaire, celui d'être entretenu artificiellement par l'homme… Et du sédentaire qui vit dans les oasis, dépend le nomade…

• Sédentarité et nomadisme : la diversité.

"Habitants occasionnels".

 Une espèce prolifique, prédatrice des déserts (et autres milieux vierges à exploiter) est l'habitant occasionnel, non le touriste, presque inoffensif, mais celui qui défigure le paysage en cherchant pétrole, or, diamants, ou plus simplement cuivre, manganèse, fer, phosphate, nitrate. "On abîme ? C'est dans le désert, donc c'est pas grave…".

 Ces gens vivent temporairement dans le désert, et quand je dis vivent, cela n'a aucune commune mesure avec les sédentaires des oasis ou les nomades. Leur vie est artificielle, tout est importé : nourriture, loisirs, boissons fraîches, même l'eau ! Tout ce qui peut servir à fabriquer du froid est présent. De véritables villes-champignons se construisent, tout confort. Je dois dire que j'y ai toujours été très bien accueilli (ma passion pour la minéralogie y étant sans doute pour quelque chose). Que ce soit dans la mine d'argent de Mantos Blancos dans le désert d'Atacama au Chili, la mine de diamants de Jwaneng dans le désert du Kalahari au Botswana, ou encore la mine de fer de Newman dans le Western Australia, j'y ai fait de somptueux repas, très appréciés après des semaines, voire des mois de désert à bicyclette !

 Puis vient le jour de l'épuisement des filons, l'habitant occasionnel abandonne tout, matériels et machines, maisons, hôtels de luxe, même ses morts… Je suis souvent passé au cœur de ces "villes-fantômes", comme celle d'Austin dans le Western Australia, vidée de son animation, de ses chercheurs d'or, et où il ne reste plus que le cimetière ; quelques tombes perdues dans le "bush" témoignent du passage des hommes au début de ce siècle, à la première ruée vers l'or. Les années ont passé, le désert, meurtri, reprend ses droits…

 A Big Bell, dans le Western Australia, la gare est déserte depuis près d'un siècle, et seul reste le four du boulanger ; les planches desséchées du Grand Hôtel laissent flotter au vent quelques lambeaux de tapisseries décolorées : il est loin, le temps du piano mécanique, des danseuses, de la splendeur de Big Bell…

 Lagunas, dans le désert d'Atacama au Chili, est une ville de désolation avec ses rues vides, désertées lorsque les cours du nitrate se sont effondrés. Le désert retourne dans sa solitude passée, couvert de plaies béantes et de cicatrices gigantesques créées par l'homme pour en extraire sa chair et son sang, ses richesses minérales, jusqu'à les épuiser. Alors seulement, il s'en va…

Nomades, chasseurs-collecteurs.

 J'aurais dû commencer par les vrais habitants du désert, ceux qui le respectent, car ils le vivent au quotidien avec tout leur être : les nomades. Ce mot est magique, il exprime l'indépendance et la liberté. A tel point que notre société moderne rejette ce qu'elle a un jour été, et que ce mot en Europe, est presque une péjoration. Ne voit-on pas fleurir aux portes de nos belles cités : "Interdit aux nomades" ?… Les mots "primitif" (= né le premier), et "sauvage" (= qui vit dans la forêt, à l'état libre) aussi ont perdu leur sens profond.

 Pourtant, en zone aride ou semi-aride, la meilleure façon de vivre est de se déplacer, car la reconstitution des stocks naturels d'eau et de comestibles est aléatoire.

 En étudiant les différents groupes actuels de chasseurs-collecteurs, activité première de l'homme primitif, on constate qu'ils sont pour la plupart pacifiques. Cela tient certainement à l'organisation même de leur société. Pas de notion de propriété : le gibier est partagé entre les membres du clan, le chasseur recevant en principe la meilleure part. Ce n'est que lorsque l'homme va commencer à pratiquer l'élevage et l'agriculture* qu'il va susciter les convoitises de son voisin, car ce qu'il produit (bétail, céréales…) lui appartient de fait. Pour les Indiens, la terre n'appartient pas à l'homme : c'est l'homme qui appartient à la terre…

* Les Hopis sont un peuple d'agriculteurs indiens d'Amérique du Nord, et dont le nom signifie : les "Pacifiques"…

 L'exemple-type se trouve parmi les tribus nord-américaines, où l'on rencontre selon les régions, des peuples chasseurs-récolteurs (Shoshones, Paiutes), des agriculteurs (Creeks, Choktaws), des agriculteurs-pasteurs (Hopis, Pueblos, Navajos) et des semi-nomades chasseurs de bisons (Sioux, Cheyennes, Pawnees). Parmi ces derniers, des tribus guerrières vont apparaître dans les grandes plaines centrales (Comanches), et dans la région du nord-est (Mohawks, Senecas, Iroquois).

Bochimans du Kalahari.

 Aujourd'hui encore, des hommes vivent comme nos premiers ancêtres des savanes : les Bochimans ou Bushmen du Kalahari, en Afrique Australe. Ils font partie des plus anciens groupes de nomades, les "chasseurs-collecteurs". Leur langage est assez étrange et se compose de sons et de claquements produits avec la langue.

 Le désert du Kalahari est plus une steppe arbustive qu'un réel désert, et il fournit des produits comestibles d'une grande diversité : petit ou gros gibier, plantes succulentes (ou plantes grasses), fruits, racines, etc. Mais toute cette relative richesse alimentaire est dispersée. La vie des Bochimans n'est pas régie en tribus, mais en clans, ce qui permet à une famille itinérante de subvenir à ses besoins. Les Bochimans (comme les Aborigènes) ne pratiquent donc ni agriculture ni élevage ; le seul animal domestique est le chien, qui sert à la fois de jouet aux enfants, de rabatteur de gibier, de chauffage animal durant les longues nuits glacées de l'hiver austral, et même d'appoint alimentaire lors de disettes.

 Ils construisent des abris sommaires à l'endroit où ils ont tué leur gibier et le consomment sur place. L'homme fabrique le feu en frottant deux morceux de bois l'un contre l'autre. De petite taille, 1,50 m en moyenne, les Bochimans ont encore un mode de vie proche de celui de l'homme préhistorique.

 Peu performantes à cause de l'absence d'empennage, les flèches sont empoisonnées avec des sucs végétaux mêlés à du venin de scorpion ou de serpent. Chaque chasseur possède son mélange, sa recette propre. Quant aux femmes, elles sont chargées de la cueillette des baies et des racines, des tsammas, les melons du désert, de la recherche des lézards et des vers blancs, et du ramassage de l'eau, stockée dans des calebasses ou des œufs d'autruche. Les contacts avec la civilisation leur permettent d'obtenir maintenant allumettes, cuvettes en faience et seaux en plastique, qui ont tendance à remplacer peu à peu les œufs d'autruche.

 L'une des plus curieuses particularités anatomiques des Bochimans tient au muscle fessier, largement développé. Cette stéatopygie, due à des accumulation de graisses, est particulièrement proéminente chez les femmes, et leur permet, en cas de sécheresse prolongée, de pouvoir vivre sur leurs réserves adipeuses. Cela rappelle fort les "Vénus" des temps préhistoriques et leurs formes généreuses. En période de disette, cette adaptation devait aider les femmes à ariver, malgré les privations, au terme de leur grossesse, vitale pour la perpétuation de l'espèce humaine.

 Le Kalahari possède heureusement une faune et une flore assez riches pour des clans itinérants. Il ne faut pas oublier que les Bochimans ont été repoussés au Kalahari dès le début du 17ème siècle par les Bantous et leur bétail arrivant par le nord, puis les Blancs débarquant au sud, au cours d'affrontements sanglants. Aujourd'hui, les Bochimans ont une vie peu enviable, réduits à une quête perpétuelle d'eau et de nourriture. C'est une vie libre, en marge de la civilisation. Pour combien de temps encore ?… Leur territoire se rétrécit d'année en année avec la découverte de nouveaux gisements de diamants, dont les petits hommes du désert ne profiteront jamais, de quelque manière que ce soit. Ils risquent même de payer très cher la richesse minérale de la dernière terre où ils ont élu domicile, la seule qu'on leur ait concédée, car on la croyait sans valeur… Et si leur sable est fait de diamants, les Bochimans ont un avenir qui est loin d'être… brillant ! Pourtant, c'est en sauvegardant leur milieu qu'on permettra aux Bochimans d'être libres de choisir leur avenir, s'il existe encore…

.Aborigènes d'Australie.

 Le milieu semble bien conditionner le mode de vie, car les Aborigènes* se sont adaptés aux savanes australiennes (le "bush") en se basant sur des structures socio-familiales identiques à celles des Bochimans du Kalahari, tout en adoptant un régime alimentaire très éclectique. On pense que les premiers Australiens sont arrivés  au Pléistocène, il y a environ 30 à 40 000 ans. Le site de Mungo, dans l'ouest du New South Wales, atteste d'une occupation de près de 30 000 ans, avec présence d'outils et les traces d'une cérémonie rituelle.

* Le terme "aborigène" désigne les premiers habitants d'un pays. Aujourd'hui, il s'applique essentiellement aux indigènes d'Australie.

 Il semble que le peuplement aborigène en Tasmanie ait été le plus ancien. La séparation de la Tasmanie d'avec le continent australien a eu lieu il y a environ 10 à 12 000 ans, lorsque la fonte des glaciers provoqua l'ennoyage du détroit de Bass, et l'isolement des populations. Les Tasmaniens ne connaissent ni les outils à manche, ni le boomerang, ni les armes de jet, et le Dingo (Canis familiaris dingo) est absent de leur île, ce qui sous-entend également une arrivée tardive de ce canidé placentaire sur la plateforme continentale australienne.

 A l'arrivée des Blancs, colons britanniques (et "convicts", les fameux forçats…) en 1788, on dénombrait à peu près 300 000 Aborigènes : Pitjantjaras, Arandas, Bindibus, Waramungas, Pintubis… Aujourd'hui, ils sont 180 000… Confrontés à ce soudain débarquement des hommes blancs, choc brutal entre deux mondes pensant différemment, ayant des besoins différents, la plupart des tribus aborigènes est actuellement regroupée (mélangée…) dans des réserves, dont les directeurs sont des Blancs… Le but avoué est l'intégration dans la nouvelle société australienne. Hors des solutions proposées par les Blancs, point de salut.

 La vie du chasseur-collecteur aborigène est régie en mode tribal ; la tribu est elle-même divisée en clans familiaux, qui assurent leur propre subsistance sans opérer une pression trop forte sur le milieu. Comme au Kalahari, l'environnement du bush semi-aride ne se prête pas à l'agriculture. Comment "inventer" ou créer une activité impossible ou inutile ? D'ailleurs, les Blancs n'ont-ils pas dû tout importer en Australie : blé, arbres fruitiers, moutons, machines…?

 En l'absence de grands prédateurs, les Aborigènes n'ont pas eu besoin de développer des armes défensives ; le boomerang à lui seul assure la fourniture de viande fraîche pour les clans : il est l'arme absolue, et représente l'une des plus ingénieuses et artistiques réalisations des Aborigènes. Bien que primitive, la civilisation aborigène est très élaborée ; comment faire des provisions si l'on ne peut pas les transporter, ou si leur transport compromet le déplacement des groupes, et plus grave, l'équilibre de capacité alimentaire d'un lieu surexploité ? Il faut donc se déplacer sans cesse en petits groupes d'individus.

 Les Aborigènes ont acquis un sens de l'observation et de l'orientation extraordinaires, et savent où trouver l'eau précieuse. En 1980, j'ai rencontré dans l'Outback, des enfants aborigènes qui chassaient les oiseaux (Corbeau flûteur, Gymnorhina dorsalis et diverses espèces de perroquets) qui entrent dans leur alimentation occasionnelle. Le chasseur est opportuniste : pratiquement tout ce qui vit, vole, rampe, saute, court, grouille, peut être consommé. Dans les déserts, même les "semi-déserts", il n'est pas question de faire le délicat et le difficile sur les ressources vitales disponibles : insectes et larves d'insectes, chenilles, œufs, serpents et lézards, grenouilles, poissons, oiseaux, divers marsupiaux, et jusqu'à leurs chiens (Canis familiaris dingo) en cas de besoin. Les végétaux sont également très prisés et nombreux : racines et tubercules, fruits, champignons, noix, graines, feuilles (de Portulacacées comme Calandrinia par exemple). Ils m'ont fait découvrir un mets délicieux, le nectar de Grevillea eriostachya (également Brachysema chambersii), rappelant le miel et le caramel ; les enfants aborigènes lèchent les inflorescences comme une sucette, ingurgitant par la même occasion quelques fourmis, attirées elles aussi par le nectar.

 Dans les zones semi-arides de l'Australie, (comme aux USA, au Mexique ou ailleurs), les fourmis à miel (Camponotinae, Dolichoderinae) constituent pour les populations de chasseurs-récolteurs, une source alimentaire non négligeable. Certaines fourmis, parmi les ouvrières, sont destinées à devenir les "outres à miel" ; elles sont chargées de stocker les liquides glucosés dans leur jabot. A la saison sèche, les fourmis récolteuses puisent dans leurs réserves vivantes, pendues au plafond de la fourmilière. Ecrasées avec un peu d'eau, noyées, les fourmis à miel (qui mordent avec férocité !) produisent un liquide sucré comparable à la "limonade sans les bulles", et avec un arrière-goût d'Eucalyptus ! Tout est consommé : il y a à boire et à manger.

 Les grenouilles sont également une source de liquide inattendue. Quelques espèces comme Ceratophrys s'enterrent dans le fond des mares temporaires pour se protéger de la sécheresse. Elles peuvent accumuler jusqu'à 50% de leur poids en eau dans leur vessie, l'urée étant évacuée par la peau. D'autres racontent qu'elles se fabriquent une bulle protectrice remplie d'eau pour éviter la déshydratation. L'ingéniosité des hommes est sans limites : lorsque les Aborigènes ont repéré une mare asséchée susceptible de contenir les fameuses grenouilles, ils frappent le sol pour imiter la pluie qui tombe ; le stratagème trompe parfois les grenouilles à un point tel qu'elles se mettent à célébrer le retour des pluies par des chants et des coassements. Ainsi surprises, elles sont capturées et pressées comme de vulgaires citrons !

 Pourtant, la vie des premiers Australiens est encore plus précaire, plus dépouillée que celle des Bochimans d'Afrique australe : ils ne fabriquent pas de huttes de branchages, mais se contentent de brise-vents, en utilisant des touffes de graminées, Spinifex etc.. Plus étrange encore, ils ne possèdent pas de récipients de stockage pour l'eau, et leur vie est conditionnée par la recherche quotidienne de points d'eau, ou l'installation temporaire à proximité de sites où l'eau coule en abondance (Ayers Rock par ex.). Les quelques ustensiles utilisés par les Aborigènes sont la hache de pierre, la lance en bois durci au feu, le boomerang, le bâton à fouir, le trieur de graines (servant aussi de berceau)… Un document ethnographique tourné en 1966 montre les derniers Aborigènes vivant à l'état naturel. En 1980, la triste vision de ce peuple est donnée par les groupes agglutinés près des débits de boisson. La nouvelle société proposée par les Blancs est inadaptée, cela se confirme partout où des chocs de civilisations antinomiques se font jour (révolte d'Indiens au Canada en 1990, au Mexique en 1994…). La plupart des Aborigènes d'Australie, des Bochimans d'Afrique australe, des Indiens d'Amérique, spoliés puis phagocytés par nos lois sur les terres, n'ont pas la notion de travail, de rendement, mais ont l'un des niveaux de vie les plus bas de nos civilisations. Il y a des réserves pour les lions, les éléphants… les Bochimans, les Indiens et les Aborigènes.

 Les Australiens de l'Outback, l'arrière-pays, savent vite devenir agressifs lorsque l'on veut évoquer la condition aborigène : "Ces gens ont l'eau gratuitement, ils ne se lavent même pas !". Dans les villes, on surnomme avec une méchante ironie, un pick-up conduit par des Aborigènes, une "boîte de chocolats" (Chocolate box)… Avons-nous une quelconque considération pour les nomades (même en France…), savons-nous respecter leur mode de vie ? Nos sociétés prônent l'intégration, sans qu'il puisse y avoir un autre choix ou une place à leurs différences. Les nomades "échappent" à nos lois, dit-on, jamais à nos tourments et à nos punitions…

 En Australie, Algérie, Botswana, Afghanistan, Tanzanie, Ethiopie, Iraq, etc, on tente de sédentariser les peuples nomades, parfois déplacés de force, pour mieux les contrôler. Le résultat pratique ne se fait pas attendre : la surexploitation des pâturages et le besoin de combustible sur une maigre superficie ruinent les possibilités de régénérescence de la couverture végétale, et conduit à des catastrophes écologiques pires que les feux de brousses. Il est vrai que le problème n'est pas simple, et que ce sont parfois les nomades qui, acculés par la sécheresse et la famine, émigrent vers les villes (Ethiopie, Niger, Nordeste Brésil…).

 Les Aborigènes de la tribu des Pitjantjaras ont récupéré leur lieu sacré Uluru (Ayers Rock), et continuent à peindre dans des abris sous roche, et à y accomplir leurs rites ancestraux, basés sur le "Temps du Rêve", et Wanambi, l'Esprit du Serpent qui protège les sources sacrées. Rien n'a changé dans leurs croyances, et Mutidjula (Maggie Springs) est toujours la demeure de l'Esprit des Morts. Vaste monolithe d'arkose, l'Ayers Rock est riche de symboles liés aux reliefs d'érosion. Chaque partie d'Uluru (le Symbole de la Terre), chaque anfractuosité a une signification précise et sacrée pour les Aborigènes : Putta, qui signifie "Poche du Kangourou", est un abri sous roche ; Ngoru ("Scarifications rituelles"), également appelé le "Cerveau Humain" à cause de sa forme, est un ensemble de cavités naturelles créées par l'érosion éolienne et chimique le long des stratifications ; Ngaltawadi ("Bâton à Fouir"), surnommé par les hommes blancs la "Queue de Kangourou", est une longue écaille d'arkose, résultat d'une gigantesque érosion par desquamation. Le "folklore" aborigène reflète les rapports étroits qui existent entre eux et la nature.

Indiens d'Amérique.

 Il y a environ 40 000 ans, l'Amérique du Nord possède un pont continental reliant l'Alaska à la Sibérie (la Béringie). Au cours des diverses glaciations et inter-glaciations, ce pont naturel est apparu ou a disparu au gré des fluctuations glacières de l'Arctique, faisant reculer ou avancer d'autant les zones désertiques de la ceinture aride.

 Chassant le mammouth et le caribou, les premiers hommes vont poursuivre leur gibier de choix jusqu'en Alaska, entraînant des vagues d'immigrants d'origine asiatique, qui vont descendre peu à peu en suivant les couloirs libres de glace. Lorsque, en période inter-glacière, le niveau des eaux s'élève et noie le pont naturel, l'immigration est stoppée. Des vagues successives suivront ainsi les périodes glacières, jusqu'à il y a à peu près 11 000 ans. A cette époque, la majeure partie du continent nord-américain connaît une aridité extrême, couvrant les 4/5èmes de son territoire. Les habitants sont alors tributaires d'un environnement hostile, appauvri par de longues périodes de sécheresse. Seuls, les groupes de l'est des Etats-Unis et d'une partie du sud-ouest (désert de Sonora) comme les Hopis, pratiquent l'agriculture ; les groupes côtiers du golfe de Californie et du littoral Atlantique comme les Chumashs, tirent leur alimentation de base de la pêche. La grande partie de ceux qu'on appellera bientôt les Indiens vit dans les Grandes Plaines et les zones arides du centre et de l'ouest américain, comme les Paiutes ou les Comanches, se déplaçant au gré des troupes et des migrations du gibier. Ce sont des chasseurs-récolteurs.

 Vers 1400 après J.C., le climat s'améliore, et le domaine aride régresse, entraînant de nouveaux déplacements, des modifications des modes de subsistance. La chasse et la cueillette sont l'activité de la plupart des indigènes américains, et dure bien après l'arrivée -officielle…-des premiers Blancs à partir de 1492. Certains groupes, comme les Indiens Cochemis de Basse-Californie, aujourd'hui disparus, vivaient d'une manière extrêmement précaire, gérant en quelque sorte la pénurie alimentaire. On retrouve, comme chez tous les peuples de chasseurs-récolteurs le côté éclectique de leur alimentation, toutefois plus végétarienne que carnée.

 Le partage de la "maroma", comme le cite non sans malice Théodore Monod, est un morceau "choisi" parmi les modes d'alimentation de ces Indiens plus récolteurs que chasseurs. On fixe un morceau de viande le plus souvent crue à une ficelle de fibres d'Agave ou autre ; le but consiste à mâcher sommairement le bout de viande, puis à l'avaler. On tire sur la ficelle, et le produit de la régurgitation circule parmi l'assistance de bouche en bouche (d'estomac en estomac, devrais-je dire…), jusqu'à la disparition du morceau. Cela tient d'ailleurs plus d'un rite que d'une "cuisine habituelle", et me fait penser, dans une moindre mesure aux initiations des jeunes futurs guerriers Masais d'Afrique de l'est, les Moranes.

 Les Indiens Cochemis du désert de Vizcaino et les Séris du désert de Sonora pratiquaient également la "deuxième récolte" : les fruits de cactus, très riches en graines, constituent le principal de leur régime alimentaire. Les graines de Pitahaya dulce (Stenocereus thurberi) et Pitahaya agria (Machaerocereus gummosus), ainsi que de diverses espèces d'Echinocereus étaient récupérées des excréments humains, puis broyées pour en faire de la farine !

 Les collecteurs du désert vivent dans le Grand bassin, sur les actuels états du Nevada, Utah, Colorado, Wyoming, Idaho et Oregon. Malgré l'aridité, les Paiutes, Utes, Shoshones, Washas etc, sont installés depuis 10 000 ans, parcourant leur région en clans familiaux, se réunissant uniquement en période d'abondance alimentaire, ce qui est assez rare. Les abris, constitués de branchages, sont rudimentaires, et on les abandonne à chaque déplacement. Tout reflète la précarité de leur vie ; le gibier le plus utilisé (viande, peau…) est le Lièvre américain (Lepus californicus), et fait figure de "gros gibier" en regard des rats, lézards, écureuils, qui sont les animaux les plus fréquents et les plus faciles à attraper dans le milieu difficile où ils vivent.

 Les interdits religieux ne rendent pas la tâche facile, car le concurrent le plus direct, le Coyote (Canis latrans), est protégé par un tabou, et on ne peut le tuer. De plus, la chasse est considérée par de nombreuses tribus indiennes comme un acte sacré… Voilà bien une leçon à tirer pour les piètres chasseurs d'aujourd'hui, soi-disant protecteurs de notre nature, et qui ne supportent pas la "concurrence", ou le respect des territoires de chasse (celui de l'Ours des Pyrénées, Ursus arctos, par exemple.

 Le climat du Grand Bassin est rigoureux en hiver. C'est l'époque la plus difficile pour les collecteurs du désert. Cela n'empêche pas les Paiutes d'être de véritables artistes dans le domaine de la vannerie, et d'avoir une riche mythologie basée sur les rapports entre les hommes et les animaux, du temps où ils pouvaient communiquer, et surtout le Coyote, qui un jour, vola le feu pour sauver les hommes des ténèbres glacées…

 Parmi les Indiens d'Amérique les plus primitifs et les moins connus, disparus depuis peu ou "assimilés", les quatre tribus de Fuégiens existent encore à l'arrivée de Charles Darwin et du navire "Beagle" en 1832. Les deux plus importantes, les Onas et les Yhagans vivent d'une manière qui défie l'imagination ; Darwin raconte qu'il découvrit des êtres humains complètement nus, parfois couverts d'une seule peau de Guanaco (Lama guanicoe) ou d'Otarie, toujours pieds-nus, vivant dans d'épouvantables conditions climatiques : glace et neige toute l'année dans cette zone proche de l'Antarctique.

 Ces chasseurs-récolteurs semblent avoir un métabolisme hors des normes humaines acceptables, ce qui leur a permis de survivre dans un environnement particulièrement hostile, dormant sur un sol humide et gelé, chassant à l'arc, et pêchant à l'aide de canoës, transportant avec eux le feu sur leurs frêles esquifs, ce qui a donné son nom à la Terre de Feu.

 Deux tribus, les Selk'Nams de la Terre de Feu, et les Tehuelches de Patagonie, chasseurs de Guanacos, ont disparu peu après l'arrivée des Blancs : maladies, introduction du mouton qui a chassé le Guanaco, ruées vers l'or, massacres, ont été les principales causes de leur extinction.

Chasseurs-agriculteurs-pasteurs.

 Le nomadisme primitif des chasseurs-récolteurs évolue avec la technologie humaine, une structure sociale plus complexe se définit avec la phase agricole et pastorale. Cela peut correspondre, mais c'est peu probable, à une péjoration du climat, ou répond à la nécessité de nourrir des populations de plus en plus importantes qui auraient tendance à se sédentariser peu à peu. L'avènement de la domestication des plantes et des animaux va amener l'être humain vers de nouvelles activités : tissage, vannerie, poterie. Son environnement n'a rien d'un désert ; il dispose d'un point d'eau permanent ou de la proximité d'un fleuve : les grandes civilisations nées de l'agriculture sont celles qui ont eu pour berceau le Nil, l'Euphrate, l'Indus.

 De 6 à 7000 ans av. J.C., le Sahara semble avoir connu en certains endroits, un climat analogue à celui actuel du Kenya, lui donnant un aspect de savane arborée. Les gravures et peintures rupestres des tassilis algériens montrent des chasseurs-éleveurs évoluant avec une faune sauvage aujourd'hui disparue du Sahara : rhinocéros, girafes, autruches, hippopotames, éléphants, crocodiles… L'abondance de meules dormantes et de broyeurs indique une intense activité de récolte de graines, sinon d'agriculture. La disparition (migration ?) semble bien être due à une péjoration du climat, mais s'est étalée dans le temps, durant environ 5 à 6000 ans.

 Les guerriers-pasteurs contemporains comme les Masais ou les Turkanas règlent leur mode de vie en fonction de chutes de pluies saisonnières. le type de végétation que l'on y rencontre est une savane arborée sèche très variée, tantôt steppique, tantôt proche de la forêt-galerie. Leur territoire se partage entre la Tanzanie et le Kenya pour les Masais, et entre le Kenya et l'Ethiopie pour les Turkanas. Les Masais sont un vivant exemple de la vie pastorale en savane. Le gibier n'est chassé qu'en de rares occasions, pour prouver sa valeur, pour obtenir un trophée, pour défendre son troupeau, jamais pour se nourrir. Toute leur existence est basée sur l'élevage. Il est très rare qu'ils sacrifient un bœuf, sauf lors de cérémonies rituelles, et leurs troupeaux sont très importants ; on compte actuellement plus d'un million de têtes (Zébus).

 Périodiquement, les pasteurs prélèvent un peu de sang frais d'un animal, en lui décochant une flèche dans la veine jugulaire. Mêlé à du lait de vache, c'est un aliment typique et préféré qui fait les délices des Masais. Ce n'est donc pas tant la qualité de la viande, ni même la quantité de lait que le troupeau produit, que le nombre de bêtes qui importe. C'est le "compte en banque" du Masai qui permet à celui-ci, polygame, d'avoir plusieurs femmes. Lorsque l'on voit un pasteur faisant paître son troupeau dans une savane aussi pauvre, on peut aisément apprécier l'importance que le Masai accorde à ses bêtes. La croissance démographique galopante des Masais (et de leurs troupeaux…) voit apparaître des phénomènes critiques : le surpâturage, concurrence avec la faune sauvage, appropriation des points d'eau et installation de villages au sein même des Réserves et Parcs Nationaux (Amboseli au Kenya par ex.). Cette situation ne doit pas être négligée, si l'on veut que l'homme et l'animal puissent cohabiter sans heurts.

 Autre exemple très vivant : les agriculteurs-pasteurs de la brillante culture Pueblo du sud-ouest des Etats-Unis, Hopis Zunis, Havasupais, etc, eux-mêmes issus de la civilisation Anasazi, apparue au début de notre ère. ces Indiens ont porté la poterie et la vannerie à un haut degré artistique. Le façonnage actuel de bijoux en argent et turquoises vient de techniques apportées par les Espagnols.

Nomadisme pastoral.

 Dans la région de la Vallée des Monuments, entre l'Utah et l'Arizona, les Indiens Navajos font encore paître leurs troupeaux de moutons, de même que les Papagos dans la Sierra Madre. La complexité du nomadisme est démontrée dans le désert de Thar, au Rajasthan en Inde, où les groupes nomades ne sont pas à proprement parler régis en tribus, mais en castes. L'utilisation des ressources du désert est le facteur déterminant de leur manière de vivre. Les nomades du Rajasthan peuvent être classés en quatre catégories :
 - les pasteurs (Raikas, Sindhis, Parihars, Billochs…),
 - les commerçants (Banjaras, Ghattiwallas, Gawariyas…),
 - les artisans (Gadoliya Lohars, Sansis, Sattias…),
 - divers autres types de nomades comme les Nats, Kalbeliya Jogis, etc.

 D'après le gouvernement indien, les nomades avaient autrefois une fonction complémentaire dans l'économie du désert de Thar ; mais aujourd'hui, en raison des différents niveaux politiques, sociaux et économiques, ces relations traditionnelles ont été rompues, car le bétail détruit rapidement les maigres pâturages ou cultures. Interviennent également les mesures locales de conservation des sols. En fait, pour le gouvernement indien, les nomades représentent une menace pour la société, et il semble qu'ils ne pourront malheureusement pas échapper à la sédentarisation.

 Le nomadisme pastoral est, dans une grande partie du Sahara, remplacé par le nomadisme commercial, sans doute apparu 1000 ans avant J.C. avec les Phéniciens, mais surtout autour du 1er siècle de notre ère, avec l'arrivée du Dromadaire (Camelus dromedarius). La caravane du sel de la région de Bilma au Niger est une activité anachronique, appelée à être complètement remplacée par les transports routiers, concurrence inégale où chaque camion emporte les charges de 100 chameaux en 4 jours, soit quatre à cinq fois plus vite…

 Au Sahara comme dans le désert de Thar, le nomadisme revêt plusieurs formes. Les Tedas et les Touaregs pratiquent un nomadisme pastoral et commercial, lié aux échanges de produits de base, ceux que n'offre pas le désert : sucre, farine, thé… D'origine berbère, les Touaregs ont combattu les Arabes, et ont gardé cet esprit de farouche indépendance et de liberté de déplacement, aujourd'hui remis en cause par les vicissitudes du climat et les sécheresses prolongées. Certaines pistes sont délaissées par les chameliers car il n'y a plus de pâturage pour les bêtes. Au Niger et dans d'autres pays du Sahel, des conflits sanglants apparaissent entre les populations sédentaires locales et les Touaregs.

 Il existe encore au Sahara (en Mauritanie) un peuple exclusivement chasseur, les Nemadis. A l'aide de leurs chiens, ils traquent gazelles dorcas et antilopes oryx ou addax, et les tuent avec des javelots. Image pleine de réminiscence, du temps où le Sahara n'était peuplé que de chasseurs.

Architecture et habitats : mimétisme ou symbiose ?

 L'homme des déserts a appris à vivre dans son environnement en se façonnant un habitat lié à l'aridité, à son mode de vie, sédentaire ou nomade, et aux matériaux disponibles. Les chasseurs-récolteurs n'ont que des abris sommaires, huttes de branchage, qu'ils abandonnent généralement sur place (Bochimans du Kalahari, Paiutes du désert de l'Utah). Ce caractère provisoire de l'habitation se retrouve chez les pasteurs nomades ou semi-nomades : tentes en poil de chèvre ou de chameau chez les Bédouins d'Arabie, les Pashtouns d'Afghanistan, en poil de Yak (Bos grunniens) chez les Tibétains, en cuir chez les Touaregs du Sahara. La peau de Bison (Bison bison) sert à confectionner les tipis des Indiens des Plaines d'Amérique du Nord, et celle du Guanaco (Lama guanicoe) était utilisée par les Tehuelches de Patagonie.

 Dans les déserts froids de l'Asie Centrale, la yourte mongole en feutre est une merveille architecturale, adaptée au climat rigoureux, et facile à démonter pour le transport.

 Des huttes plus élaborées que celles des Aborigènes et des Bochimans sont confectionnées par les hommes des déserts : protégée des fauves par une enceinte de branches épineuses d'acacia, la case masai est un chef-d'œuvre d'architecture, simple et surtout adaptée au milieu où vit la communauté. Très basses, ovo-spiralées, ces habitations laissent passer peu de lumière et de chaleur ; elles servent surtout de refuge pour la nuit. La case est structurée sur des montants de bois reliés par des fibres végétales et des lanières de cuir. La charpente est cloisonnée, tapissée d'un enduit de glaise mêlée à de la bouse de vache. Le zériba des Touaregs est composé de palissades de roseaux ou de palmes et d'herbes ; le wigwam des Indiens Algonquins et Iroquois est fait de bandes d'écorce cousues et fixées sur une charpente simple constituée de quatre troncs d'arbres flexibles disposés en carré et recourbés vers le centre du toit.

 Le hogan navajo est un peu plus complexe ; les troncs de bois sont assemblés comme une cabane de trappeur, recouverts d'écorces, le tout colmaté avec de la boue séchée. Pas de fenêtres, et une porte toujours dirigée vers l'est. Les sédentaires, comme l'étaient les anciens Anasazis, ont commencé par habiter des "maisons à fosse", semi-enterrées et couvertes de chaume. Puis ils évoluèrent vers des habitats à la surface du sol, de pierre et d'adobe (brique d'argile crue, séchée au soleil), jusqu'à constituer des villages de maisons accolées et superposées, devenant ce qu'on appelle les "pueblos". L'épuisement des ressources et une sécheresse prolongée obligèrent les Pueblos à quitter leurs villages (Pueblo Bonito, Aztec Canyon, Chaco Canyon, Mesa Verde aux USA, Casas Grandes au Mexique) et à abandonner sur place les témoins de leur brillante civilisation.

 Les ksars (ou ksour) sahariens sont de véritables villages fortifiés, chefs-d'œuvre d'architecture alliant le pisé à la pierre ; les linteaux et les poutres sont constitués de troncs de palmier (Phoenix dactylifera). Dans le désert d'Atacama au Chili, on rencontre dans la Cordillère des villages-forteresses précolombiens, comme le "pucara" de Lasana, fait de pierres et charpenté avec du bois de cactus (Trichocereus sp.).

 De véritables villes troglodytiques, comme Pétra dans le désert jordanien, ont développé de riches cultures ; au temps du Christ, la civilisation arabe nabatéenne est en pleine prospérité et Pétra, sa capitale, s'enrichit grâce au contrôle qu'elle exerce sur les caravanes de la Route des Rois.

 Un type d'habitat contemporain très particulier existe en Australie, né de l'activité minière dans le désert de Simpson. La chaleur de l'été austral est telle que les mineurs d'opale utilisent comme habitat permanent les galeries de mines désaffectées ; on nomme ces maisons souterraines des "dugouts", et elles possèdent tout le confort que l'on peut imaginer de nos jours : réfrigérateur, télévision-vidéo en circuit fermé ou satellite, cuisine équipée, salle de billard, etc. La température à l'intérieur d'un dugout est constamment de +21°C à +26°C, cependant que les températures hivernales extérieures sont proches du point de gelée, et qu'en été, +45°C à l'ombre en surface ne sont pas rares. Une ville sans rues et sans maisons apparentes (sauf les magasins) se trouve ainsi dans le South Australia : Coober Pedy, ce qui en langage aborigène veut approximativement dire "Les Blancs dans le trou" !

 Rien à voir avec les superbes gratte-ciels de Sanaa au Yémen, ou les demeures en dentelle de pierre de Jaisalmer, dans le Grand Désert Indien (Thar), témoins d'une urbanisation mêlant la beauté et le raffinement par la pierre : Jaisalmer, la Montagne des Rois, le fort tout en ocre, et la ville à ses pieds ; impressionnante citadelle de grès jaune aux confins de l'Indus, dont les pierres racontent l'histoire des farouches guerriers rajpoutes qui donnèrent un jour leur vie pour défendre le Thar des envahisseurs blancs venus de l'Occident, les soldats d'Alexandre le Grand.

 Aujourd'hui, seuls les tailleurs de pierre perpétuent le passé glorieux de leurs ancêtres moghols, dont les puissants souverains, comme le Shah Jahan, venaient prendre au Thar ses trésors de pierre et de marbre blanc. Ainsi, le marbre du désert servit au grand empereur moghol à bâtir un monument funéraire dont la magnificence ferait passer son nom à la postérité. En 1613, une jeune sultane se marie avec le Shah Jahan, et devient très vite par sa beauté légendaire, Mumtaz Mahal, "l'Elue du Palais". Malheureusement, lorsqu'en 1631, Mumtaz Mahal meurt d'une grave maladie, le chagrin du Shah est si grand qu'il décide de lui construire un tombeau à la mesure de son amour, un mausolée à la mesure de sa toute puissance et de sa richesse.

 Pour cela, les architectes vont faire des prodiges. Les blocs de pierre et de marbre viennent du désert de Thar, près du petit village de Makrana. Ils sont découpés sur place, et transportés sur des chariots tirés par des buffles, des dromadaires ou des éléphants, à 300 km du Grand Désert Indien, à Agra. Les ouvriers vont former une chaîne longue de plus de trois kilomètres afin de pouvoir hisser à la seule force humaine, les matériaux de construction jusqu'à la coupole. Pendant 22 ans, 22 000 hommes vont travailler à ce chef-d'œuvre de pureté, le Taj Mahal, tombeau éternel de la princesse bien-aimée, véritable défi architectural au monde. Pour l'amour d'une belle princesse, l'homme a fait revivre les pierres du désert…

 A Jaisalmer, la pierre témoigne encore des splendeurs du passé : à travers d'étroits passages obscurs, la Ville Dorée se découvre, avec ses maisons ouvragées, ses balcons festonnés, la pierre comme de la dentelle ; travail incroyable, raffinement du ciselé pour lequel on assure que les tailleurs de pierre étaient payés au poids de la poussière qu'ils enlevaient…

 Les superbes cités mozabites de Ghardaïa, El Ateuf, Bou Noura, Melika, Beni Isguen, Guerera, Berriane, dans le sud Algérien, montrent que l'homme peut approcher, dans l'utilisation des éléments minéraux du désert, jusqu'à la perfection : la sebkha donne le "kaddam", mélange de calcaire, de sels et de gypse terreux. Après chauffage, l'homme en obtient le "timchent", sorte de plâtre rosé. Simplicité du matériau, recherche de l'esthétique, les oasis du M'zab sont l'exemple même du mariage heureux entre l'être humain et son milieu aride.

Structures sociales et religieuses.

 L'organisation sociale des peuples vivant au désert est souvent extrêmement complexe, et rites, coutumes et religion ont une importance primordiale. Les grandes religions monothéistes, Islam, Christianisme, Judaïsme, sont nées du désert, et leur zone d'influence a largement débordé des limites du désert.

 Les Touaregs ont la particularité assez unique dans le monde musulman, d'être voilés, alors que leurs femmes ne le sont pas. De fait, les femmes jouissent d'une grande considération dans la société touarègue. La vie religieuse des nomades s'est sensiblement adaptée aux lieux et aux circonstances ; le fait de ne pas manger de porc, viande très riche en calories, permet aussi d'éviter la transmission de maladies telles que la peste porcine. La viande cachère (ou kasher) des Juifs oblige à tuer le mouton selon des rites précis, comme entre autres, celui d'égorger l'animal pour le vider de son sang. De même, la loi coranique interdit de consommer des animaux qui n'auraient pas été tués la tête tournée vers La Mecque. En fait, cela empêche tout bon Musulman (ou Juif pour la viande cachère), de consommer la chair d'animaux dont la provenance serait douteuse. Enfin, en imposant aux nomades musulmans de prier le corps dirigé vers la ville sainte de La Mecque, l'Islam a appris à ses fidèles du désert à s'orienter : faire cinq prières quotidiennes, c'est vérifier son cap cinq fois par jour ! On l'aurait deviné : dans le ciel pur et étoilé des nuits sahariennes, la Grande Ourse se nomme… la Chamelle.

 Les peuples chasseurs-récolteurs qui vivent en clans familiaux doivent lutter contre les phénomènes de consanguinité (entraînant la trisomie 21 ou mongolisme). La plupart du temps, le problème est socialement résolu, et il est par exemple interdit de chercher femme parmi les membres féminins du clan (exogamie). Chez les Aborigènes d'Australie, mais aussi chez certains Indiens d'Amérique du Nord et chez les Inuits (Esquimaux), des expéditions organisées vers d'autres clans permettaient d'enlever des femmes. La nécessité fait même parfois loi, car peu sont disponibles ; en effet, l'infanticide, et notamment l'infanticide féminin est chose assez courante lors de périodes prolongées de disette : la naissance d'une fille chez les Inuits s'accompagne généralement d'infanticide, car les filles ne sont pas pourvoyeuses de gibier.

 Dans le désert de Thar (Rajasthan, Inde), on réduit le nombre de bouches à nourrir en empoisonnant les enfants avec une plante toxique, la Pomme de Sodome (Calotropis procera). Le "géronticide" existe également chez les Bochimans du Kalahari qui, lorsqu'un ancien ne peut plus suivre les déplacements du groupe, l'abandonnent avec un peu d'eau et de nourriture : la survie du clan prime avant tout. Ce qui nous paraît barbare est ici une question de vie ou de mort pour tout le groupe ; un vieillard qui ralentit les déplacements et la course au gibier met en péril le clan tout entier. Il pourra être éventuellement récupéré lors d'un nouveau passage et d'une chasse particulièrement fructueuse (si entretemps, il n'est pas mort de faim ou de soif, et s'il n'a pas été dévoré par les lions…).

 La polygamie, chez presque tous les peuples nomades des déserts, est aussi une nécessité : les femmes sont statistiquement plus nombreuses que les hommes. De plus, beaucoup de chasseurs meurent victimes de leur proie*, sans parler des guerres intertribales meurtrières. Enfin, dans ces sociétés, une femme est faite pour procréer ; il ne peut, il ne doit y avoir de femme célibataire… Ainsi voient-elles arriver non une rivale, mais une nouvelle aide aux tâches domestiques, ménagères et de cueillette.

* A ce sujet, il existe un extraordinaire tableau de chasse reconstitué au Musée Anthropologique de Mexico, montrant les restes d'un Mammouth (Parelephas jeffersonii) criblé de flèches, et plusieurs squelettes de chasseurs qu'il a entraîné avec lui dans la mort en les piétinant.

 On a vu que les troupeaux sont importants pour les Masais, parce qu'ils ont une fonction sociale prépondérante dans leur vie ; ils permettent à une famille de s'alimenter, mais aussi de remplir son rôle dans la communauté. Les bêtes sont nombreuses, au-delà de la nécessité, car elles représentent une valeur symbolique dans le régime matrimonial masai. Une femme peut "valoir" trois vaches, un bœuf, deux chèvres et un mouton, "dédommagement" offert aux parents de la jeune fille à marier, qui voient partir une aide ménagère précieuse. A la frontière tanzanienne, un Masai me fait la conversation :
- Combien as-tu de femmes, dans ton pays ?
- Une.
- Seulement ? Mais alors, tu n'as pas beaucoup de vaches ?
- Non je n'en ai pas beaucoup…
Le Masai reste perplexe.
- Et chez toi, reprend-il, les femmes sont circoncises ?  (Il veut dire excisées).
- Non. Dans mon pays, la France, cela ne se fait pas.
Le choc d'une rencontre, celle de deux sociétés aux conceptions de vie diamétralement opposées…

 Chez les Indiens d'Amérique du Nord, l'homme-médecine a, encore de nos jours gardé un pouvoir étonnant. La mésaventure qui m'est arrivée à ce sujet en 1984 mérite d'être contée. Sur le chemin de Ganado (Arizona), des Navajos m'invitent à une cérémonie à proximité du petit village indien de Klagetoh, et m'embarquent dans leur pick-up. Tout le monde est plus ou moins ivre : c'est aussi la fête. Il s'agit d'une cérémonie traditionnelle ayant pour but de chasser la maladie. Les Navajos qui m'ont emmené dans leur camionnette disent que je peux prendre des photos, et je ne me fais pas prier : sans les voitures, j'aurais l'impression d'avoir remonté un siècle.

 Le shaman ou homme-médecine a fait construire deux huttes ou kivas, l'une pour préparer des potions magiques à base de végétaux, l'autre pour soigner les malades. Pendant que le feu sacré brûle, l'homme-médecine prépare sur le sol de la kiva, l'image magique. Bien qu'invité par des Indiens membres de la tribu, c'est parce que je suis Blanc que je serai chassé par le sorcier dès qu'il m'aura aperçu. Il crie au sacrilège. Aucun homme blanc ne peut assister à une cérémonie rituelle, et pire, prendre des photos*. On commence à me prendre à partie : "Tu n'as rien à faire ici, sale Blanc ! Dehors, le Blanc !". L'alcool aidant, l'hostilité grandit, on essaie d'arracher mon appareil-photos. Je tente de m'expliquer, de m'excuser. Le sorcier crie maintenant en anglais, il veut visiblement que je comprenne : "Tu es un mauvais esprit, tu troubles la cérémonie ! Tu dois partir !". L'agressivité atteint un tel paroxysme que mes hôtes indiens mettent le contact, et démarrent en trombe pour essayer de nous dégager.

* En fait, les photographies des vrais rites indiens sont interdites depuis le début du siècle, pour éviter qu'ils ne prennent un sens touristique et commercial. C'est à ce prix que les Indiens ont su conserver leur identité.

 Une autre aventure similaire m'est arrivée au nord du Kenya, en pays Turkana. L'arrivée du Blanc, qui coïncide avec la pluie, est un heureux présage. D'ailleurs, cet après-midi là, le village sera déserté par les habitants qui vont fêter l'évènement : le Dieu de la Pluie a enfin écouté la tribu. Les guerriers et les femmes sont partis sur un lieu sacré pour l'honorer, chanter et danser jusqu'à la nuit. Les tribus Turkanas sont enfin exaucées : les pâturages vont reverdir, et le bétail va pouvoir s'en mettre plein la panse.

 Quelle ambiance ! Les guerriers dansent en cadence, sautant sur place, une plume d'autruche dans une coiffure bleu ciel. Les femmes, vêtues de simples peaux de chèvres, sont très nobles. Femmes de pasteurs nomades, elles laissent dans leur sillage une forte odeur de lait caillé. Les teintures corporelles ont une grande importance dans la société turkana, et indiquent la condition sociale des personnes ; la lèvre inférieure est souvent percée pour y glisser un bijou de cuivre ou d'argent. Les grelots fixés aux jambes et aux chevilles tintent à chaque saut, et rythment la danse et les chants repris en chœur indistinctement par les hommes ou les femmes. Egalement très coquets, les Turkanas dorment sur un oreiller en bois pour ne pas abîmer leur coiffure, maintenue par un mélange d'argile séchée et teintée en bleu.

 Cette danse à caractère religieux est un spectacle extraordinaire pour mes yeux et mes oreilles. Je prends instinctivement mon magnétophone et mes appareils-photos pour enregistrer cette scène inoubliable. Malheureusement, les danseurs se troublent, je perturbe la fête, je deviens soudain dérangeant. Les guerriers, et surtout les femmes, jugent le fait de photographier comme un acte d'agressivité (mais qui peut parfois se monnayer comme chez les Masais). Je suis le seul Blanc à assister à cette cérémonie d'un autre âge ; le fait d'y avoir été convié ne me permet qu'une présence passive. je range donc les appareils-photos.

 Certains ethnologues utilisent des Polaroïds, et offrent la photo "instantanément". Les Turkanas se dérident très vite, et finissent par se laisser prendre avec un plaisir évident. Pour ma part, je vérifie ce comportement avec un magnétophone, sur lequel ils écoutent avec intérêt et même une vive excitation, entrecoupée de rires bruyants, les enregistrements de leurs chants et de leurs conversations. Cela se passe en 1983…

 Le comportement des Indiens Navajos est lié pour beaucoup à l'interprétation des signes naturels. En été 1984, je suis invité dans un campement de bergers Navajos au Nouveau-Mexique ; ils se sont installés dans les montagnes proches de Shiprock, à l'abri du climat désertique, et font griller une chèvre sur les braises d'un feu. De temps en temps, l'un de nous prend un morceau de viande, et le déchire avec les dents en montrant une évidente satisfaction. La fumée me vient dans la figure, et je me déplace un peu. Le vent a dû tourner car je suis à nouveau enfumé, et je tousse en moulinant. Une vieille indienne dit quelque chose en Navajo, que je ne comprends pas. Loretta, mon hôtesse navajo, me traduit aussitôt : "Quand, autour d'un feu, la fumée va toujours dans la direction de la même personne, cela veut dire qu'elle pense à sa famille." Evidemment, j'y pense, mais ce n'est qu'une coïncidence… D'ailleurs, je me permets de changer radicalement d'endroit pour me mettre en face. La fumée est ensorcelée : elle revient vers moi ! Je tourne autour du feu, sous les rires amusés des Indiens, rien à faire, la fumée se dirige toujours vers moi ! "C'est un heureux présage, ajoute Loretta. Il ne pouvait en être autrement. ce matin, en partant, le premier oiseau aperçu était un aigle. C'est un bon signe, et c'est toi qui l'a vu.".

 En Pays Indien, il n'y a pas d'explications rationnelles à chercher ou à donner : il suffit d'observer et d'écouter la nature…

Maladies de l'homme au désert.

 Si le climat sec du désert est sain., il est néanmoins des maladies qui sont caractéristiques des zones arides : les cancers de la peau sont fréquents chez les Blancs installés dans les déserts américains, africains ou australiens, et notamment sur les façades océaniques, où les nombreux adeptes du bronzage se préparent à une vieillesse prématurément ridée et à une peau cancéreuse. Les peuplades de race blanche au désert ont depuis longtemps compris qu'il fallait au contraire se couvrir.

 Les mouches du désert peuvent être porteuses de germes pathogènes, virus etc, entraînant la propagation du trachome en Afrique, de la fièvre phlébotomique au Sahara (Algérie, Maroc, Tunisie), au Sind (Pakistan) et au Thar (Inde). La maladie de Carrion ou fièvre de Oroya souvent mortelle, est causée par une bactérie (Bartonella bacilliformis), et comme l'indique son nom commun, tiré d'une ville péruvienne, se situe dans le désert du Pérou, au-dessus de 760 m d'altitude.

 Les hogans navajos sont frais l'été et chauds l'hiver, mais l'absence de fenêtres permet au bacille de la tuberculose de se développer, donnant aux Indiens Navajos le triste record américain de cas de tuberculose, six fois plus nombreux par rapport au reste de la population. J'ai rencontré au Pérou, le Docteur Mendoza qui, dans la région d'Ica, étudie les momies pré-incas d'un âge moyen de 2300 ans. Les momies pré-incas n'ont pas été éviscérées et embaumées comme c'était le cas chez les anciens Egyptiens. Seule l'aridité extrême du désert de Lurin a permis la conservation complète des corps ; la peau montre des tatouages, les contenus stomacaux permettent d'analyser les modes d'alimentation, mais surtout, on a découvert dans les poumons momifiés de certaines dépouilles, le fameux bacille de Koch, responsable de la tuberculose… On a également détecté des tumeurs cancéreuses et des cas de syphilis.

 Les leishmanioses sont des maladies infectieuses parfois mortelles, causées par des protozoaires flagellés du genre Leishmania (du nom de son découvreur, Leishman), que l'on trouve par exemple au Sahara ou en Argentine (Gran Chaco) et au Mexique. Certaines atteignent la peau, comme le "bouton d'Orient", pouvant se propager par contact direct. Les rongeurs du désert, les Canidés (Chacals, Fennecs), les singes sont les principaux vecteurs de cette maladie.

 Les amibiases et dysenteries sont fréquentes dans les oasis, où la qualité de l'eau est souvent loin d'être satisfaisante. La malnutrition provoque des consomptions dramatiques (pays du Sahel), et dans les lieux irrigués, la présence d'eau stagnante favorise le développement des anophèles (Plasmodium culex, Aedes aegypti, Anopheles gambiae) qui transmettent la malaria, la dengue, etc. Heureusement, plus l'aridité est prononcée, plus la maladie a tendance à reculer.

 Le "rhumatisme du désert" ou coccidiomycose est une arthrite allergique également la fièvre de San Joaquin. Cette maladie, causée par un champignon, Coccidioides immitis, est responsable de bronchites ou broncho-pneumonies, allant jusqu'à des méningites mortelles. Ce champignon parasite vit dans les zones arides et semi-arides de l'Amérique du Sud (Argentine) et du Nord (sud-ouest des Etats-Unis).

 La tularémie est répandue dans les déserts nords-américains, la CEI (ex URSS) et le Moyen-Orient, et est transmise par les taons et les tiques, mais également au contact de Lagomorphes (lièvres et lapins).

 L'augmentation de la surface des terres irriguées, le développement de canaux d'irrigation, de lacs artificiels entraînent en de nombreux endroits arides, la prolifération d'insectes comme la Mouche noire (Simulium damnosum), qui provoque la cécité, ou le Moustique du genre Tanytarsus, présent au barrage d'Assouan sur le Nil, et qui causent des allergies et de l'asthme.

DECOUVREURS DE DESERTS

• Un monde fascinant : le Désert, source d'inspiration.

 Les déserts ont inspiré et inspirent encore nombre d'écrivains, romanciers, peintres, sculpteurs, missionnaires, explorateurs, danseurs, photographes, cinéastes, aventuriers, publicistes, etc. En août 1976, lors de ma première traversée de la Vallée de la Mort en Californie, j'ai rencontré Marta Becket, danseuse classique new-yorkaise ; elle a créé l'opéra d'Amargosa à Death Valley Junction, et présente des spectacles de ballets et de pantomime en plein désert ! Elle a elle-même décoré de fresques naïves tous les murs de son opéra, représentant en trompe-l'œil, des spectateurs en costumes du 16ème siècle.

 Aujourd'hui encore, les artisans navajos puisent leur inspiration dans le milieu qui les entoure, et leur peinture, leur céramique, leur vannerie, leur tissage font sans cesse référence au désert de l'Arizona.

 Wilfried Thesiger ("Le Désert des déserts"), et Théodore Monod ("Méharées"), sont des arpenteurs de déserts, et savent dans l'écriture, nous faire partager leurs connaissances et leur passion des zones arides. Le romancier et poète Tahar ben Jelloun ("Le Discours du chameau", "l'Enfant de sable") nous fait découvrir le désert vu de l'intérieur, par ses habitants. Antoine de Saint-Exupéry nous emmène dans un songe, le pays imaginaire du Petit Prince, et décrit avec émotion cette "Terre des Hommes".

 Le dépouillement du désert invite au dépouillement de l'être humain et au mysticisme : le Père Charles de Foucauld recherche la solitude au Sahara. Son rêve de fonder une communauté d'ascètes ne verra pas le jour, et il mourra assassiné par les Touaregs. Missionnaires, aventuriers, tous ou presque connaissent une fin brutale : Konrad Kilian, le découvreur du pétrole saharien et de fresques préhistoriques, ou encore Isabelle Eberhart, aventurière née à Genève, journaliste-écrivain convertie à l'Islam, qui périt lors de crues en 1904 à Aïn Sefra…

 Le désert nord-américain inspire des photographes de talent, tels Joseph et David Muench. Le cinéma américain regorge de westerns et de films utilisant le désert du sud-ouest des Etats-Unis en toile de fond, lorsque le désert n'est pas le héros lui-même. Des romanciers comme Dino Buzzati ("Le Désert des Tartares"), Paul Bowles ("Un thé au Sahara) et Louis Gardel ("Fort Saganne") suscitent des films à grand spectacle où là aussi, on peut dire que le désert est le personnage principal.
 Même la publicité s'y est mise, vantant des voitures ou des cigarettes, des boissons fraîches ou des parfums, le désert devient à la mode.

• Premières explorations.

 Bien avant les Européens, de nombreux voyageurs (certains involontaires, perdus, esclaves…) sont allés explorer les déserts dans l'anonymat le plus complet. Quelques récits sont néanmoins parvenus jusqu'à nous, et montrent que le désert est connu et parcouru depuis l'aube des Temps. Il est impossible de citer tous ces explorateurs, aventuriers, commerçants, naturalistes, mais j'ose espérer que cette liste non exhaustive rendra plus modestes bien des pseudo-faiseurs d'exploits contemporains hyper-médiatisés…

Déserts d'Afrique du Nord.

 Mille ans avant notre ère, le Sahara est déjà connu des Phéniciens, qui commercent avec le pays des Garamantes. Le célèbre historien grec Hérodote (vers 484-420 av. J.C.) écrit sur les Garamantes du désert libyque, et sur la traversée du Sahara, parlant d'un grand fleuve situé de l'autre côté du désert, et peuplé de petits hommes à la peau noire…

 Pour étendre leur empire, les Romains n'hésitent pas à envoyer leurs armées au Sahara, durant l'occupation de la Gaule (entre 50 et 40 av. J.C.). La géographie de C. Ptolémée, Grec né en Haute-Egypte, au 2ème siècle après J.C., décrit le Sahara avec ses villes et ses tribus ; un voyageur arabe, Ibn Haugal, traverse le Sahara vers le 10ème siècle. Au 14ème siècle, un autre Arabe, géographe-historien fameux, Ibn Battuta, raconte dans un récit épique ("Rihla"), les voyages exploratoires qu'il effectua toute sa vie en Afrique, en Arabie, en Asie Mineure, en Russie, en Inde et en Chine ! Il va parcourir près de 120 000 kilomètres…

 Léon l'Africain, géographe arabe converti au Christianisme, écrit en 1550 une "Description de l'Afrique", allant au-delà du fleuve Niger… L'Europe, fascinée par les récits de cités fabuleuses, de contrées riches, va engendrer nombre d'explorateurs, naturalistes et aventuriers. Patronnés ("sponsorisés" dirait-on aujourd'hui…) par des sociétés savantes, sociétés de géographie, parfois les gouvernements pour des raisons commerciales ou pour le prestige (et l'appropriation…) de la découverte, certains vont s'engager dans une aventure pleine d'attraits et de promesses, mais non sans dangers.

 En 1819, pour le compte du gouvernement britannique, le Capitaine George Lyon va parcourir 2250 km entre Tripoli et Tajarhi, allant jusqu'à abandonner ses esclaves lors d'une violente tempête de sable. En 1822, d'autres Britanniques, le Major Dixon Denham, le Lieutenant Hugh Clapperton et le médecin Walter Oudney vont traverser le Sahara oriental depuis Tripoli jusqu'au lac Tchad. Lors de leur long périple, ils découvrent les squelettes de centaines d'esclaves abandonnés et morts de soif. Clapperton trouvera la mort au Sahara lors de son 2ème voyage, à l'âge de 39 ans.

 Un Ecossais, le Major Alexander Gordon Laing, est mandaté par le gouvernement britannique, dans le but de rejoindre la ville légendaire de Tombouctou. Il part de Tripoli le 18 juin 1826, arrive à Tombouctou le 18 août de la même année, mais il est étranglé sur place par son propre guide. René Caillié est un autodidacte. A 15 ans, son rêve d'adolescent est d'être le premier Européen à entrer à Tombouctou. A 16 ans, il débarque au Sénégal ; sans aides ou subventions de l'état (ce n'est pas faute d'avoir essayé !), car le gouvernement français a financé à grands frais une expédition, celle de M. de Beaufort, qui est un échec, René Caillié déçu va néanmoins se joindre à une caravane pour essayer d'atteindre Tombouctou.

 Dans des conditions précaires, il avance, se faisant passer pour un Egyptien grâce à sa connaissance de l'Arabe et de la religion musulmane ; malgré une certaine suspicion de la part des caravaniers, son stratagème réussit. Mais pauvre et malade, déconsidéré, il est le jouet de la méchanceté des caravaniers qui lui lancent des pierres. Ravagé par le scorbut et la tuberculose, il arrive en 1828 à Tombouctou la Fabuleuse, qui n'est, décrit-il dans son journal, "qu'un fatras de mauvaises maisons d'argile noyées dans des sables jaunâtres.". Sa première impression est mauvaise, mais il a réalisé son rêve. La suite de son voyage va être des plus pathétiques, car il arrivé désargenté au Maroc, faisant le tour des Ambassades, essayant de contacter dans le plus grand secret les Consulats, pour ne pas être démasqué. De retour en France, les avis sont partagés quant à son exploit, on met sa parole en doute. On eût certainement préféré qu'il décrive Tombouctou comme la "Perle du Sahara", telle qu'on l'imaginait. Triste, usé par son aventure hors du commun, René Caillié va mourir de tuberculose à 39 ans, dix ans seulement après son exploration solitaire…

 En 1850, un Allemand, Heinrich Barth, rend hommage à René Caillié, dont il dit que c'est "l'un des explorateurs les plus dignes de confiance". Barth, célèbre explorateur de l'époque, naturaliste avant la lettre, a réussi à rejoindre Tombouctou en 1853, et confirme les dires du Français. Il publie en 1857 un ouvrage monumental en 5 volumes : "Travels and Discoveries in North and Central Africa", incluant une foule de détails, croquis, planches, cartes. Mais la même année, d'un caractère arrogant et impétueux, Barth se voit fermer l'entrée à l'Académie des Sciences d'Allemagne.

 L'exploration continue…En 1859, à l'âge de 19 ans, Henri Duveyrier est le premier Européen à découvrir El Goléa. Un Allemand G. Rohlfs, parcourt en caravane le Tidikelt en 1864, depuis le Maroc, puis se rend au Tchad en 1865, traverse le désert lybique en 1873 et arrive à Koufra en 1879 ! Tout ne va pas pour le mieux, et de nombreux drames ponctuent l'exploration du Grand Désert. La deuxième mission saharienne Flatters se termine par un massacre à Birel Garama : le Colonel P. Flatters et ses 35 hommes sont exterminés par les Touaregs en 1881.

 Les expéditions scientifico-militaires vont se multiplier avec le début du 20ème siècle ; de 1902 à 1920, le Général Laperrine allie la "pacification" à la "connaissance du terrain". E.F. Gautier et René Chudeau apportent de nouveaux éléments à la géologie du Sahara ; les moyens matériels et techniques se modernisent et facilitent l'exploration. De nouvelles découvertes sont faites par le géologue-naturaliste Conrad Kilian de 1921 à 1939.

 Il serait impossible de citer tous les explorateurs sahariens, mais depuis cette époque et jusqu'à aujourd'hui, le plus grand d'entre eux est probablement Théodore Monod, véritable naturaliste, homme de cœur plein d'humour, ayant consacré sa vie entière au milieu saharien, et parcouru "son" désert en long, en large et en travers. Son plus bel exploit est sans conteste possible la traversée entre Ouadane et Araouane, 900 km sans point d'eau dans le no man's land du Majabat-al-Koubra, au Sahara occidental.

Déserts d'Afrique de l'Est et du Nord-Est.

 Si Pline l'Ancien décrit fort bien cette partie de l'Afrique dans son "Histoire Naturelle", la cartographie de la région du Rift ne se fait qu'après 1860. 1875 voit la disparition totale de l'expédition Munzinger dans le pays Danakil. En 1881, les Italiens Giulietti et Biglieri "s'évanouissent" avec 14 marins…

 En 1883, le premier Européen à entrer chez les Masais est le Dr Gustav Fischer, naturaliste allemand. La même année, Joseph Thomson, explorateur écossais, arrive jusqu'au lac Baringo au Kenya, depuis la Tanzanie. Un voyageur hongrois, le Comte Samuel Teleki von Szek part de Pangani (Tanzanie) en janvier 1887 avec une caravane à la taille de ses moyens : 450 porteurs, plus des guides et des interprètes. Le voyage va durer 22 mois en pays hostile, et permet la découverte du lac Turkana, que Teleki surnomme alors lac Rodolphe, du nom du Prince héritier d'Autriche, Rodolphe de Habsbourg.

 L'Ecossais John Walter Gregory est le premier géologue à explorer la Vallée du Rift. Il quite Mombasa le 23 mars 1893 avec 40 hommes, qui le surnomment "poches pleines", car il stocke dans ses poches tous les échantillons qu'il trouve !… Son travail va permettre de consolider la théorie de la dérive des continents, et c'est lui qui va proposer le terme de "rift" pour désigner le gigantesque fossé d'effondrement est-africain. Gregory va entreprendre de nombreux voyages, en Arctique, en Australie, en Inde, puis en Amérique du Sud où il trouvera la mort, noyé au Pérou en 1932.

Déserts d'Afrique Australe.

 Depuis le débarquement du Portuguais Diego Cao à Cape Cross en 1485, l'Afrique Australe reste pratiquement inexplorée ; il faudra attendre 1760 pour qu'une expédition remonte du cap jusqu'à Walvis Bay. la découverte du diamant en 1908 en Namibie, va augmenter, accélérer les reconnaissances, tout en orientant les recherches vers la géologie et la minéralogie des lieux. De 1921 à 1928, E. Kaiser va étudier les "Diamants des Déserts Sud-Africains", qui donneront naissance à la publication d'un ouvrage sur le sujet. Le Kalahari est étudié en 1908 par S. Passarge et, dans les années 50, les expéditions Marshall-Thomas vont accomplir un important travail ethnographique sur les Bochimans.

 Au niveau géologique, le Kalahari est encore une immense tache blanche, et lors de mon voyage au Botswana en 1978, le catalogue des cartes géologiques du Botswana (1974) fait apparaître que, pour les cartes topographiques, sur les 43 feuillets qui représentent la totalité du territoire botswanais, 38 sont blancs, dont 4 sont en préparation… Le désert du Kalahari ne possède pas de cartes géologiques au 1/125 000ème ou même au 1/250 000ème. La découverte de diamants à Jwaneng en 1978 aura dû accélérer le rythme des prospections…

Déserts du Moyen-Orient.

 Les premières vraies expéditions des régions du Moyen-Orient sont les campagnes d'Alexandre le Grand, qui commencent en 334 pour se terminer avec sa mort, le 18 juin 323 av. J.C. Bien qu'il évite les zones les plus arides, Alexandre doit franchir l'Indus et traverser le désert de Thar en plein été. Ses armées ont le mal du pays, et une mutinerie éclate. Après avoir scindé ses troupes en trois groupes, il revient épuisé à Babylone, par le Baloutchistan ; Néarque ramène la flotte macédonienne par le golfe Persique, et Cratère franchit le terrible désert caillouteux du Lout. Une expédition militaire romaine, menée par Aelius Gallus en 24 avant J.C., traverse l'Arabie et atteint le Yémen. 

 Une famille de commerçants vénitiens, les Polo, effectue deux grands voyages jusqu'en Chine. Marco Polo, qui effectue le second (de 1271 à 1295) décrit, dans son célèbre ouvrage "Le Livre des Merveilles", un désert iranien particulièrement hostile… Au début du 17ème siècle, Varthema arrive à La Mecque, et le Yémen est parcouru de 1761 à 1763 par Carsten Niehbur, puis Richard Burton de 1853 à 1877, tous deux habillés en arabes pour faciliter leurs déplacements. Mais c'est à la fin du 18ème siècle et au début du 19ème siècle que vont se multiplier voyages et expéditions : Buckhardt et Palgrave, Sadlier qui relie le golfe Persique à la Mer Rouge. En 1849, Buhse se frotte au Dasht-i-Kévir, et son compatriote russe Khaninov effectue la traversée du Dasht-i-Lout dix ans après. De 1875 à 1898, Charles Montagüe Doughty part d'Amman pour arriver à La Mecque par le Nefoud.

 Le célèbre "Lawrence d'Arabie", Thomas Edward Lawrence, va parcourir le Hedjaz et le désert jordanien dans des expéditions militaires punitives contre les Turcs entre 1916 et 1918. L'exploration du "Grand Quart Vide" ou "Empty Quarter", le Rub-al-Khali, commence en décembre 1930 avec le Britannique Bertram Thomas qui, après avoir franchi cette immense étendue de sable sur près de 950 km, arrive enfin à Doka, au Qatar, début 1931. D'autres Anglais, Harry St John Philby en 1932, et Wilfried Thesiger en 1947, vont relever le même défi. Né en 1910, depuis l'âge de 20 ans, Wilfried Thesiger parcourt le désert Danakil en Abyssinie, puis il se rend dans le Darfour et le Tibesti. Passionné par la vie des Bédouins d'Arabie, il effectue des voyages d'exploration sur la Péninsule arabique, au Yémen et jusqu'en Iraq. Wilfried Thesiger est, à l'image de Théodore Monod, l'une des dernières grandes figures contemporaines de la véritable exploration des déserts.

Déserts d'Asie.

 Les premiers récits d'exploration de l'Asie Centrale sont écrits aux 5ème et 6ème siècles av. J.C. par des moines bouddhistes chinois, comme Hwen Tsang, qui franchissent le Pamir. dans la première moitié du 13ème siècle, le pape Innocent IV envoie un émissaire auprès de Kuyuk Khân en Mongolie : il s'agit d'un frère franciscain, Jean Piano del Carpini, qui est le premier Européen à traverser le désert de Gobi.

 Des marchands de Venise, les Polo, vont entreprendre un voyage sur la Route de la Soie, entre 1260 et 1269. Agé de 17 ans, le jeune fils de Nicolo Polo, Marco, va se joindre à la seconde expédition, en 1271. La caravane traverse d'abord le désert iranien, puis longe la bordure sud du Takla-Makan, pour franchir le Gobi. Il ne reviendra qu'en 1295, pour écrire, en prison, le "Livre des Merveilles".

 En 1838, un Britannique, John Wood, explore le Pamir ; à partir de 1844, des pères missionnaires français installés à Pékin, Gabet et Huc, effectuent dans des conditions particulièrement difficiles, un "Voyage dans la Tartarie et le Thibet". cette extraordinaire aventure, retracée dans le livre du même nom, s'achèvera en 1846.

 Un naturaliste, Peter Semyonov, part en 1856 avec la bénédiction de l'Institut de Géographie Russe ; consciencieux, il collectera plus d'un millier d'espèces de plantes et quantité d'échantillons minéralogiques, explorant dans le détail la région du Tian-Chan. Une autre expédition scientifique russe atteint le Pamir vers 1865, avec le grand naturaliste Alexei Fedstchenko. Sur les traces de son compatriote Wood, E.T. Gordon pousse au-delà du lac Zorkoul en 1873. Nicolai Przewalski (qui a donné son nom au fameux petit cheval mongol) traverse la majeure partie des déserts de l'Asie Centrale, le Tibet, le Tian-Chan, et le Takla-Makan, où il mourra de maladie en 1888, sur les rives du lac Issyk-Koul. Il y est enterré.

 Dès 1886, un jeune officier britannique stationné à Pékin, Francis E. Younghusband, décide de rejoindre son régiment aux Indes, mais par le Gobi et le Takla-Makan. Malgré l'inconscience du projet (Younghusband ne connaît rien du désert, pas plus que l'itinéraire à emprunter), son voyage est une réussite, et ses écrits contiennent une foule de détails, d'informations précises sur cette aventure.

 Sven Hedin, géographe suédois, va consacrer à partir de 1891, 44 années de sa vie à parcourir les déserts de l'Asie Centrale dans des missions d'une très grande qualité scientifique. De 1900 à 1915, Aurel Stein, archéologue et géographe passionné par les civilisations d'Asie Centrale se met à fouiller les zones arides du Gobi, explorant le Takla-Makan en tous sens.

 Entre 1922 et 1930, Roy Chapman Andrews, zoologue américain, conduit cinq expéditions pluridisciplinaires mi-motorisées mi-chamelières à travers le Gobi. Ces expéditions se déroulent avec succès, et mettent à jour en 1922, les restes de squelettes de dinosaures, comme le Proceratops andrewsi ; puis en 1923, c'est la découverte sensationnelle des premiers œufs de dinosaures. La mission Citroën suivra en 1931-1932, avec le célèbre paléontologue français, le père Teilhard de Chardin, complétant les connaissances des zones arides de l'Asie Centrale par l'étude de l'Ordos.

Déserts d'Amérique du Nord.

 La découverte reconnue des Amériques par les Européens est tardive (1492), et c'est à partir du 16ème siècle que commence l'exploration des zones semi-arides du Mexique et de l'Amérique du Nord ; en fait, il s'agit plus d'expéditions militaires à la recherche de trésors, que d'une soif réelle de découvertes naturalistes, pacifier et convertir étant les deux maîtres-mots du soldat et du religieux, faux-jumeaux inséparables des premières incursions espagnoles, les Conquistadores.

 Le Grand Canyon d'Arizona est découvert fortuitement par des soldats de Francisco Vasquez de Coronado en 1540. En 1701, le père Jésuite, Eusebio Francisco Kino, atteint l'embouchure d'un fleuve couleur rouille, qu'il nomme Colorado. Johan Jakobs Baegert, également Jésuite, s'occupe d'une mission de 1751 à 1768 en Basse-Californie. Un autre père, Francisco Tomas Garces, rencontre en 1776 les Indiens Havasupais près du Grand Canyon ; ils lui offrent l'hospitalité, mais ils ne seront jamais convertis !

 En 1806, le Lieutenant Zebulon Pike explore les Grandes Plaines désertiques. En 1821, le Major Stephen Long déclare ce pays inhabitable. Entre 1820 et 1830, un officier de la Marine Britannique, Hardy, explore la région de la Laguna Salada, au nord de la Basse-Californie. De 1842 à 1854, John Charles Frémont conduit plusieurs expéditions dans l'Ouest américain ; Adolphe Wislizens participe à l'expédition du Colonel Doneghan dans le nord du Mexique entre 1846 et 1847. Il écrira "Memoire of a Tour of Northern Mexico".

 La ruée vers l'or en Californie attire de nombreux pionniers, et quelques inconscients sont parfois plus que pressés d'arriver ; c'est ainsi qu'en 1849, des émigrants qui veulent couper au plus court, vont être les premiers Européens à traverser la Vallée de la Mort (ce sont eux qui lui donnèrent ce nom, Death Valley). 49 personnes, 27 chariots et leurs chevaux, 2 mois pour sortir de l'enfer. On mangea les chevaux, un seul chariot fut sauvé, mais le groupe des 49, bien que s'étant séparé, n'eût pas à déplorer de morts. Mais à quel prix de souffrances et de privations…

 L'armée américaine envoie une nouvelle expédition entre 1853 et 1854, avec le Lieutenant Amiel W. Whipple, qui note la présence en Arizona d'une grande concentration de bois pétrifiés (Petrified Forest). Le Lieutenant  Edward F. Beale, officier de marine, importe des chameaux (dromadaires) d'Egypte et de Tunisie pour explorer le Grand Canyon de 1856 à 1858. Et c'est au début de 1858 que le Lieutenant de marine Joseph C. Ives monte une expédition sur le Colorado, en bateau à vapeur. En mai 1869, le Major John Wesley Powell et 9 hommes vont réussir à vaincre le Colorado sur de petites embarcations. Le succès est entaché par la mort dramatique de trois de ses compagnons qui ont abandonné l'expédition, et se font massacrer par les Indiens. Powell retourne dans le Grand Canyon en 1871-72.

 De nombreux voyages exploratoires à travers les déserts du Mexique continuent, notamment ceux de Townsend Brandegee et sa femme Katherine, tous deux botanistes qui, de 1889 à 1902, vont parcourir toute la Basse-Californie. Frederick Vernon Coville fait partie d'une expédition géologique avant la lettre : il va étudier la Vallée de la Mort dans le détail. D'autres missions militaires, puis à réelle vocation scientifique, impossible à citer toutes ici dans le cadre de cet ouvrage, vont suivre et perdurent encore de nos jours…

Déserts d'Amérique du Sud.

 En Amérique du Sud, les conquêtes espagnoles sont sévèrement gardées, et il est bien difficile pour les ressortissants d'autres nations d'explorer le continent. D'autre part, l'Espagne de l'époque s'intéresse plus aux richesses minérales (or, argent, etc.) qu'à celles de la faune ou de la flore. En 1532, le despérado Francisco Pizarro débarque à Tumbes, au nord du Pérou, pour aller à la rencontre de l'Inca Atahualpa, à Cajamarca. Attiré par les honneurs et la cupidité, Pizarro n'a rien d'un explorateur, mais tout d'un conquistador. De même le Capitaine Alonzo de Mendoza, qui sévit sur les Hauts-Plateaux boliviens, pillant et massacrant les habitants indiens…

 Il faut attendre 1778 pour voir une mission scientifique financée par l'Espagne. Le chef d'expédition est un… Français, Joseph Dombey, accompagné de Hipolito Ruiz et José Pavon ; leur travail de recherche va durer 10 ans, axé sur la botanique et les propriétés médicinales des plantes. En 1801, l'expédition menée par le Baron allemand  Alexander von Humboldt, savant, naturaliste et voyageur, comprend un Français, Aimé Bonpland ; mais le désert chilo-péruvien n'est qu'une des régions étudiées parmi d'autres. De 1832 à 1835, le fameux voyage du navire "Beagle" permet les observations minutieuses de Charles Darwin en Terre de Feu, en Patagonie, puis dans le désert d'Atacama et dans les Iles Galapagos.

 Le docteur Armando Philippi aborde la spécialisation en 1853, en publiant "Voyage à travers le désert d'Atacama". A partir de là, missions et expéditions, comme celle de Bowman en 1924 au Pérou et au Chili, vont se multiplier et se préciser.

Déserts d'Australie.

 Les déserts australiens n'ont ni l'attrait ni les facilités (guides, oasis…) qu'offrent les autres déserts. Tardivement colonisé par les Blancs, l'Outback, l'Arrière-Pays ne va dévoiler ses premiers secrets qu'à partir de 1813 avec un géomètre, George William Evans, qui découvre l'endoréisme des fleuves australiens ; au lieu de se déverser dans les océans, les cours d'eau se perdent dans les zones arides du centre. Malgré tout, le rêve d'une immense mer intérieure persiste, et le gouvernement de la Nouvelle Galles du Sud (New South Wales) va financer des missions d'exploration.

 On confie la tâche à un jeune Capitaine, Charles Sturt, qui a déjà une expédition à son actif  (1827-1828). C'est donc en 1829, le 7 novembre, que Sturt s'embarque sur une baleinière pour "descendre le "Murumbidgee". L'aller se passe dans l'allégresse et l'euphorie, mais le retour sera effectué dans des conditions difficiles, car la nourriture doit être rationnée. Sturt revient aveugle, les yeux brûlés par le soleil, mais plus que jamais persuadé de l'existence d'un lac intérieur aux rives fertiles…

 En 1840, Edward John Eyre, âgé de 24 ans, mais déjà explorateur chevronné, dirige une expédition vers le nord du pays pour chercher de nouveaux pâturages pour le bétail. Eyre n'en est pas à son coup d'essai mais, rencontrant sur son chemin des marécages salés, il est obligé d'abandonner et de rebrousser chemin. Digérant mal cet échec, il décide de poursuivre par le sud-ouest en longeant la côte avec son compagnon John Baxter et trois Aborigènes. La progression est exténuante, inhumaine ; deux des Aborigènes s'enfuient avec la nourriture et des armes après avoir tué Baxter. La situation est désespérée. Par chance, les survivants sont sauvés par un baleinier français qui mouille à proximité de la côte. le courage de Eyre est tel, qu'après cette rencontre miraculeuse, il termine les 450 km qui lui restent pour atteindre Albany.

 Août 1844 : Charles Sturt repart 15 ans après, guéri de sa cécité et fort de l'expérience de Eyre. Là encore, tout semble bien se passer. Mais la longue sécheresse qui perdure oblige Sturt et ses hommes à se fixer près du seul point d'eau non tari. Dans l'enfer de l'été austral, avec des températures atteignant jusqu'à +48°C, puis l'hiver avec des froids de -4 à -5°C, l'attente des pluies va durer 6 mois. Le second de l'expédition, James Poole, meurt de scorbut alors que la pluie commence à tomber. Les épreuves ne sont pas terminées.

 Persuadé que la mer intérieure n'est pas une légende et bien décidé à le prouver, il s'engage avec quatre hommes et des chevaux à travers un désert de pierres (Sturt Stony Desert) ; atteint du scorbut et souffrant terriblement, Sturt démontre une volonté farouche. Un an s'est écoulé depuis son départ d'Adélaïde. Dans le désert de Simpson, il doit faire demi-tour, et retraverser, héroïque épopée, le désert pierreux ; il lui faudra encore 5 longs mois avant de rejoindre Adélaïde, le 19 janvier 1846. Lorsqu'à minuit, il arrive enfin dans sa maison, sa femme s'évanouit en le voyant : tout le monde pensait qu'il avait péri !

 Pendant que Sturt s'obstine à trouver l'hypothétique mer intérieure, un Allemand, Ludwig Leichardt, commande une expédition privée dans le nord du Queensland. Dans des conditions assez incroyables (il ne sait pas faire le point et il est très mal organisé), il va néanmoins réussir à atteindre son objectif, Port Essington, en décembre 1845. Ce voyage coûte la vie au naturaliste John Gilbert, tué par les Aborigènes, et deux autres membres du groupe sont grièvement blessés.

 De fait, l'exploration de l'Outback australien paie un lourd tribut au désert. En 1847, l'expédition d'Edmund Kennedy part avec 12 hommes. 10 sont massacrés par les Aborigènes ; les 3 survivants (Kennedy en fait partie) mourront un peu plus tard, d'épuisement ou assassinés.

 Leichardt réunit une nouvelle expédition en 1846-47. Cette fois, Leichardt ne tient même pas de carnet de route, et il n'a pas prévu suffisamment de médicaments. Il vole les rations de ses compagnons pendant la nuit… Bref, l'entreprise est un échec total. Malgré cela, et la réputation qu'il commence à avoir, Leichardt récidive dès 1848, avec 5 hommes ; cette fois, tous disparaîtront sans laisser de traces…

 D'autres tentatives timides apparaissent ça et là. Pour accélérer le mouvement, les états de Victoria et de South Australia offrent une substantielle récompense à la première expédition qui traversera l'Australie du sud au nord ; deux hommes sont sur la "ligne de départ" : John Mc Dougall Stuart, Ecossais expérimenté (il a fait partie de la dernière exploration de Sturt), et Robert O'Hara Burke, aventurier irlandais.

 Stuart part le premier d'Adélaïde en mars 1860, mais attaqué par une tribu aborigène à plus des 2/3 du parcours, il se voit contraint de rebrousser chemin. Arrivé à Adélaïde en octobre, alors que Burke a quitté Melbourne deux mois, il repart dès novembre 1860, remonte encore plus haut, mais doit à nouveau abandonner à cause de la végétation épineuse et dense, et la maladie. Lorsqu'il rejoint de nouveau Adélaïde en septembre 1861, c'est pour apprendre qu'on est sans nouvelles de Burke. Stuart l'obstiné tente une nouvelle traversée, couronnée de succès cette fois, car il a devant ses yeux l'Océan Indien : c'est le 24 juillet 1862. Il doit revenir à Adélaïde, dans des conditions épouvantables, miné par les maladies. Il apprend avec une amère déception que Burke a réussi bien avant lui à atteindre le nord, en février 1861. Mais Burke n'en est pas revenu, il est mort sur place…

 L'histoire de Burke est dramatique. Partie à 17, avec 25 chameaux, mais très mal organisée, l'expédition de Burke est une suite malheureuse de malchances et d'erreurs. Tout commence bien, l'avance est rapide ; un premier camp est établi à Menindee, près de la darling River, et une autre base est installée à Cooper's Creek. Le 16 novembre 1860, pour être sûr d'être le premier avant Stuart, Burke part en tête de l'expédition avec son cheval "Billy", William Wills, Charlie Gray et John King, plus 6 chameaux et 3 mois de vivres. Il est prévu que les autres resteront en attente au camp durant 4 mois.

 Le 11 février 1861, après une marche difficile dans les eaux salées des mangroves, Burke et Wills ateignent le golfe de Carpentarie. Le retour est un calvaire ; il n'y a plus assez de vivres. Charlie Gray meurt le 17 avril. La journée passée à l'enterrer va être l'erreur fatale ; lorsque Burkes, Wills et King arrivent épuisés à Cooper's Creek, le 20 avril au soir, c'est le désespoir. Brake a respecté le délai d'attente, mais vient juste de partir, le matin même. Il a laissé un écriteau : "Dig" ("creuser"). Burke trouve des vivres et un message disant que le groupe est parti le 20 avril au matin, car des hommes sont morts, et d'autres sont atteints du scorbut. Il remplace le paquet par un mot sur leur arrivée, rebouche le trou, sans rien indiquer ou laisser de traces de son passage. négligence mortelle…

 Autre aberration, Wills propose de rattraper Brake, Burke refuse, et préfère se diriger vers le Mont Hopeless (le bien nommé, "Sans Espoir"). Tous suivent Burke.

 Pendant ce temps, Brake a rencontré un groupe venu pour les ravitailler et, plein de scrupules, par une sorte de pressentiment, retourne à Cooper's Creek. Le camp étant resté apparemment dans le même état où ils l'ont laissé, Brake est persuadé que Burke et ses compagnons ne sont pas revenus, et repart en direction du sud. Et ça continue ! Wills revient quelques jours plus tard, et fait, ironie du sort, le même constat que Brake. Le reste de l'aventure tourne au macabre : Wills, épuisé par la fatigue et la faim, miné par la maladie, finit par mourir à la fin du mois de juin. Burke et King continuent durant quelques kilomètres, mais le 29 juin, Burke meurt sous les yeux de King, dernier survivant.

 Le pire est que les équipes de secours, comme celle d'Howitt, se succèdent à Cooper's Creek, sans que jamais les uns ou les autres s'y soient trouvés en même temps. Le pauvre King devient une loque misérable ; ramassé par des Aborigènes compatissants, il les suit dans tous leurs déplacements. Il sera découvert dans leur campement en septembre 1861, un an après leur départ glorieux de Melbourne…

 Cette pitoyable expérience marque la fin d'une époque, et les expéditions qui vont suivre n'auront plus le retentissement et l'enthousiasme des précédentes. De plus, le beau rêve de la grande mer intérieure est définitivement effacé. Les reconnaissances suivantes sont nombreuses, et parmi elles, il faut citer les missions de Warburton qui, de 1857 à 1873, va accomplir de nombreuses traversées dont la dernière sera celle du Great Sandy Desert.

 Considéré comme un explorateur romantique, Ernest Giles est mort à Coolgardie en 1897, complètement oublié. Pourtant, en octobre 1872, il est le premier Blanc à découvrir et à baptiser les fabuleux paysages du centre de l'Australie, l'Ayers Rock, les Monts Olgas et le lac Amadeus. Ernest Giles se signale par son courage et sa générosité dans les moments les plus dramatiques de son existence. Lors de sa deuxième expédition en 1873, dans le désert de Simpson, Giles et son compagnon Alfred Gibson partent vers l'ouest. Le cheval de Gibson meurt de soif, et Giles lui offre le sien pour qu'il aille chercher de l'aide, pendant que lui-même suivra les traces de Gibson. Ayant laissé un bidon d'eau en secours, il parcourt 50 km à pieds pour aller le chercher, puis se traine durant 95 km avec un baril de 20 kg, seul garant de sa survie, sur le dos. Se nourrissant de tout ce qu'il peut trouver (jusqu'à un nouveau-né wallaby ou petit kangourou vivant !), il parvient à rejoindre le camp de base. Gibson, lui, ne reviendra jamais, perdu dans le désert qui porte désormais son nom. A son troisième voyage, Ernest Giles dédiera l'un des déserts australiens à la Reine Victoria. Mais les cinq expéditions d'Ernest Giles ne lui apporteront pas la notoriété qu'il aurait légitimement pu espérer…

 C'est en 1936 que Edmund A. Colson traverse le désert de Simpson, grâce à des chameaux, de Blood Creek à Birdsville ; le docteur C.T. Madigan qui, en 1929 avait soutenu que le désert de Simpson était impossible à traverser à pied doit convenir du contraire, et beau joueur, conduit une exploration en 1939 à travers le Simpson, découvrant de nombreuses espèces végétales et animales. Madigan ouvre l'ère des missions scientifiques dans les zones arides et semi-arides de l'Australie…

Drames, Mythes et Légendes.

 D'innombrables histoires fantastiques circulent au désert, de caravanes englouties, de voyageurs évanouis, de fins atroces, d'exploits, de chercheurs de trésors disparus à jamais. Les épisodes dramatiques jonchent le sol de cadavres desséchés et de rêves inachevés. Propices à la résonnance et l'amplification des faits véridiques, les lieux arides nous entraînent avec une facilité déconcertante vers la fiction et la légende.

 En 1980, dans le désert de Gibson en Australie, Harry, un vieux chercheur d'or m'invite à partager un "irish stew" dans son camping-car, et commence à me raconter une bien étrange histoire…

 En 1880, une quinzaine d'hommes conduit 1400 têtes de bétail à travers le Grand Désert de Victoria. Dans une tempête, le bétail se disperse et disparaît avec les chameaux. Perdus, affolés, désemparés, les gardiens vont tous peu à peu mourir de soif. sauf un, qui a réussi à conserver son chameau, mais qui est perdu. Pour survivre, il est obligé d'abattre son chameau d'une balle dans la tête, et après s'en être nourri, il s'en va, errant à la recherche d'eau. Marchant à limite de l'épuisement, il tombe enfin sur un point d'eau. Sans container, il boit donc ce qu'il peut, ne pouvant faire de réserves. Il rayonne autour du trou, espérant trouver de l'eau plus loin, mais il revient toujours à son point de départ. Il finit par découvrir à proximité, ironie du sort, un filon aurifère qui affleure, de l'or en quantité invraisemblable.

 Dans son délire, notre homme remplit ses poches de fragments de métal précieux, ainsi que de grosses pépites éparpillées sur le sol aride. Puis il marche comme un automate, pendant des jours. Un groupe d'Aborigènes en chasse le découvre épuisé, mourant. Compatissants, ils emmènent l'homme blanc qui n'est plus qu'une loque humaine, dans leur campement. Mais il semble devenu fou : il ne parle que de l'incroyable gisement qu'il a découvert, et dont il ne profitera jamais. "A dix miles du cadavre de mon chameau, près du point d'eau, l'or est là ! Tenez, regardez !". Ses mains crispées serrent d'énormes pépites. Il est clair qu'il ne lui reste plus longtemps à vivre… Le seul témoignage rapporté aux Blancs sera celui-là même conté par les Aborigènes qui l'ont trouvé…

 Harry est enflammé, ses yeux brillent de passion. Je reste quelque peu perplexe. Pourtant, son histoire fabuleuse est authentique. Un vrai roman d'aventures. Harry n'a aucune raison de mentir, il veut me mettre dans le coup. Il m'a observé depuis mon arrivée à Meekatharra, et pour lui, pas de doute, je ferai un bon associé. Car il a besoin d'argent pour financer son expédition. Harry a passé 17 ans à chercher l'endroit ! 

 Devant mon hésitation, Harry exhibe un énorme crâne de dromadaire. "A la deuxème expédition, dit-il radieux, nous l'avons retrouvé ! !". Le crâne est patiné par le temps, lisse et brillant, d'un jaune-ivoire foncé. Et surtout, il y a un orifice inhabituel près de l'orbite gauche, un trou comme celui qu'une arme à feu laisserait dans un os… Mais il continue : "Mes associés ont vite abandonné les recherches : on tournait sans arrêt dans la région du sud-ouest du Victoria, sans rien trouver. Ils ont dû croire que je déraillais ; ils sont repartis avec leur véhicule, et je suis resté seul avec le mien. Et puis, j'ai fini par tomber sur le squelette. je n'ai pris que le crâne comme preuve, et j'ai commencé à chercher autour, selon les seules indications bien minces que je possède, le témoignage des Aborigènes de l'époque. Mais j'ai également dû abandonner : mes réserves d'eau douce étaient trop justes pour que je prenne davantage de risques. J'ai échoué dans cette tentative, mais je suis sûr que la troisième sera la bonne ; je n'ai pas réussi à trouver le point d'eau, peut-être est-il à sec, mais je sais qu'il n'est pas loin…".

 Pauvre Harry, il n'a pas de chance : l'aventure me tente, mais je n'ai pas un sou vaillant pour y participer. "Dommage, fait Harry, maintenant je suis trop vieux ; ce sera ma dernière expédition.". En 1980, un siècle après la découverte fortuite d'un filon d'or dans le sud-ouest du désert de Victoria, un vieux monsieur court après ses fantômes… Et tant pis, Harry, si tu ne trouves pas l'or : ta réalité, alors, sera devenue une légende…

 Le récit de la Mine du Hollandais vaut son pesant d'or. Jacob Waltz, dit le Hollandais (en fait, il est Allemand) arrive en 1862 à Phœnix, Arizona. Cet aventurier chercheur d'or défie la chronique de l'époque en rapportant de ses expéditions dans les Monts Superstition, des quantités d'or, sans que l'on sache jamais où il les trouve. C'est sur son lit de mort qu'il confie son secret (retranscrit par le journaliste Curt Gentry) : "Il y a une grande paroi rocheuse face à la mine. Si vous passez près de trois buttes rouges, vous êtes trop loin. Le soleil couchant scintille sur mon or. Montez au-dessus de la mine, et vous verrez l'aiguille du Tisserand.".

 Depuis lors, 36 personnes au moins sont décédées de mort violente, ou disparues sans laisser de traces, à la recherche d'un trésor dans un type de roche où, selon les géologues, on ne peut pas trouver d'or…

 Un nom étrange pour une zone aride située en Basse-Californie, au Mexique : "El Desierto de los Chinos" ("Le Désert des Chinois"). Cette appellation évoque un épisode tragique qui s'est déroulé en 1902.

 Des Cantonnais qui cherchent du travail au Mexique errent de ville en ville, et finissent par débarquer à San Felipe, sur la péninsule de la Basse-Californie, malheureusement, sans plus de succès. Ils décident de partir vers Mexicali, à 200 km plus au nord où, selon certains, on cherche de la main-d'œuvre. 43 Chinois s'achètent les services d'un "guide local", José Escobado, pour 100 dollars en or. Nous sommes au mois d'août 1902, en pleine chaleur. Rien n'a été préparé pour le voyage, et ils partent à pied, certains pieds-nus, sans chapeau, vêtus de blouses noires et d'un peu d'eau dans des bouteilles de whisky ou des bidons d'huile ! D'après Escobado, le premier point d'eau, Pozo Salado, se trouve à 50 km de San Felipe, le second, Tres Pozos, à 100 km…

 Moins de 30 km après le départ de la troupe, un des Chinois meurt. Arrivés au premier puits indiqué par Escobado, il n'y a rien. La panique commence à s'emparer des Chinois. Chiffre terrible, 32 mourront avant d'arriver à Tres Pozos. Hélas, là non plus, il n'y a rien. Pas d'eau. Désespérés, deux des survivants refusent de continuer et mourront sur place, d'épuisement et de soif. La marche hallucinante continue, deux autres Cantonnais s'écroulent. Finalement, sur les 44 personnes du départ, 7, dont Escobado parviendront en 9 jours aux rives du Rio Hardy.

 De semblables tragédies ne sont pas rares, et la disparition au Sahara d'une caravane de sel composée de 2000 hommes et 1800 chameaux morts de soif entre Tombouctou et Taoudeni semble hors normes. Maurice Cortier raconte en 1912 sa macabre découverte d'une caravane momifiée dont tous les membres sont morts de soif, à 50 km du Massif de l'Ahnet.

 Le Sahara est le théâtre sans cesse renouvelé de drames souvent liés à l'inexpérience ou pire, l'inconscience des voyageurs. Ainsi, cet exemple, choisi parmi d'autres tristement semblables : en septembre 1980, deux Allemands décident de traverser le Ténéré en 2CV Citroën. L'itinéraire choisi est interdit (par mesure de sécurité) sans guide et avec une seule voiture. Pour contourner ce "détail", ils partent d'Arlit en pleine nuit. Mais ils ne voient pas le puits d'Intadera, et finissent par tourner en rond et se perdre. La 2CV tombe en panne d'essence à 7 km du puits, mais ils l'ignorent. Au bout de 10 jours, ils n'ont plus d'eau, et le plus jeune meurt ; le survivant boit la gorgée d'eau que lui offre le capot de la 2CV pendant la nuit par condensation. Des touristes français le retrouvent 43 jours après, encore vivant…

 Voilà des gens qui semblent préparés à un périple trans-saharien : la famille Barot en est à son deuxième voyage. Le 23 décembre 1985, les parents et leurs deux filles quittent In Salah (de nuit !) pour Tamanrasset dans une Lada 4X4. La route est goudronnée, avec quelques passages difficiles. Ils prennent une piste parallèle et se perdent. Les Barot passent la journée du 24 à chercher la route, et lorsque la nuit tombe, ils n'ont plus d'essence. Ils ont à leur disposition 10 litres d'eau et 2 litres de lait pour 4 personnes… Au bout de 3 semaines, l'eau est consommée, l'agonie commence : le père et la plus jeune fille (15 ans) sombrent dans la prostration et meurent. Lorsque les secours arrivent, le 13 janvier, la mère ne survit que peu de temps ; la fille aînée sera sauvée, mais restera dans le coma du 14 au 22 janvier 1986…

 La célèbre Vallée de la Mort en Californie possède son lot de victimes, et la tombe de l'une de ces malheureuses se trouve près des dunes de sable, avec comme épitaphe : "Val Nolan, mort en août 1931, enterré le 6 novembre 1931, victime des éléments". En juillet 1966, alors que Jean-Pierre Marquant accomplit avec succès l'exploit de traverser à pied la Vallée de la Mort, un officier et un soldat américains tombent en panne. L'un d'eux est mort de soif. En août 1969, on dénombre 3 nouvelles victimes, M. Hards et son fils, et Mme A. Dobson. Partis visiter la mine d'El Capitan, dans Eureka Valley, au nord de la Vallée de la Mort, leur camping-car tombe en panne ; ils continuent à pied, dans une mauvaise direction. On retrouvera leurs corps momifiés respectivement à 17 et 22 kilomètres de leur véhicule.

 Les habitants du désert sont, malgré les précautions d'usage, aussi vulnérables que les touristes de passage. Lorsqu'en août 1979, je traverse le Chihuahua (à bicyclette), j'apprends qu'un drame familial s'est terminé d'une façon lamentable et injuste ; on vient de retrouver une mère et ses trois enfants dans un trou d'eau à sec du désert de Chihuahua. Cela fait huit jours qu'ils étaient là. Deux des trois enfants, José (1 an et demi) et Christina (5 ans) sont morts de faim, de soif et d'insolation. La mère et la petite Juanita ont survécu à ce terrible drame. "Ils sont mieux avec le Petit Jésus !" ne cesse de répéter la mère. "Je n'ai plus rien à leur donner à manger ; mon mari m'a abandonnée.". Cela s'est passé le lundi 6 août 1979 à 15 kilomètres d'une petite ville du désert mexicain…

 En 1981, dans le désert d'Atacama au Chili, je rencontre une Indienne désemparée : elle a perdu son enfant de trois ans depuis ce matin ; il est sorti de la maison alors qu'elle était au marché… Je prends mon bidon d'eau et une course contre la montre s'engage. Le petit garçon est perdu depuis le matin, nous sommes au milieu de l'après-midi, et le soleil tape dur, impitoyable. La jeune femme repère bien les traces de son enfant, pieds-nus sur le sol. Les pas se perdent, puis on les retrouve un peu plus loin, puis ils se perdent à nouveau. A trois ans, on n'est pas encore assuré sur ses jambes, mais on peut parcourir des distances assez considérables. Mais quand on est né muet, le désert risque fort d'en profiter…

 Nous arrivons au bord d'un canal d'irrigation ; avec crainte puis anxiété, nous constatons que les traces du petit s'arrêtent net sur la rive. Aurait-il glissé en voulant se désaltérer ? Aurait-il été emporté par le courant ? Redoutant l'effroyable, nous cherchons à retrouver des marques de pas. Malheureusement, ils ne tardent pas à nous ramener à l'eau tourmentée du canal d'irrigation. L'enfant semble vouloir boire, ou jouer près de l'eau. Ses traces confuses sont difficiles à distinguer parmi celle des lamas, des chèvres ou des moutons ; la zone du canal est piétinée par nombre d'animaux domestiques qui viennent s'y abreuver. Sans un mot, l'Indienne reprend la piste. A nouveau, les traces se perdent dans la poussière du désert. Mon aide semble bien dérisoire devant le désarroi de cette mère qui a perdu son enfant. Nous reprenons la direction du village, dans un ultime espoir, essoufflés par le manque d'oxygène dû à l'altitude. Tristes pensées, triste retour. Nous passons devant des collines de terre : une énorme fosse sert de dépotoir au village. Par acquit de conscience, je vais y jeter un coup d'œil… "Venez vite, il est là !". Dans le fond du trou, parmi les saletés, le petit garçon gît prostré, couvert de poussière, mais il est vivant. Je le prends doucement, et lui donne à boire de ma gourde. Sa mère arrive, le prend et le serre dans ses bras. Je viens de vivre la plus belle histoire de mon voyage.

DESERTS AU FUTUR

• Equilibre écologique : la menace.

 En tant qu'entité bio-climato-géographique, la zone désertique évolue lentement ; des changements durables et profonds mais imperceptibles s'opèrent, modifiant son caractère aride. La présence de l'homme sur la Terre a changé les données, a brouillé les cartes, et depuis l'époque historique, les diverses agressions sur le milieu ont contribué à une évolution de plus en plus rapide, allant de la détérioration à la destruction. L'influence néfaste de l'homme sur tous les milieux naturels et entre autres, le fragile éco-système de la zone aride, est indéniable.

 Aujourd'hui encore, malgré une timide prise de conscience des gouvernements, des erreurs grossières d'appréciation des divers problèmes, ainsi que les mauvaises solutions apportées, font des déserts et de leurs marges une zone à haut risque. Il faut sans cesse se rappeler deux arguments, contradictoires en apparence :
- le désert en tant qu'éco-système terrestre doit être préservé à tout prix.
- le désert, comme tous les espaces terrestres, doit pouvoir servir à l'épanouissement des populations. 

 La désertification ne me semble être qu'un phénomène géoclimatique tout à fait naturel, parfois accéléré localement par l'action de l'homme, proportionnellement à sa densité de peuplement et à son degré de technologie. Les photos du lac Tchad, prises par satellite de 1973 à 1982, démontrent qu'il se rétrécit sous nos yeux* 1 : en 9 ans, il a perdu près de la moitié de sa superficie. En 1984, il ne reste qu'un dixième du lac. Depuis, le phénomène s'est considérablement ralenti, mais reste inéluctable.

 Le front aride semble bien se déplacer vers le sud ; il avance d'autant plus vite que les hommes s'empressent de dégager le terrain en abattant les derniers acacias pour le combustible et pour leurs chèvres "érémiogènes"*2. Ce n'est pas un front continu, mais dispersé, localisé, avec plus de risques de progresser là où la pression humaine est plus forte.

*1 La mer d'Aral, en CEI (ex URSS) est en train de connaître le même triste sort…
*2 Voilà un néologisme dont vont pouvoir se rassasier les affamés de mots scientifiques, et qui voudrait signifier : "qui engendre, qui crée le désert".

 On peut parler de déserts qui "se déplacent", ou plus exactement d'une désertification qui apparaît et s'intensifie dans des zones fragilisées, et où l'homme est seul responsable de ce glissement vers une aridité incontrôlable. Mais ce n'est plus le désert tel que la nature le crée. L'homme voudrait faire croire que le processus de désertification est naturel, et qu'il peut être combattu. Je dis au contraire que ce processus actuel et visible est dû à la présence de l'homme et qu'il est inéluctable.

 L'intervention incontrôlée et désordonnée de l'homme accélère un processus qui n'est plus la désertification, mais la destruction d'un milieu. Pour éviter toute confusion terminologique, le mot "désertisation" a été créé. La désertisation serait le phénomène naturel de formation et d'extension des déserts actuels. La désertification conserve son sens originel, et désigne un phénomène artificiel, la dégradation par l'être humain, de sols arides (ou non).

 Quant à dire que le désert n'existerait pas sans l'homme, je veux parler de ce désert-là, désert anthropique, finalement récent dans l'histoire de la Terre, peuplé de fantômes des plantes et des animaux disparus, ceux qui faisaient la richesse biologique de ces régions. Bien sûr, la désertification aurait, par un phénomène de sélection naturelle, provoqué la disparition (et aussi l'apparition) de certaines espèces animales et végétales ; mais pourquoi faut-il que celles qui ont réussi à s'adapter à ces changements formidables soient irrémédiablement exterminées par l'homme ?… Ah oui, c'est vrai, "la chasse, c'est naturel !…"*

*1 La seule dont je préconise l'ouverture toute l'année est la chasse au con, dont on sait que ce ne sera jamais une espèce en voie de disparition…

 Quant à la bonne volonté d'organismes humanitaires et de scientifiques, voici quelques exemples d'erreurs "de détail"… En 1956, des techniciens italiens installent une énorme retenue d'eau dans le village de Goundi, au Burkina Faso. A cette époque, les pluies sont abondantes, et l'on construit une quarantaine de bassins de stockage. Les villageois ont l'eau, mais pas les moyens de l'utiliser. 

 Les eaux stagnantes vont croupir, milieu tout à fait propice aux moustiques, qui vont pulluler. Les habitants de Goundi tombent malades des fièvres transmises par les moustiques. On a apporté des problèmes sur lesquels personne ne s'était penché… avant.

 Mais l'eau qui tombe enfin entre 1956 et 1960 dans la région sahélienne est ardemment souhaitée depuis la dernière sécheresse ; les alternances cycliques d'aridité ont beau être controversées, elles ont tendance à s'allonger au fil des ans. Les habitants de l'Afrique aride pratiquent une agriculture et un élevage peut-être archaïques, mais qui répondent et suffisent à leurs besoins, et est plus ou moins en équilibre avec le milieu. Equilibre précaire (400 000 têtes de bétail mortes entre 1963 et 1965 lors de la sécheresse qui a sévi au Botswana) que l'on va, pour de louables raisons humanitaires, et donc sans le vouloir (du moins, je l'espère !…), briser irrémédiablement. Pour tous les pays occidentaux industrialisés, et avec raison, la sécheresse n'est pas une fatalité : on peut la combattre, et l'on va mettre au service de cette lutte contre la désertification tous les progrès technologiques dont nous disposons.

 Le Sahel est une région de savanes claires couvrant 6 pays africains (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Soudan) ; les arbres, arbustes et buissons qui la composent reverdissent dans les années 60, et des années de vaches grasses*1 vont succéder aux précédentes. Et chose terrible à dire, le Sahel va vivre "au-dessus de ses moyens". Divers gouvernements occidentaux, l'aide internationale, des associations humanitaires, l'O.M.S. (Organisation Mondiale de la Santé), l'UNESCO, l'UNICEF, vont participer au développement du Sahel : des puits sont creusés, le taux de mortalité infantile régresse ; l'abondance de nouveaux pâturages permet au bétail un taux de reproduction élevé, signe de richesse pour les propriétaires. Les surfaces d'irrigation augmentent en fonction des précipitations ; on ne se préoccupe pas du proche avenir, on profite seulement de l'instant présent, avec les facilités accordées par les pays industrialisés.

 Le cycle infernal de la "sécheresse à longue queue" reprend à partir de 1968. En 1970, les pluies s'arrêtent tout à fait. Danger insidieux presque invisible, la sécheresse et ses conséquences dramatiques sur les populations sont la conjugaison de la durée de la période d'aridité avec l'espoir croissant que plus le temps passe, plus les pluies vont revenir. Cet espoir arrive à son terme lorsqu'il est trop tard. En 1973, la prolifération du bétail, son piétinement désespéré autour des puits asséchés*2, furent le départ de la catastrophe anthropo-écologique du siècle : les arbres, leurs branches, leurs feuilles  furent dévorés par les troupeaux, les chèvres broutèrent les jeunes pousses, déterrèrent les racines, firent disparaître la maigre végétation qui subsistait encore, détruisant le fragile équilibre écologique, favorisant l'érosion des sols.

*1 Il est troublant de constater que déjà, dans l'Ancien testament, en 1884 av. J.C., ces années de vaches grasses/vaches maigres sont cycliques et durent environ 7 ans (Genèse 41).
*2 J'ai vécu pareil spectacle désolant dans le désert de Thar en 1982, et dans le Nordeste brésilien en 1986…

 Le rapport entre les ressources naturelles et les besoins légitimes de la population et de leurs troupeaux est devenu trop inégal : une dramatique régulation "naturelle" s'est effectuée, et c'est de ce chiffre douloureux dont il faudrait tenir compte pour toutes les prévisions futures. Car l'avenir nous réserve d'autres sécheresses, peut-être plus tragiques encore. A nous d'éviter les erreurs passées conduisant à des disettes et des famines…

 Les pluies vont réapparaître au Sahel en 1974 ; mais la bonne terre a été emportée par le vent. Ce qui reste est lessivé par les eaux de ruissellement dévastatrices, qui terminent le travail de sape exercé par l'érosion éolienne. Les eaux stagnantes provoquent le pullulement des insectes, dont beaucoup sont nuisibles (moustiques, criquets, chenilles de papillons parasites entre autres…). Les rats prolifèrent aussi.

 En fait, comme on n'a pu su "gérer la pénurie", on ne sait pas plus gérer l'abondance : on pare au plus pressé, sans songer à préparer l'avenir, même proche. La preuve ?… On recommence les mêmes erreurs, et à partir de 1978, la sécheresse au Sahel ramène le spectre de la famine dans des pays qui en sortaient à peine. Au Tchad, 1/3 des troupeaux est décimé ; 1985, 1986, 1987, 1988, quatre années de sécheresse et de disette dans l'état du Rajasthan en Inde. Les rallyes Paris-Dakar et autres courses bidon de grosses voitures auto-collées pour messieurs-dames très argentés ou très connus dans des pays sous-développés, et qui ne comprennent rien au désert, se donnent des excuses à grand renfort médiatique, en apportant des pompes (électriques…) pour "sauver le Sahel" ; c'est tout juste s'ils n'ajoutent pas que le rallye Paris-Dakar est une mission humanitaire…

 Et pendant que nos tristes vedettes font joujou avec leurs grosses petites voitures, la foule africaine ne les acclame pas…

 Les bonnes volontés sont parfois médiatisées, pour la bonne cause : la prise de conscience passe aujourd'hui par la charité-spectacle : on chante pour les enfants d'Ethiopie (1985), on polémique sur le riz envoyé à la Somalie. On danse même sur "Le désert avance"… J'ai vu le comble en 1987, aux Canaries, à Lanzarote, où toute une faune argentée se dandinait et se frottait dans un night-club sur des images vidéo grand écran d'enfants squelettiques…

 Sur place, ce n'est guère mieux : la plupart des pays (dont les frontières sont presque toutes issues de la décolonisation, ne l'oublions pas…) sont plus que moins en guerre avec leurs voisins ( une page énumérative n'y suffirait pas.), voire inter-ethnique, et dépensent la majeure partie de leurs ressources en armements (que nous leurs fournissons !). On envahit même son voisin parce qu'il est plus riche (guerre Iraq-Koweit), en oubliant que la pauvreté dont souffre l'Iraq provient entre autres raisons, de dix années de guerre contre l'Iran*…

* Etonnant et rare : deux pays ont su gérer à la fois un état de guerre et des moyens de lutte contre la désertification : la Lybie et Israël…

 Notre part de responsabilité est gigantesque : la fixation que nous faisons d'aider coûte que coûte les populations sahéliennes en leur apportant des pompes et en creusant des puits à outrance produit l'effet inverse de celui souhaité. J'ai pendant douze ans, alors qu'on leur tient un langage tout à fait contraire, essayé d'expliquer dans les écoles l'ineptie et l'irresponsabilité de certains organismes honnêtement bien intentionnés, collectant des fonds pour équiper les pays du Sahel de pompes et de puits supplémentaires. L'idée de fond est charitable et humaine ; mais elle démontre notre ignorance ou notre inconscience face aux problèmes complexes soulevés par les sécheresses.

 La démonstration est fort simple : je prends un verre plein d'eau avec une paille, c'est la période de "vaches grasses". La sécheresse vient peu à peu s'installer, que faisons-nous ? Le verre n'est plus qu'à moitié rempli d'eau, et l'on rajoute des pailles ! Les nappes phréatiques ne sont plus alimentées : on donne seulement aux gens la possibilité d'assécher plus rapidement et plus sûrement les nappes, car elles sont déjà surexploitées.

 La France a, pour sa part, commencé à réfléchir au problème lorsque la sécheresse a sévi en 1990, sur son propre territoire. Or, que je sache, le réseau hydrographique et la pluviométrie, si faible soit-elle, n'ont rien à voir avec le Sahel, car la pression humaine est moins forte que les ressources aquifères, et cela malgré la densité et les besoins de la population française. Les vraies solutions ne peuvent satisfaire les gouvernements, car elles sont à moyen ou long terme, et dépassent largement les périodes de mandat des élus (ils en feraient profiter leurs successeurs…).

 Deux politiques sont indissociables pour permettre un travail cohérent et payant :
-1) L'éducation des populations sur le problème de la désertisation, et des solutions locales adaptées aux différentes cultures ethniques.
2) Le reboisement par la plantation d'espèces adaptées et choisies en fonction de leur caractère indigène.

 Si nous devons intervenir, à la demande des pays arides car nous ne pouvons rien imposer, il nous faudra repenser notre rythme d'action et l'adapter aux autochtones. On veut toujours aller trop vite. Quant à eux, il faut absolument qu'à côté de la prise de conscience de leur auto-destruction (car une sensibilisation ne suffit pas), il y ait des palliatifs, puis des solutions concrètes : si le déboisement et les chèvres sont les causes majeures de la désertification anthropique*, quelles énergies, quel type d'élevage peuvent les remplacer, et surtout, comment les populations locales pourraient-elles réagir à la proposition d'un nouveau mode de vie totalement étranger au sien, fait de traditions millénaires ? Voilà pourquoi rien n'est simple…

Déserts anthropiques.

 Indiens d'Amérique, Bochimans du Kalahari, Aborigènes d'Australie entretenaient, jusqu'à l'arrivée des Blancs, une relation étroite avec leur milieu. Il s'agissait d'une gestion sinon inconsciente, du moins naturelle (parfois obligée) des ressources biologiques de la zone aride. Les changements brutaux se sont opérés avec les néocivilisations originaires de l'Occident, qui ont apporté avec elles des technologies susceptibles de modifier profondément et durablement l'environnement.

 Mais les Occidentaux ne reproduisent que ce qu'ils ont déjà fait chez eux : combien de forêts de chênes, du temps de la marine à voile, ont ainsi disparu du paysage français ? Déjà au 5ème siècle av. J.C., à l'époque de Périclès, la Grèce a presque entièrement détruit les forêts de l'Attique, pour les seules exigences de la construction navale… La Jordanie, Israël, le Liban sont des zones où la végétation actuelle n'est plus en équilibre et n'a plus rien à voir avec le climat d'aujourd'hui ; il s'agit là d'un type même de "faux désert", ou "désert anthropique"*, désert fabriqué par l'homme.

* Pour ma part, ce n'est pas un pléonasme : désertification anthropique signifie qu'il s'agit d'un phénomène naturel altéré par l'action de l'homme. Avoir donné les définitions de "désertification" et "désertisation" ne veut pas dire que je les approuve : elles ne me semblent pas justifiées.

 Il y a plus de 2000 ans, et même encore au temps du Christ, la forêt de cette zone occupe encore un vaste territoire : il s'agit néanmoins de petites forêts clairsemées. L'homme a commencé la déforestation en détruisant par le feu, la hache, transformant peu à peu le paysage en steppe où seuls les moutons et les chèvres trouvaient leur pitance ; ces animaux ont fait disparaître la maigre couverture végétale qui subsistait encore, la steppe est devenue "désert". Les fameux cèdres du Liban (Cedrus libani) ont, à cause de la qualité exceptionnelle de leur bois, été décimés.

 Aujourd'hui, et c'est à une échelle planétaire, 7 millions de Km2 de la région amazonienne ne reçoivent plus que 800 mm de précipitations annuelles : on glisse perceptiblement vers l'aridité, avec tous les stades intermédiaires d'évolution en une ou deux générations de l'espèce humaine. La petite Guyane Française participe-t'elle au grand holocauste, ou y a-t'il véritablement prise de conscience ?… Personne ou presque n'a vraiment l'air de s'en inquiéter.

 L'accroissement des populations, et partant de là, de l'augmentation des têtes de bétail, surtout chèvres et moutons, apporte sur l'environnement une pression intolérable. Toute technologie, tout progrès a son revers. L'exploitation intensive des sols et des pâturages, la culture sur brûlis, qu'on appelle plus joliment "l'agriculture itinérante", est pratiquée dans des zones à haut risque : Australie, Brésil, Mexique, Botswana, Kenya, Mali, et malheureusement, etc… Cela ne peut "marcher" qu'avec de très faibles densités de populations ; au-delà d'un certain seuil, on rend les sols stériles, et les conditions climatiques peuvent en être gravement perturbées.

 On le constate de visu en de nombreux points du globe ; on pratique la destruction systématique de tout ce qui peut, en apparence, faire obstacle à nos projets : élimination des herbivores "concurrents", des prédateurs, braconnage, destruction de la flore sauvage (collines remodelées pour les riches villas d'Encino, banlieue de luxe de Los Angeles aux Etats-Unis), etc. 

 A l'inverse, mais le résultat est curieusement identique, l'introduction accidentelle ou intentionnelle d'animaux (comme les Lynx en France…) ou de végétaux a la même influence désastreuse sur l'équilibre du milieu. Il suffit de se rappeler les invasions de lapins de garenne en Australie, ou des cactus (Opuntia stricta) dans l'état du Queensland. Un exemple de la destruction des herbivores "concurrents" : le massacre des kangourous (dont on sait qu'ils n'ont pas le même régime alimentaire que les moutons), des émeux assassinés à la mitrailleuses, etc.

L'introduction massive d'animaux placentaires en Australie signifie à plus ou moins long terme la disparition de la plupart des Mammifères marsupiaux, mis en concurrence écologique inégale avec des herbivores tels que lapins, moutons, buffles, ânes ou dromadaires, des rats et des souris, et pourchassés par des chiens, des renards, des chats redevenus sauvages… Aucun contrôle n'étant possible, seuls les marsupiaux les mieux adaptés, s'il en existe, ou les plus spécialisés, si leur domaine écologique n'est pas anéanti, resteront dans les prochaines décennies, les vestiges d'une faune particulièrement attachante.

 On n'hésite pas non plus à brûler des dizaines de milliers d'hectares de végétation xérophyte, juste pour chercher fortune, et essayer de trouver à l'aide d'un détecteur de métal, des pépites d'or, sans être gêné par les cruelles piqûres des herbes acérées des Spinifex. Un autre méfait très révélateur du désastre écologique que font encourir à la planète nos "apprentis-sorciers" : le lapin a été introduit aux Iles Macquaries en Australie, pour servir d'apport alimentaire. Mais il s'adapte si bien et sa reproduction est si rapide qu'il menace les récoltes. Qu'à cela ne tienne : des chats sont lâchés dans la nature, pour réguler le nombre de lapins. Et ça ne marche, ma foi, pas trop mal…

 Mais lorsque les lapins ont disparu, les chats s'attaquent aux oiseaux de mer. Rien ne va plus : les indigènes consomment les œufs des oiseaux marins ! Il faut maintenant faire disparaître les chats. On apporte des chiens. Mais les chiens préfèrent s'en prendre aux phoques, l'une des ressources principales des insulaires.  Auriez-vous un animal qui puisse nous débarrasser du chien ?…

 Autre exemple tout aussi lamentable : l'Ile de Guadalupe se situe à 240 km au large de la Basse-Californie au Mexique ; l'endémisme des espèces végétales et animales y est remarquable. Encore une fois, l'homme est seul responsable de la dégradation soudaine de l'écosystème, puis de la disparition de la presque totalité de la flore et de la faune insulaires. Au 19ème siècle, les marins y débarquent et massacrent l'Otarie de Guadalupe (Arctocephalus philipii townsendi) et l'Eléphant de mer (Mirounga angustirostris), aujourd'hui protégés ; pour ravitailler les équipages en viande fraîche, on lâche des chèvres dans l'île, ainsi que des chats. En l'absence de prédateurs, les chèvres se multiplient, et rasent Guadalupe de toute végétation, endémique ou non. Le nichage et la nidification deviennent rapidement un problème pour les oiseaux de mer, et les chats en profitent pour faire disparaître de nombreuses espèces. Le Caracara (Polyborus plancus), trop gros pour être attaqué par les chats, est exterminé par les hommes, qui l'accusent de tuer les chèvres.

 A l'aube du 21ème siècle, aucune solution n'a été adoptée pour sauver ce qui reste de Guadalupe…

• Le désert en jeu : potientialité et réalités.

• L'eau.

 Tout paraît possible si l'eau est disponible : mais la surexploitation des nappes phréatiques doit être freinée, car elle entraîne le tarissement des ressources aquifères et l'effondrement du sous-sol. L'irrigation a ses revers : évaporation intense, stagnation des eaux, prolifération des algues, maladies dans les oasis (bilharziose, paludisme, dengue…), lixiviation des sols, remontées salines, etc. Les sols insuffisamment drainés deviennent vite saturés en sel, rendant toute culture impossible. On a même avancé des chiffres : la perte des terres par les remontées osmotiques et les saturations salines représentent une surface identique à celles que l'on a gagnées sur le désert !…

 Pourtant, cette eau est indispensable pour modifier à terme, les climats de certaines régions : freiner l'érosion par des solutions appropriées en plantant des espèces herbacées ou arbustives est un bon moyen de retenir les sols ; la conservation des sols passe par la restauration des terres, la lutte contre l'érosion, la stabilisation des dunes. En Iran, la progression des dunes vives est stoppée par l'apport d'hydrocarbures résiduels dont on asperge les sables, procédé assez peu écologique, dont on dit pourtant qu'il se transforme en un humus capable de favoriser la plantation d'espèces végétales arbustives, sans que l'on parle toutefois du sort des plantes indigènes qui ont subi ce traitement…

 Le détournement de fleuves, la construction de barrages de retenue ne doivent pas être pensés seulement en fonction du résultat potentiel sur la zone irriguée, mais aussi sur le changement brutal et irréversible d'un écosystème. Le sud de la Californie retournera vite au désert (adieu, les belles oranges !) si la pression sur l'hydrologie locale se maintient au niveau actuel…

 L'eau, saumâtre, fossile ou non, peut être utilisée (et l'est dans certains cas) à des fins diverses : la distillation solaire permet d'obtenir de l'eau potable à partir d'eau fortement salée, impropre à la consommation. Au Botswana par exemple, quelques villages profitent de ce système. En Australie, une "usine" de désalinisation de l'eau (pompée à 100 m sous terre) a été installée en 1967 à Coober Pedy, mais n'était pas suffisante pour les besoins des 3 à 4000 mineurs d'opale du village. De plus, un vent de sable détruisit de nombreux panneaux solaires et mit fin au projet. En 1980, une usine de traitement de l'eau par la pression osmotique remplace la distillation solaire.

 Le tourisme apporte des inepties : aux Canaries, dans l'île de Fuerteventura, il n'a pas plus durant 5 ans ; toute l'eau que les touristes utilisent provient de coûteuses usines de désalinisation de l'eau de mer fonctionnant au pétrole, ou de bateaux-citernes venant de la Grande Canarie. Ignorant cela, les touristes de passage gaspillent ce bien précieux dont les Canariens sont eux-mêmes souvent privés, économie oblige, et payent à prix d'or.

 D'autres régions arides "baignées" par des brouillards côtiers, comme le Chili, expérimentent des structures collectrices d'eau. Au-dessous de 1200 m d'altitude, le désert d'Atacama reçoit ses précipitations sous forme de brouillards, qu'on appelle la Camanchaca. Carlos Espinoza, professeur de physique à l'Université d'Antofagasta m'a présenté son projet en 1981; il s'agit de structures géométriques ("macrodiamants") en forme d'octaèdres, capables de capter et de concentrer l'eau des nuages de rosée de la Camanchaca. Une structure de 200 kg (volume plié : 0,2 m3. Volume installé : 100 m3) d'une hauteur de 6 m et d'une surface de 22 m2 permettrait d'obtenir, dans le meilleur des cas, environ 1000 litres d'eau par jour. Voilà une idée à développer au Pérou et en Namibie…

 En Israël, Lucien Bronicki a réussi à utiliser les eaux salines de la Mer Morte pour produire de l'électricité ! Le principe de la piscine solaire à concentration saline étagée repose sur les densités et les températures des différentes nappes salines, présentes dans de nombreux déserts ; la couche inférieure peut atteindre et même dépasser les 100°C, à condition que les eaux de surface ne soient pas agitées par le vent.

 Ainsi, les marais salants, sebkhas, salinas, chotts, dry lakes, etc, transformés en usines de désalinisation, pourraient fournir au moins 100 millions de m3 d'eau douce par an, pour une surface (couverte artificiellement pour éviter l'agitation des eaux des étages supérieurs) de 65 hectares ! Cela suffirait également à limiter la consommation de bois, en permettant le chauffage des aliments pour de petits villages ; l'électricité produite par les piscines solaires pourraient, outre la fourniture d'énergie, désaliniser l'eau de mer par distillation ou électrolyse, irriguer les terres avoisinantes, fabriquer du froid pour les installations réfrigérées, de la chaleur pour la cuisson des aliments ou le chauffage des habitations en hiver, etc. La réussite de la piscine solaire à concentration saline étagée d'Ein Bobek en Israël, a été suivie d'autres projets près de la Mer Morte, et jusqu'aux Etats-Unis, au Texas, par exemple, où l'on détourne des eaux salines pour les stocker dans un lac artificiel qui servira de base à l'élaboration de piscines solaires.

 Les eaux souterraines fossiles (certaines auraient 12 000 ans) présentes au Sahara (Tunisie, Libye…), aux USA (Oregon…) sont utilisées d'une façon la plus rationnelle possible, car elles sont des ressources naturelles très probablement non renouvelables. La Libye a mis en place un système à pivot central d'où l'eau est pompée à 300 m de profondeur, voire plus, jusqu'à 2000 m, et alimente des champs artificiels de céréales de 800 m à 1,6 km de diamètre ; par un savant dosage des quantités distribuées, un dispositif roulant ou manège, posé sur des galets ou des rails, assure un arrosage automatique, lent et circulaire. Vu du ciel, en avion, cela donne l'aspect de disques verts posés sur le désert.

 J'ai observé des systèmes identiques aux USA, dans l'Oregon. Même si les eaux fossiles ne sont pas renouvelables (on n'en a pas la preuve formelle d'ailleurs…), elles peuvent si l'on ajoute conjointement à la culture céréalière, l'arboriculture et la sylviculture, provoquer localement des micro-climats. Les cultures sous serres, les cultures hydroponiques, ou en goutte à goutte sont également des procédés très simples et économiques de l'utilisation de l'eau douce en zone aride ou semi-aride. Il faudrait également réhabiliter, pouvoir restaurer les anciens systèmes d'irrigations (foggara, qanat, etc.) abandonnés, dégradés, et pourtant très efficaces. Il est vrai que l'entretien, périlleux pour les ouvriers,  en était alors assuré par des esclaves. Cela se fait surtout à titre individuel, et Haiba, un ami algérien a ainsi remis en service une ancienne foggara pour irriguer ses parcelles.

 L'oasis de Nazca utilise encore les canaux souterrains d'irrigation pré-incas, mais les habitants ont descellé les plaques de pierre qui les recouvraient en de nombreux endroits pour y prélever de l'eau, provoquant de ce fait une pollution accrue des eaux, et une évaporation intense.

• Potentiel agricole.

 Avec les différents procédés de désalinisation utilisant des énergies douces, des cultures choisies et une irrigation contrôlée, la production agricole au désert montre de bons résultats : l'Arabie Saoudite en est un exemple (quoiqu'elle ait encore des progrès à faire en matière de désalinisation, puisqu'elle l'obtient encore à l'aide d'énergie fossile, le pétrole).

 Au 19ème siècle, le désert d'Atacama connut un boom extraordinaire : l'exploitation des nitrates, d'abord dans la fabrication des explosifs, puis des engrais. Malheureusement, on avait besoin de charbon de bois pour leur extraction et leur transformation. L'antique forêt de Tamarugos (Prosopis tamarugo) de la Pampa del Tamarugal fut presque entièrement exterminée pour les besoins de combustible. Aujourd'hui, après 50 années de plantations, les résultats sont prometteurs : le Chili possède 25 000 hectares de Tamarugos dont les plus âgés ont un demi-siècle. Alimentés grâce à une nappe phréatique peu profonde, les arbres peuvent se développer ; les racines doivent néanmoins traverser 60 cm de sels pour atteindre l'eau douce. Depuis 1979, des bovins, des ovins, des caprins et des camélidés (Lama glama) ont été introduits sous contrôle strict. Les feuilles et les fruits (gousses) des Tamarugos sont utilisés comme aliment pour le bétail. 

 La sylviculture en zone aride demande un choix précis d'essences végétales, et l'on sous-estime généralement l'importance de l'utilisation des espèces indigènes, au profit d'espèces exotiques. Il ne faut pas oublier, et l'hiver européen de 1985 nous l'a rappelé, tout changement climatique même mineur et court, peut détruire la flore introduite non protégée et non adaptée à ces changements brusques de climats à cycles courts. Les dommages sont irréparables si la flore introduite a été substituée à une flore indigène exterminée ; la reprise du couvert végétal ne pourra se faire rapidement qu'avec l'intervention de l'homme.

 Il est infiniment plus intéressant à tous points de vue, de conserver d'abord la flore originelle, plutôt que d'essayer d'introduire des espèces étrangères, qui s'adaptent parfois au-delà de toutes espérances, devenant même une catastrophe économique ; ainsi, l'introduction intentionnelle au 19ème siècle de Cactées du genre Opuntia (Opuntia stricta) en Australie, dans l'état du Queensland. En 1925, la surface occupée était estimée à environ 250 000 km2. Le nettoyage de ces terres aurait coûté plus cher que leur propre valeur.

 Pourquoi le cactus envahit toutes les terres, alors que dans son habitat, en Amérique du Nord, les plantes poussent en touffes bien isolées, sans prolifération ? Dans son milieu naturel, le cactus possède ses propres prédateurs qui en limitent l'extension. N'ayant rencontré aucun ennemi en Australie, Opuntia stricta s'est développé à outrance. Il fallut apporter d'Argentine, des œufs d'un papillon de nuit, Cactoblastis cactorum, dont la chenille se nourrit de tiges de cactus ; très vite, la population de Cactoblastis cactorum augmenta en fonction de la disponibilité et de la quantité de son alimentation, et causa au cactus des dommages tels, qu'aujourd'hui, Opuntia stricta n'est plus un problème. Les terres ont pu être réhabilitées, et plantes et prédateurs s'auto-régulent.

 A l'inverse, l'Australie a permis l'introduction en Amérique, en Europe, en Asie, en Afrique, de l'Eucalyptus. Planter des Eucalyptus sans discernement et particulièrement en Afrique, me semble être une erreur dangereuse. ce sont des arbres qui épuisent rapidement les nappes phréatiques ; l'absence de prédateurs permet aux arbres d'avoir un feuillage très dense, avec un dégagement d'essences volatiles très inflammables, augmentant les risques de feu. Il est surtout totalement inutile au bétail, qui ne peut manger ni les feuilles, ni les fruits. Enfin, rien ou presque ne pousse sous un Eucalyptus…

 Le genre Eucalyptus possède de nombreuses espèces adaptées au feu, ce qui n'est pas le cas de la plupart des arbres africains ; si le feu naturel, provoqué par la foudre, permet en général la régénérescence des espèces par le semis de graines "pyrophiles"*, en revanche, les feux de brousse humains répétés font disparaître les espèces indigènes non adaptées, et changent profondément les communautés végétales, tout en les appauvrissant. La région méditerranéenne connaît ce problème.

* Le laps de temps entre deux incendies naturels est suffisamment long pour permettre la repousse de jeunes arbres.

 Parmi les arbres et arbustes susceptibles de nourrir le bétail et favoriser le reboisement, les Acacias (Acacia radiana, A. senegal…), les Prosopis (Prosopis juliflora, P. cineraria, P. tamarugo, P. pallida…), les Jujubiers (Zizyphus nummularia, Z. mauritiana…), le Jojoba (Simmondsia chinensis), etc, sont actuellement étudiés dans des programmes de sylvipâture et de reforestation dans de nombreux pays à haut risque : Pérou, Chili, Inde, Mauritanie, Israël… Ces arbres sont d'une grande importance économique, et d'un avenir certain : il est à noter qu'au Pérou, l'algarrobina, tirée de Prosopis pallida, est consommée en sirop par les habitants.

 Tout le monde connaît l'essor fantastique de l'arbuste "Jojoba", Simmondsia chinensis (ou S. californica), qui pousse à l'état sauvage au nord du Mexique et au sud-ouest des Etats-Unis. Cet arbuste dioïque (il y a des arbres "mâles" et des arbustes "femelles") peut servir à la fixation des sols, il supporte un fort taux de salinité, ses racines atteignent jusqu'à 30 m de longueur, il accepte de faibles précipitations, environ 100 mm seulement par an, et vit 150 ans. C'est un très bon aliment pour le bétail, mais surtout, on obtient "l'huile de Jojoba" à partir de ses graines oléagineuses : cette huile est chimiquement semblable au "blanc de baleine", le spermaceti, et ne rancit pas ! Elle remplace avantageusement (merci pour les Cachalots !) l'huile de Baleine dans des utilisations plus que diverses : lubrification automobile et aéronautique, propulsion de sous-marins nucléaires, mais aussi chewing-gum, cires et bougies, encaustiques, cosmétiques, produits de beauté, shampoings, médecine, etc ! On dit qu'une huile moteur de ce lubrifiant miracle ne se vidange que tous les 32000 kilomètres !

 Seul problème : sa culture est aléatoire dans les premières années de la plantation. Et la production annuelle est dix fois moindre que la demande. Il est à souhaiter pour tout le monde (hommes et… cachalots) que la tendance s'inverse, pour un meilleur troisième millénaire…

 D'ailleurs, le monde de la recherche bouge, et des découvertes s'annoncent prometteuses : la symbiose entre un champignon (Frankia) fixateur d'azote, et les Filaos (Casuarina) permettrait de remplacer les engrais chimiques : plantés pour stabiliser les dunes, ils apportent avec eux leur propre fertilisant naturel !

 En 1982, je suis invité à l'Institut Central de Recherches en Zone Aride (C.A.Z.R.I.) de Johdpur, à la porte du désert de Thar, en Inde. Le Rajasthan est l'un des états les plus pauvres de l'Inde, où les conditions de vie et d'agriculture sont des plus précaires. Avec le C.A.Z.R.I., les techniques les plus modernes mêlées aux moyens les plus modestes sont mises en œuvre pour vaincre la désertification et le manque d'énergies.

 Le canal de Gang assure désormais au Rajasthan aride, des quantités d'eau régulières en provenance de l'Himalaya, pour l'irrigation. Quant aux ressources agricoles, les graines sont sélectionnées selon leur rendement bien sûr, mais selon leur capacité à résister à la sécheresse, aux maladies et aux parasites. Des expériences sont tentées sur des dizaines d'hectares, avec une plante qui est d'un grand intérêt économique pour le Thar : le Guar (Cyamopsis tetragonolobus). En effet, la farine obtenue à partir des graines de Guar (le fameux émulsifiant naturel E 412) entre dans la composition de nombreux aliments lyophilisés, de flans, d'entremets, crèmes glacées, soupes instantanées et autres préparations culinaires. Nous consommons, sans le savoir, un produit du désert !

 Toujours au Rajasthan, les "melons du désert" (Citrullus colocynthis), malheureusement immangeables, donnent des graines qui sont utilisées pour fabriquer du savon.

 Aux Etats-Unis, des plantes sauvages, des buissons considérés comme nuisibles sont peu à peu réhabilités ; ainsi Lesquerella palmeri, une Crucifère qui peut servir de base à la production de matières plastiques, ou encore deux Chénopodiacées, Salsola kali et Atriplex confertifolia qui d'inutiles, passent au statut de plantes fourragères, en complément d'aliment pour le bétail !

• Potentiel animal. Lutte contre les animaux déclarés nuisibles.

 L'accroissement des troupeaux domestiques est le principal obstacle à la lutte contre la désertification, car ces animaux ne s'intègrent pas dans l'écosystème où ils sont introduits. L'élevage d'animaux vivant à l'état sauvage, et donc adaptés au milieu aride pourrait, semble-t-il, procurer des solutions. Les Soviétiques ont tenté de sauver de l'extinction l'Antilope Saïga (Saïga tartarica) en proclamant sa protection en 1919. Et ça marche ! De 1930 à 1960, le nombre de têtes passe de 1000 à 2 500 000 ! On peut désormais effectuer des prélèvements sans mettre en danger la population des Saïgas : 350.000 sont abattues chaque année pour la viande, la peau et la graisse.

 L'Autruche (Struthio camelus) est domestiquée en Afrique australe, autant pour ses plumes que pour sa chair. Les Gazelles (Gazella dorcas), l'Antilope Addax (Addax nasomaculatus), l'Oryx (Oryx gazella), l'Elan du Cap (Taurotragus oryx), l'Antilocâpre (Antilocapra americana) pourraient également se voir sauvés du grand holocauste, et utilisés plus rationnellement pour l'alimentation humaine, sans la dangereuse pression que font subir les animaux domestiques sur le milieu naturel. Mais cela restera encore longtemps du domaine de l'expérimentation. En ce qui concerne les animaux domestiques, il existe par exemple à Bikaner, dans l'état du Rajasthan, une ferme d'élevage gouvernementale de 150 têtes de dromadaires.

  Après que les bêtes aient passé une journée à pâturer, les chameliers ramènent le troupeau à la ferme pour y boire et y passer la nuit. La chair du dromadaire n'est pas consommée, pour des raisons religieuses, et seul le poil est utilisé pour tisser des tapis et des couvertures. Le lait de chamelle est aussi consommé : très fortement salé, il ne contient pratiquement pas de matières grasses. Le gouvernement indien étudie les possibilités de reproduction intensive du dromadaire, ainsi que son importance économique pour la région, très pauvre en ressources naturelles. Le désert de Thar n'offre que peu de solutions, les animaux économiquement utiles sont peu nombreux. La ferme expérimentale s'attache également à développer ses études vers la biomasse, en produisant du gaz méthane à partir des excréments de bovins. L'Inde possède en effet le plus grand troupeau improductif du monde. Bien que les Indiens utilisent depuis toujours la bouse de vache comme énergie de cuisson de leurs aliments, le potentiel de production de méthane est tel que les scientifiques indiens travaillent sérieusement la question.

 Mais les habitudes alimentaires, culturelles, religieuses, sont autant d'obstacles à ces projets. Le plus grand problème auquel les chercheurs doivent faire face est le manque d'éducation des 95% de la population, profondément ancrée dans des coutumes, des croyances millénaires, avec une foi et une religiosité qui confinent parfois au fanatisme. La lutte contre les animaux déclarés nuisibles est une priorité. Voici un exemple de la réalité quotidienne qu'ont à affronter les chercheurs : dans le village de Deshnoke, au Rajasthan, se dresse le Temple des Rats. Dans un pays où les rongeurs sont une véritable calamité, le Temple des Rats est un paradoxe à la mesure du continent indien. On y nourrit les rats, car la légende veut que les enfants mort-nés s'y soient réincarnés sous cette forme. Et l'on vient remercier Karani, incarnation de la déesse Durga, qui a permis le miracle.

 Et les rats sont bénis, chéris, adorés, protégés des rapaces, nourris, à tel point qu'on les nomme "Khaba", nos enfants. Non loin du village, des scientifiques tentent de capturer les rongeurs pour enrayer leur prolifération et les faire disparaître. Difficile de faire cohabiter tradition et progrès…

 Il n'y a pas que les rats : les termites, les criquets migrateurs (Schistocerca gregaria), les moustiques dans les secteurs irrigués, les souris, les lièvres et lapins etc, sont autant de plaies agricoles qu'il est difficile de maîtriser. Les chercheurs voudraient avec quelque raison privilégier la lutte biologique sous contrôle sévère, car les pesticides s'utilisent aveuglément, et brisent de nombreux maillons de la chaîne écologique. Certaines chaînes sont extrêmement courtes, tel le rapport étroit, je l'ai déjà évoqué, qui existe entre l'Arbre de Josué (Yucca brevifolia) et la Phalène du Yucca (Tegeticula) en Californie. L'emploi systématique d'insecticides sur les orangeraies et les cultures en général peuvent menacer (entre autres) la Phalène du Yucca ; or, ce petit papillon de nuit est le seul à féconder ce Yucca, en y pondant ses œufs. J'ose imaginer ce que la disparition de la Phalène du Yucca entraînerait pour le désert de Mojave : incapable de se reproduire en l'absence de son unique agent pollinisateur, seules les générations semées, nées des ultimes fécondations, seraient en mesure de prolonger le temps pendant lequel l'aspect typique du désert resterait le même, soit les 250 ou 300 ans que vit Yucca brevifolia. Devenus stériles, au bout de leur vie, les grands Yuccas sauvages s'éteindraient les uns après les autres…

 Avec cet exemple que j'espère fictif, je veux mettre en lumière qu'un "accident écologique" provoqué par l'homme dès maintenant, peut avoir des conséquences invisibles et un résultat catastrophique à courte échéance. Si l'on n'en prend pas conscience dès à présent, nous assisterons impuissants, à l'auto-destruction de notre propre planète. Avant d'aller conquérir (chèrement) d'autres mondes extra-terrestres, ne ferait-on pas mieux de nous préoccuper de notre globe ?

 "Lorsque nous aurons perdu la boule, il y aura quelque chose qui ne tournera plus rond, dans l'Univers…"

• Potentiel minéral : Exploitation, surexploitation.

 En plein désert de Simpson en Australie, le sol est foré de toutes parts pour la recherche de l'opale : elles se présente en filons, dans des roches sédimentaires, coincée entre du grès et du gypse. L'Australie produit 95% de la production mondiale d'opales. Jusqu'à présent, on a plutôt exploité le désert comme un citron à presser. Les nombreux villages-fantômes traversés au cours de périples cyclistes au Chili, en Australie aux USA, etc, montrent l'acharnement humain à tirer le maximum du sous-sol jusqu'à épuisement des ressources. Toutes les mines que j'ai pu visiter témoignent d'un gigantisme effréné : je travaille en 1980 dans la plus grande mine de fer à ciel ouvert du monde, dans le Western Australia, Mount Newman. L'année suivante, je découvre l'une des plus grandes mines de cuivre à ciel ouvert du monde :  Chuquicamata dans le désert d'Atacama, au Chili. Plus de 25 000 personnes vivent dans l'enfer désertique de l'Atacama. Située à près de 3000 m d'altitude, sa profondeur atteint 450 m pour un diamètre d'environ 3,6 km. Pour faciliter l'exploitation du minerai, la roche est perforée, et l'on introduit des cartouches de gélignite qui la pulvérisent par explosion. Les machines qui travaillent à l'extraction du minerai sont de taille respectable, pouvant transporter jusqu'à 170 tonnes de roche cuprifère.

menses gerbes d'étincelles, le cuivre, porté à une température de 1300°C., fondu au rouge, glisse dans des creusets comme une coulée de lave en fusion. La production de la mine de Chuquicamata est 500 000 tonnes de cuivre par an. Le désert est parfois généreux.

 En octobre 1978, le gouvernement du Botswana m'autorise à être le premier visiteur de la nouvelle mine de diamants de Jwaneng, dans le désert du Kalahari. Elle est considérée aujourd'hui comme l'une des plus productives du monde ! Les pierres sont de très haute qualité : 40% sont des gemmes, qu'on extrait à raison de 2 carats la tonne. A cette époque, Jwaneng est encore en cours de prospection : on creuse des puits partout, on cherche, on trouve ! 260 personnes étaient alors employées dans cette mine d'état financée par la "De Beers Company".

 L'indice de probabilité se calcule au moyen de simples prélèvements de sable de surface ; examiné à la binoculaire, s'il renferme de minuscules fragments de diamants, une recherche plus poussée peut avoir lieu. On effectue les sondages à l'aide de plateformes de forage. Des carottes de sondage sont prélevées dans la kimberlite, roche formée à très haute pression, et qui contient le carbone pur cristallisé sous forme de diamant. A Jwaneng, la kimberlite se trouve à partir de 50 m de profondeur, et les premiers puits creusés atteignent 130 m, mais ce n'est qu'un début. Dès que les prélèvements montrent que le gisement est important et rentable, l'exploitation peut commencer : le puits est alors agrandi. Après avoir été grossièrement concassée, la kimberlite est transportée sur des tapis roulants jusqu'à des malaxeurs qui mélangent la roche diamantifère à de l'eau et divers produits chimiques qui la transforment en boue.

 Ce mélange est ensuite décanté, après plusieurs traitements, puis transvasé dans des bidons numérotés selon la provenance et la richesse du gisement ; le contenu est ensuite versé à travers des trémies qui amènent la boue diamantifère jusqu'à des plaques vibrantes enduites de vaseline, et continuellement lavées à grande eau. Tout ce qui est déchet est éliminé par l'eau de lavage, et en fin de traitement, il suffit de faire fondre la graisse et de récupérer les diamants. Les gemmes, collectées et triées sont ensuite envoyées à Gaborone, la capitale, puis en Hollande à Amsterdam pour la taille et la vente.

 Moins connus, mais tout aussi recherchés, les sels de borax du désert de Mojave en Californie sont les dépôts les plus importants au monde, et servent aujourd'hui à l'obtention du bore, qui entre dans la composition des carburants de fusée et de nouvelles matières plastiques. Plus modestement, au Sahara, la caravane du sel transporte depuis plusieurs siècles, le sel du désert destiné à l'alimentation humaine.

• Désert poubelle ? Préservation des déserts.

 Le pétrole est le maître politico-économique du moment, car c'est encore l'énergie fossile majeure la plus convoitée au monde. On le trouve dans la plupart des déserts de l'hémisphère nord : Proche et Moyen-Orient, Amérique du Nord, Sahara.

 L'uranium est exploité aux Etats-Unis (Utah, Nouveau-Mexique), au Niger, etc. Les espaces désertiques ont conduit à des expérimentations d'armes atomiques, en Algérie (par la France, au Sahara), aux Etats-Unis (Nevada, Texas), en Chine (Gobi), en Inde (désert de Thar), en CEI, ex URSS (Kazhakstan), et sans doute au Moyen-Orient. Il est à craindre que le nucléaire civil propose aux pays pauvres possédant d'immenses territoires arides, de stocker les déchets nucléaires (comme le strontium 90 et le caesium 137) de leurs centrales. Les radiations engendrées par les scories radio-actives sont très néfastes à tout environnement.

 Là encore, on joue aux apprentis-sorciers. On ne devrait pas utiliser une énergie aussi dangereuse lorsque l'on n'est pas encore capable de la maîtriser. On nous affirme que les centrales atomiques sont sûres (sauf accidents…), mais la maîtrise du nucléaire passe d'abord par l'élimination des déchets radio-actifs qu'il engendre, et non le stockage souterrain ou sous-marin (voire spatial dans un triste avenir). Enfin, et il faut y penser, les énergies non renouvelables ne sont pas… renouvelables ! Notre détestable habitude politi-co-économique de chercher (pas trouver…) des solutions une fois qu'il est trop tard doit laisser la place à une alternative.

 Le solaire et l'éolien fournissent des énergies non encore complètement maîtrisées, non gratuites malgré leur apparente disponibilité en zone aride ; pourtant, dès que la technologie et les coûts de production et d'utilisation le permettront, les énergies solaires et éoliennes réduiront la dépendance vis-à-vis des énergies fossiles, et pourraient, pourquoi pas, les supplanter dans quelques décades. Des centrales éoliennes sont expérimentées un peu partout, et notamment aux USA (Californie), en Algérie, en CEI (centrale solaire d'Ararat), et plus modestement au niveau rural et familial en Inde, où les panneaux solaires sont faits de matériaux de récupération grâce au C.A.Z.R.I. de Johdpur dans le désert du Rajasthan.
 Là où il y a des barrages pour l'irrigation des terres (USA, Egypte…), la production d'énergie hydroélectrique est possible ; on peut aussi envisager que les zones volcaniques actives comme dans la Cordillère des Andes (El Tatio, Chili) soient une intéressante source d'énergie géothermique.

 Plusieurs organismes officiels ou non gouvernementaux (C.I.Z.A. au Pérou, C.A.Z.R.I. en Inde, D.R.S. en Namibie, en Israël…) se penchent sur tous les problèmes liés à l'aridité, la désertification, et l'utilisation de l'énergie en zone aride. Il est à souhaiter que des solutions pratiques à l'échelle des communautés locales puissent améliorer la vie des habitants des déserts.

• Son avenir : le désert pour lui-même.

 L'avènement de nouvelles percées routières, l'établissement d'usines chimiques, de stockage et de retraitement des ordures domestiques et industrielles dans les zones arides va à l'encontre de l'espoir que l'on peut légitimement fonder sur le désert et son utilisation future. Le tourisme individuel ou organisé, mais contrôlé, et hors périodes de conflit, paraît pour nombre de pays (Kenya, Egypte, Algérie, Jordanie, Botswana, Australie, Yémen…) une source de devises non négligeable, et pleine de promesses pour d'autres.

 Mais depuis que le désert est à la mode, n'importe qui y fait n'importe quoi, n'importe comment et n'importe où ; comme ce peintre qui passe son temps à couvrir de peintures (polluantes à l'époque*) indélébiles, plusieurs kilomètres carrés de déserts maltraités (80 kilomètres au Sinaï en 1980, Maroc en 1984, Tchad en 1989 avec 30 tonnes de peinture…). Ce n'est pas la qualité de l'œuvre que l'on juge, mais son impact négatif sur l'environnement. A aucun moment, cette personne n'a pensé (manque d'éducation ou d'information ?) que toute parcelle de désert est une biochorie, avec ses lois naturelles, sa faune et sa flore. Va-t-on voir bientôt de super-tankers dégazer en mer de superbes nappes colorées de bleu, rouge, parce que cela devient de l'art ?… Au moins, les Iraniens qui arrosent leurs dunes vives, de bitume ont-ils l'excuse de vouloir stopper l'avancée des sables.

* Les peintures contiennent des PCB polychlorobiphényles, non dégradables, mortels pour la faune et notamment les oiseaux.

 Le désert-poubelle avance à grands pas, à la vitesse d'un Paris-Dakar qui mélange cour de récréation et désert. Dans le sud-ouest des Etats-Unis, les monstrueuses petites motos tricycles "quads" sont utilisées en dépit du bon sens : monstrueuses, car elles détruisent la couche superficielle des sols, favorisent l'érosion, et surtout parce qu'elles peuvent pénétrer partout sur des espaces vierges, dunes ou regs, collines ou plaines. Des agences de voyages présentent même ce type de circuit (anti-écologique par… essence !) au Maroc, par exemple. Il existe pourtant des moyens de se défouler dans le désert avec des sports plus proches de la nature : le deltaplane, ou le cerf-volant pour ceux qui préfèrent rester les pieds sur terre.

 Nous pourrions créer une sorte d'Organisme International du Tourisme en Zone Aride, pour que l'on puisse régenter cette forme particulière de tourisme, et l'aider à financer des projets pouvant améliorer les conditions d'existence des populations locales grâce au tourisme, sans mettre en péril l'environnement.

 Avant même que les pays concernés aient à prendre des mesures draconiennes pour stopper la venue de pollueurs d'un type nouveau, il faut pendre les devants. Les agences qui vivent des déserts doivent informer leurs clients : ne rien prélever qui puisse compromettre le fragile équilibre du milieu, respecter les populations locales et s'adapter à leur mode de vie, même pour une semaine, utiliser de préférence réchaud à alcool ou bouteille de gaz plutôt que le combustible végétal si rare et si précieux pour les nomades, ramasser ses ordures, les brûler et les rapporter. Je connais même une certaine agence consciencieuse qui conseille à ses guides sahariens de ramener leurs poubelles à Paris 

 Apprenez que tout ce qui est biodégradable chez nous, ne l'est pas dans le désert : brûlez les papiers, y compris celui W.C., les mégots, etc, et laissez l'endroit tel que vous souhaitez le trouver en arrivant : vierge. Les pays arides et les agences qui travaillent ensemble doivent trouver les moyens de permettre aux voyageurs d'admirer et d'apprécier les fragiles écosystèmes de la zone aride, sans qu'il puisse y avoir dégradation ou destruction d'un milieu.

 Pour limiter les facteurs défavorables à l'environnement, je pense que le minimum de confort lié à un maximum d'information est la voie à suivre pour le tourisme en zone aride. Comme Edmund Jaeger, je crois qu'il faut restreindre les voies d'accès pour que le désert ne puisse ressembler à nos plages. Le désert doit se mériter. L'eau ne doit pas être fournie sur les sites, chacun doit l'apporter avec soi, pour en mesurer toute l'importance. Chez nous, des mécanismes tel qu'ouvrir un robinet, jeter un papier sur le trottoir, son cendrier par la vitre de sa voiture, sont plus ou moins conditionnée par la société urbaine. Rien de tout cela ne doit subsister dans le désert.
 Paradoxalement, c'est souvent le sous-développement des pays qui permet une éthique forcée : pas d'eau, pas de routes, on fait avec, ou plutôt sans…On se rattrape autrement. Le tourisme fait vendre ? Au Pérou, les pilleurs de tombes pré-incas de la région d'Ica et de Nazca laissent derrière eux des champs jonchés d'ossements humains à perte de vue ; vision d'apocalypse où l'on a l'étrange impression d'être arrivé après un cataclysme. Les pillards cherchent parmi les momies, un objet précieux, des poteries, des bijoux de valeur, de l'or, tout ce qui peut se monnayer auprès des étrangers de passage. Les nécropoles sont recouvertes de fragments de tissus, de cordelettes funéraires, de tresses de cheveux, de tessons de poteries, et surtout de crânes et de squelettes humains disloqués qui blanchissent au soleil.

 Au Chili, où les pilleurs de tombes sévissent également, mais sur des cimetières plus modestes : les profanateurs de sépulture se contentent de décapiter les momies atacamènes pour vendre les têtes à des touristes en mal d'exotisme. Les chasseurs de têtes sont toujours en activité…

 La protection et la conservation des déserts passent moins par l'agriculture et l'élevage, que par l'industrialisation et le tourisme. Car le désert est patrimoine naturel exceptionnel à conserver coûte que coûte ; chaque parcelle de nature conservée est une victoire sur nous-mêmes. L'imbrication, la complexité de nos systèmes socio-économico-politiques sont telles que le confort matériel dans lequel nous nous enfonçons chaque jour davantage, fait oublier le confort de l'esprit, l'essence de la réflexion avant l'action, la conscience avant l'inconscience.

 L'homme sortira vainqueur, et grandi de ce combat, lorsqu'il comprendra enfin qu'il se combat lui-même. Il y a des signes qui ne trompent pas : en 1981 déjà, dans un pays comme le Chili, la fin d'un périple cycliste de quelques milliers de kilomètres à travers le désert d'Atacama fut marquée par un énorme panneau publicitaire pas très beau, qui ne vantait qu'un seul produit : l'eau, et qui disait ceci : "Nous vivons en plein désert, où l'eau est le sang et la vie ; économisez-la, parce que chaque goutte perdue est la fortune dont vous avez besoin".

 Et nous, les êtres humains, si nous ne voulons pas nous détruire nous-mêmes, devons avoir pour tâche essentielle de protéger, à défaut de garder intact, tout ce qui compose ce monde unique, notre planète, vous savez, celle que nous appelons la Terre

Joël Lodé